Je me souviens de l’enterrement de mon cousin. De son petit cercueil blanc dans l’allée de l’église.
Je devais avoir 4 ou 5 ans, et je me souviens de mon oncle prenant la parole devant la famille et les amis réunis. Aujourd’hui je suis maman, et je me demande comment ma tante a pu survivre aux funérailles de son bébé âgé de quelques mois. Depuis ce jour, notre petit cousin du ciel n’a cessé de se faufiler dans nos conversations d’enfants : “On est 18 cousins — 19 avec Raphaël.”
Il y a quelques temps,
nous partagions à des amis la bonne nouvelle de l’agrandissement prochain de notre famille. Au cours de la conversation, j’ai précisé que nous attendions auparavant un autre bébé, mais que nous l’avions perdu lors d’une fausse couche. L’un de nos amis a réagi, visiblement gêné :
“Et elle nous balance ça comme ça, en plein milieu de l’apéritif !”
Cette remarque est venue nourrir une réflexion que je me fais depuis plusieurs mois, à chaque fois qu’on me demande combien j’ai d’enfants. Peut-être que pour toi aussi, la question en appelle une autre : avec ou sans les morts ?
Après avoir assisté à la projection du film Et je choisis de vivre, je suis encore plus persuadée de l’importance de laisser une place à nos morts dans les conversations. Comme l’explique admirablement Christophe Fauré dans une scène de ce documentaire particulièrement édifiant et bien fait, parler ouvertement des absents est l’un des ingrédients essentiels…
pour mieux traverser le deuil.
Chez nous, les enfants ne se trompent jamais dans leurs calculs : “Chez les Bonhomme, on est 7 : Papa, Maman, Adelin, Roman, Céleste qui est mort, le bébé qui est dans le ventre de Maman, et Véga le chien.” De la même manière que dans notre smala de cousins, nous n’avons jamais oublié de compter Raphaël. De la même manière que si tu as perdu ton papa, ta maman, ton frère, ta soeur, ton enfant ou un ami, en parler te paraîtra toujours réconfortant : s’assurer que ton défunt garde une forme d’existence sociale, c’est une manière de s’assurer qu’il ne sera pas oublié — l’une de nos plus grandes peurs lorsque l’on perd un proche.
Pourtant, en parler, ça met mal à l’aise :
d’abord, on sait qu’à tout moment, les larmes peuvent nous monter aux yeux sans prévenir — et on n’a pas forcément envie de faire une purge émotionnelle devant n’importe qui. Ensuite, on sait que comme cet ami à l’apéritif, les gens ne sont pas tous et pas toujours friands de ce genre de conversation — même si nous-mêmes, nous ne sommes pas du tout mal à l’aise de dire les choses ouvertement.
Oui, les mots peuvent brouiller les fréquences… Mais pas plus que les silences. Alors si tu as l’envie, le besoin de balancer “comme ça, au milieu de l’apéritif” que l’un de tes proches est décédé, tu en as le droit. Et si une maman te demande, à la sortie de l’école, combien tu as d’enfants, tu as le droit de donner le compte exact (morts compris).
Par contre, si tu as envie de te protéger,
tu as aussi le droit de mettre une haie autour du jardin de ton coeur, et de décider avec qui tu as envie de partager ces peines, et avec qui tu n’en as pas envie. Face à la perte d’un être cher, les gens sont parfois capables de dire de belles conneries… alors ces moments de vulnérabilité, tu as le droit de décider avec qui tu as envie de les vivre ou pas.