L’avantage, quand on réalise qu’on ne va PAS pouvoir partir en vacances,
c’est que la frontière entre la vie quotidienne « normale » et la vie « en vacances » est très floue. Ça a des inconvénients bien sûr, mais ça porte des fruits bien plus longtemps parce que les vacances peuvent concrètement « déborder » sur le quotidien.
Plantons le décor : mon Fabuleux est viticulteur, je suis esthéticienne à domicile, et chaque année nous avons l’habitude de partir au moins une semaine à la fraîche, dans le Cantal. C’était simple, pas hors de prix et revigorant. Mais cette année, les vignes ont pris la grêle et le mildiou, et nous avons reçu une énorme tuile sur la tête : lorsque nous avons réalisé que notre station géothermique était défectueuse (après de lourds investissements), l’entreprise contre laquelle nous voulions nous retourner a mis la clé sous la porte et nos économies se sont évaporées, sans aucun recours possible.
Tout ceci pour te dire qu’à la maison, l’ambiance n’était pas à la dépense.
Nos deux garçons ont fait une tête de six pieds de long lorsque leur père et moi les avons pris entre quatre-z-yeux au mois de juin :
– Les gars, cette année, on va jouer à domicile.
– C’est-à-dire ?
– Pas de vacances dans le Cantal, on ne peut pas se permettre de partir.
Je soupçonne mon grand d’avoir tiré des plans sur la comète avec une autre habituée du camping, tellement il était dépité. Mon deuxième a reniflé un coup avant de murmurer :
– On est pauvres, alors ?
Regards gênés entre mon Fabuleux et moi.
La pilule est amère, nous qui nous démenons depuis des années pour trouver des solutions, encore et encore, afin que nos enfants ne manquent de rien, même quand la récolte n’est pas bonne. On a rassuré le petit dernier et on s’est dit, le soir dans notre lit, qu’on allait leur faire passer une semaine de rêve. À domicile, certes, mais en grand. Rien dans cette semaine ne devait être « comme d’habitude », et on partait avec un super avantage : c’était la première fois que mon Fabuleux allait chez lui, mais disponible.
Jour 1 : On a préparé des petits papiers pour tirer au sort des « privilèges »,
pour que l’intendance de la semaine ne repose pas que sur moi et que chacun bénéficie d’attentions particulières.
- Apporter le petit déjeuner à (piocher un prénom)
- Passer l’aspirateur dans la cuisine
- Écrire une lettre à (piocher un prénom)
- Étendre le linge
- Organiser un jeu de société
- Faire le DJ de 18 h à 19 h
- Préparer l’apéro du siècle
- Trouver un endroit insolite pour pique-niquer
- Faire un massage à (piocher un prénom)
Dans les faits, quand mon petit dernier a pioché « écrire une lettre à… » son aîné, il a poussé un gros soupir. La corvée. Eh bien, crois-moi si tu le veux, il a passé une bonne partie de l’après-midi à transpirer sur sa copie sans vouloir mon aide et quand mon grand a ouvert sa lettre au dessert, il l’a vite refermée en disant d’une drôle de voix « Je la lirai plus tard, c’est perso ».
Jour 2 : On a la chance d’avoir un petit jardin.
Mon mari a pioché « trouver un endroit original pour pique-niquer » et il s’est mis en tête de le transformer en campement touareg : nos vieux rideaux ont été sortis des placards, l’étendoir à linge, un balai et la tête de loup ont fait de super pieds de tente, on a mis une bougie dans chaque vase de la maison, pas mal d’antimoustique et on a dîné au son des grillons. Souvenir magique.
Jour 3 : Les garçons commençaient à se prendre au jeu.
Quand j’ai pioché « faire un massage à… », après avoir souffert sous les doigts raides de mon aîné la veille, j’ai proposé une formation collective : 4 serviettes de bain étendues sur l’herbe, de l’huile de pépin de raisin, une musique zen et c’était partie pour un cours collectif de haut vol.
Jour 4 : Petit creux dans le moral des troupes.
– On a l’impression d’être au confinement, soupire l’aîné.
Mon compagnon se rebiffe :
– Ben puisque c’est comme ça, on va prendre l’air !
Les baskets aux pieds, les bottes dans le sac à dos, nous sommes partis de la maison. Les enfants étaient persuadés de n’avoir rien à découvrir dans un rayon de 20 km. Au bout d’une heure et demie de marche à travers les parcelles de nos voisins et amis, ils étaient complètement perdus. On s’est fait une frayeur avec une couleuvre, on a toqué chez une mamie pour remplir nos gourdes et elle nous a offert un magnum double chocolat, on a attrapé des tiques, bref Indiana Jones n’était qu’un amateur à côté de nous. Le soir, une partie d’Aventuriers du rail nous remet d’aplomb, et notre petit dernier fait enfin découvrir Vitaa et Slimane à son père, qui grimace un sourire poli.
Jour 5 : Grosse prise de conscience collective :
l’endroit où nous vivons est une destination oenotouristique ! À ce titre, il s’y passe plein de trucs l’été, quand nous, nous partons. Aujourd’hui, nous découvrons dans le programme glissé dans notre boîte aux lettres qu’il y a une guinguette itinérante qui s’arrête au bord du lac artificiel où les enfants refusent d’aller « parce que tout le monde fait pipi dans l’eau ». Nous y passons une soirée dingue, les garçons ouvrent des yeux ronds en voyant leur père attraper le micro du karaoké en plein air et entonner du Johnny. Je les regarde tous les deux et me dis que ces souvenirs-là, ils ne sont pas prêts de les oublier.
Jour 6 : Tension du jour, bonjour.
On en a tous un peu marre de passer nos journées à la maison. Alors, après un coup d’œil à l’enveloppe budgétaire allouée à cette semaine, nous décidons de casser la tirelire. Tout le monde en voiture, nous faisons cinquante kilomètres sous un soleil de plomb pour passer la journée au bord de la Dordogne. Enfin, sur la Dordogne, plus précisément. Nous louons des kayaks, et c’est uniquement parce que le loueur est un copain d’enfance que le planning qui affichait complet vient mystérieusement de trouver 4 kayaks disponibles. Voir mon compagnon se faire distancer par ses deux fistons, les entendre s’asperger à coups de pagaie vaut son pesant d’or. L’eau, c’est magique.
Jour 7 : C’est déjà le dernier jour.
Mais, pas de bagages à faire, pas de grand ménage, pas d’heures perdues sur l’autoroute, c’est encore vraiment les vacances, sauf qu’il pleut. Le pique-nique organisé par mon petit dernier nous fait mourir de rire : il aura lieu sur notre lit, sur lequel il a pris soin d’étendre une nappe. « Comme quand on était petits », me dit-il, très sérieux. Heu, depuis le biberon de 4 h du matin, je n’ai pas le souvenir d’avoir déjà mangé en famille sur notre édredon, mais bon. Le soir, je trouve sur mon oreiller une enveloppe. La lettre à l’intérieur est bourrée de fautes d’orthographe, mais quand mon Fabuleux veut lire par-dessus mon épaule, je me détourne : « C’est perso. » Je suis extrêmement émue de lire les quelques lignes de mon préado qui me remercie, avec ses tentatives de second degré pourri, de ces vacances « bizarres, mais cool ».
Morale de l’histoire ?
Le bol dans lequel nous avons laissé nos petits papiers à piocher ne s’est pas tout de suite arrêté de fonctionner. Pendant dix jours au moins, nous avons continué à nous offrir mutuellement de petites attentions ou des bons moments. La reprise du travail dans les vignes a un peu sonné la fin de la récré, mais nous avons tout de même longtemps goûté les fruits de ces drôles de vacances. J’ai notamment vu mon Fabuleux habiter différemment notre maison. Le week-end, plutôt que de refixer un volet, il fait parfois le choix de proposer un jeu de cartes ou une balade. Je sais d’où ça lui vient.