Lettre aux femmes qui perdent confiance !
Face aux catastrophes écologiques qui se succèdent, le sentiment d’impuissance est la réponse la plus répandue. J’observe, chez un nombre croissant de femmes avec qui je travaille, un phénomène que l’on pourrait qualifier de « dépression écologique » et qui se manifeste par une angoisse de l’avenir quasiment invalidante et réactivée chaque fois qu’une nouvelle catastrophe se produit.
Les statistiques montrent que les femmes sont particulièrement sujettes à ce type de réaction. Elles sont aussi les plus motivées pour faire leur petite part : réduire ses déchets, consommer plus responsable…
Pourquoi ?
Est-ce parce que les femmes sont par nature plus connectées avec la nature ?
Certains s’insurgent, y voyant un recul de la liberté acquise par nos aïeules.
- Manger local et/ou bio,
- gaspiller le moins possible,
- bannir les produits transformés et les remplacer par du fait maison,
- supprimer les perturbateurs endocriniens,
- remplacer les couches et les protections hygiéniques par des équivalents durables et donc lavables :
de quoi cantonner les femmes à nouveau à l’intérieur de leur maison, tout entière occupées par cette charge mentale dont elles cherchent à se libérer.
Qu’est-ce que c’est qu’être « écolo » ?
Ce n’est pas mettre plus de « vert » dans nos vies, non ! L’écologie – du grec éco : maison et logos : discours, science – c’est la science de la façon d’habiter notre environnement , ou encore la science des conditions d’existence. Être embarqué dans une démarche écologique, c’est chercher la façon la plus harmonieuse de vivre dans notre environnement.
Comment ? En consommant mieux. Ce qui veut souvent dire consommer moins (donc réduire le temps passé à acheter par exemple). En se débarrassant du superflu sur le plan matériel (donc en réduisant le temps de ménage, de tri et de rangement des objets dans la maison).
Il ne s’agit pas de plomber notre charge mentale mais bien de l’alléger !
Oui, moins consommer ou consommer mieux demande du temps au début – le temps de changer ses habitudes – mais il s’avère rapidement un gain d’énergie considérable. Car il entraîne inévitablement une simplification matérielle.
Un exemple tiré de mon expérience personnelle. Il y a 4 ans, j’ai commencé par ce qui me semblait le plus facile : fabriquer ses propres produits d’entretien. Je me suis vite rendu compte que je pouvais remplacer 8 produits (produit à vitres, produit pour les sols, produit pour cuisine et salle de bain, produit pour les toilettes, détachant spécial pour le linge, lessive classique, lessive laine, produit vaisselle) par trois composants basiques achetés en grande quantité (savon de Marseille, bicarbonate de soude, vinaigre ménager), qui se conservent aussi longtemps qu’on le veut, et qui servent à nettoyer toutes les pièces de la maison, les vitres ainsi qu’à faire la lessive.
Je n’ai plus à aller faire un grand plein de courses ni à jeter les flacons vides aussi souvent qu’avant. Je conserve les aliments secs dans des bocaux transparents.
Faire l’inventaire de mes besoins me prend une minute.
Me servir d’un aliment me prend une minute. Mes enfants ne me demandent plus jamais où sont rangées les pâtes. Nous mangeons plus simplement, des plats moins élaborés, mais plus sains et savoureux. En faisant mes cosmétiques moi-même, je gagne le temps que je passais avant à flâner dans les rayons, hésitant entre plusieurs marques.
Ces choix représentent beaucoup d’économie. Je gagne de l’espace dans ma maison car les produits que j’utilise pour les cosmétiques se trouvent dans la cuisine (huiles végétales, farines et beurre végétaux). Du coup, je fais moins souvent les courses ! Une fois par semaine pour le frais et une à deux fois par mois pour le sec. Mais ce sont à chaque fois des plus petits paniers qu’avant, que je range plus rapidement une fois à la maison. Gain de temps, gain d’espace, moins de déchets, le choix de produits de meilleure qualité, des courses moins fréquentes et dans des commerces de proximité qui demandent moins de transport : une meilleure qualité de vie en général. Aujourd’hui, mon constat est clair : pour rien au monde je ne reviendrais en arrière.
Moins consommer conduit à moins faire d’achat, à se débrouiller avec ce qu’on a ou à trouver des solutions créatives. Alors, oui, ça demande un peu de temps au début. Mais ce geste a pour moi deux implications dont personne ne parle sur les réseaux sociaux :
- Le recours à l’activité manuelle comme antidote à la perte de confiance, dont le philosophe Charles Pépin parle si bien. Pour lui, une partie de notre perte de sens et de confiance s’explique par l’abandon du travail manuel, du rapport direct du corps à notre environnement. Celles qui cuisinent, qui cousent, qui bricolent, en parlent très bien. Même le fait de réussir à réparer une imprimante récalcitrante avec ses blanches mains peut procurer ce sentiment.
- La possibilité de faire sa part n’est-elle pas un puissant antidépresseur ? N’est-ce pas prendre soin de soi et des autres que de rejeter ses déchets alimentaires dans la terre plutôt que dans un grand conteneur ? Ces choix, faits par les femmes, ne sont-ils pas seulement des choix de vie, mais des choix pour la Vie ?
Je lis sur les réseaux sociaux ces plaintes :
« Décrypter les étiquettes, faire la chasse aux ingrédients dangereux dans les produits alimentaires et ménagers, fabriquer son propre déo, faire ses courses dans trois endroits différents, coudre ou chiner ses vêtements, parcourir le web à la recherche de recettes et astuces de grand-mère, préparer des vacances zéro carbone… Tout ça représente un surcroît de travail dévolu, encore une fois, aux femmes, des activités chronophages et épuisantes mentalement et physiquement, mais exécutées au nom des générations futures »
Et si nous retournions la posture de victime qui transparaît dans ces propos ? En adoptant un regard responsable, je relis cette phrase et me dis que si je veux agir dans ce sens, rien ni personne ne m’oblige à tout faire, encore une fois.
Je peux faire des choix :
soit coudre mes vêtements et ceux de mes enfants si l’activité me plaît, soit concentrer mes efforts sur la réduction des déchets plastiques dans ma maison en accord avec ma famille, soit décider de réduire ma consommation de carbone, mais pas tout en même temps. En cela j’honore la lutte de nos mères et grand-mères : ce qu’elles ont obtenu pour nous, c’est bien la possibilité de choisir. Et non pas, comme certaines se l’imposent, l’obligation de tout faire.
Ces choix – qualifiés par certaines de charge morale qui s’ajoute à la charge mentale des femmes – prendraient alors une autre couleur.
Ils cesseraient d’être une charge pour devenir un choix, une liberté :
celle d’un chemin vers un monde plus sain, plus naturel, plus juste donc. Et porté par les femmes. Pourquoi y voir un recul de la condition féminine, obligée de retourner aux fourneaux pour fabriquer elle-même sa lessive maison ?
Si les femmes ont été cantonnées au foyer à une époque, elles ne le sont plus forcément aujourd’hui : elles ont le choix. Et pourquoi fustiger celles qui font le choix de passer plus de temps dans ce foyer ? De quoi celles qui qualifient un tel choix de « régression » ont-elles donc peur ? De s’y enfermer elles-mêmes, peut-être ? De leur propre féminité ?
Plutôt que de vouloir égaler les hommes en mobilisant surtout votre énergie masculine, pourquoi ne pas choisir, dans ce domaine, d’investir à fond votre énergie féminine, celle-là même d’où vient l’empathie, le soin, l’attention à l’autre ?