Pour beaucoup de parents, et de mères en particulier, voir ses enfants quitter le nid familial est un déchirement. Après tant d’années passées à les dorloter et à faire passer leurs besoins avant les nôtres, il est temps de les laisser voler de leurs propres ailes. Et pour nous, de reprendre notre vie en main ! Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne et auteur de « Le jour où les enfants s’en vont » (Albin Michel) nous donne des clefs pour adoucir ce cap parfois compliqué.
Pourquoi appréhende-t-on souvent que les enfants quittent la maison ?
C’est un virage, un tournant, que l’on aborde notamment au départ de l’aîné (et même si l’on a encore d’autres enfants à la maison). Cela nous projette dans un avenir différent, plus exclusivement tourné vers eux. C’est aussi une page qui se tourne, la fin d’un cycle : jusqu’ici, l’organisation était bien rodée ; maintenant, c’est l’inconnu, les repères changent. Il va falloir tout remettre en question. Pour certaines femmes en particulier, le sentiment de vide et d’inutilité peut être très fort (c’est ce que l’on appelle le syndrome du nid vide). On peut qualifier cela de baby-blues à retardement !
Comment le vit-on en tant que mère ?
Cela va de la petite déprime passagère à la vraie crise existentielle de milieu de vie… Cette étape symbolique a des répercussions différentes selon le contexte dans lequel elle s’inscrit. Les mères au foyer, qui ont tout misé sur la maternité, se retrouvent forcément les plus dépourvues. C’est plus simple quand on est encore en activité professionnelle, engagée dans une vie de couple harmonieuse.
Justement, qu’est-ce que cela représente pour le couple ?
Beaucoup de changements ! On se retrouve l’un face à l’autre, obligés de se redécouvrir, de mettre en place un nouveau fonctionnement. Il y a parfois des heurts car chacun avait pris ses habitudes de son côté. C’est aussi l’heure d’affronter certains problèmes que le tourbillon dans lequel nous entraînent les enfants avait contribué à masquer. Maintenant, le couple a toute la place : il doit retrouver ses marques à deux.
Quelles sont nos inquiétudes quand sonne l’heure du départ ?
Elles sont nombreuses, mais très souvent situées sur le terrain de l’angoisse sécuritaire. On a tout simplement peur pour nos enfants : peur que, loin de nos yeux, il leur arrive quelque chose, peur qu’ils ne sachent pas se débrouiller sans nous. Or, pour qu’ils deviennent des adultes autonomes et responsables, il est nécessaire de savoir leur faire confiance. Il faut aussi reconsidérer ce départ sous un jour positif : on ne perd pas ses enfants, au contraire ! On apprend à les voir autrement, sans les soucis et contraintes de l’éducation. Finalement, on profite mieux d’eux.
Comment l’affronter ?
C’est une étape qui arrive immanquablement : on peut donc l’anticiper. D’une part, en responsabilisant ses enfants (de manière concrète, en leur apprenant tôt à cuisiner, laver leur linge, gérer un budget ou accomplir des formalités administratives etc.). D’autre part, en s’efforçant de lâcher prise : en les laissant partir en colonie, en séjour linguistique ou en vacances entre amis par exemple, sans trop donner de nouvelles. C’est un bon entraînement pour tout le monde !
Comment réorganiser sa vie quand les enfants sont partis ?
Le meilleur conseil que je pourrais donner est de continuer à nourrir des projets. Voyage, activité commune avec son conjoint, décoration ou travaux dans la maison, déménagement… Plus on s’ouvre à de nouvelles perspectives, moins on souffre du changement et plus vite on retrouve un équilibre. On peut aussi reprendre une vie culturelle, sociale ou sportive délaissée depuis quelques années. S’accorder enfin la chance de faire aboutir un rêve non concrétisé (partir vivre à l’étranger, reprendre des études, prendre des cours de chant…). Sans oublier de redonner une place essentielle à son couple ! C’est fondamental pour bien vivre cette deuxième partie de vie.
Cela oblige-t-il à se réinventer ?
Oui, forcément. C’est une libération progressive qu’il faut apprivoiser. Mais ce temps récupéré n’est pas désagréable ! Passés les premiers moments de déprime (que l’on peut partager avec des amies qui sont dans la même situation), on se rend souvent compte que c’est l’occasion de renouer avec soi-même. Cela fait aussi du bien de pouvoir redonner la priorité à ses envies et ses besoins !
Comment maintenir le lien avec nos enfants ?
Ne nous affolons pas trop vite : entre 18 et 25 ans, nos enfants ont encore souvent besoin de nous ! Ils reviennent à la maison le week-end ou à l’occasion des vacances. On peut aussi les appeler régulièrement. Le lien n’est jamais complètement rompu. C’est un échange différent, plus égalitaire car d’adulte à adulte. Quand ils vivent à l’étranger ou nous présentent leur conjoint, ils ouvrent de nouveaux horizons, nous forcent à une certaine adaptation. C’est enrichissant de part et d’autre !
Quels sont les écueils à éviter ?
Les appeler sans cesse pour tout contrôler, les supplier de venir, leur adresser des reproches (« Regarde tout ce que j’ai fait pour toi ! Tu pourrais venir me voir plus souvent ! »), les culpabiliser de ne pas faire plus. Il faut le temps de trouver son rythme de croisière : laissons-leur la possibilité de dire ce qui leur convient.
Ne perdons pas de vue non plus que les liens évoluent au fil des événements de la vie. Souvent, quand nos enfants deviennent parents à leur tour, ils éprouvent le besoin de se rapprocher à nouveau de nous. Les petits-enfants contribuent aussi bien souvent à nous réunir…
Et si vraiment c’est un passage très difficile ?
Alors, il ne faut pas hésiter à en parler à un thérapeute, pour ne pas faire peser ce manque sur les enfants ou son conjoint. Un avis extérieur neutre permet aussi d’apprendre à se réjouir : quand le départ se fait sans heurts, cela signifie qu’on a bien rempli son job de parent et qu’on a su transmettre de la confiance à son enfant !