Je dédie ce texte à toutes les mamans qui, comme moi, sont régulièrement convaincues de foirer l’éducation de leurs enfants… 😉
C’est un samedi soir comme bien d’autres. Mon mari rentrera tard du travail ; j’ai passé la journée avec mes garçons, G., 6 ans, A., 4 ans, L., 3 ans, et ma petite H., 6 semaines. J’ai dû occuper, nourrir, promener, bercer tout ce petit monde, tout en tâchant de maintenir ma maison à flot. Je suis fatiguée, les garçons sont énervés. Et la fin du repas devient apocalyptique.
Imaginez la scène.
- H. hurle à pleins poumons depuis que la nuit est tombée. Je la tiens dans mes bras, je la mets au sein, je lui tends sa tétine, je la balance dans son transat, rien n’y fait. Elle s’égosille, devient rouge de fureur à chacune de mes tentatives pour la calmer. Je dois superviser un dîner avec dans les bras une sirène hurlante, qui ajoute son grain d’électricité dans l’air.
- L. a fait une crise avant le repas. Je n’ai réussi à le mettre à table qu’en lui ouvrant un Flamby. Son dîner commence par le dessert… les bonnes manières, où ça ?
- A. tripote les aliments dans son assiette avec ses doigts, mais n’en met aucun dans sa bouche. Il n’est occupé qu’à asticoter son petit frère.
- La tension monte entre A. et L. ; en plus de ne pas dîner correctement, ils commencent à se disputer et à se menacer avec leur fourchette. Un verre d’eau est renversé.
- H. hurle toujours, j’essaie de séparer les combattants et d’essuyer l’eau, d’une main. Je me mets à hurler, moi aussi.
- G., profitant de la pagaille, sort de table sans autorisation et sans toucher à son dessert, et part jouer je ne sais où.
Face à cette scène, je pense à tous ces enfants bien élevés.
Ceux qui ne mangent pas avec les doigts ni ne s’essuient les mains sur leur pyjama. Ceux qui attendent poliment que tout le monde ait terminé son assiette pour sortir de table. Ceux qui ne prennent pas leurs petits pois pour des projectiles ni ne visent leur frère avec leur fourchette.
Je repense aux mamans de ces enfants, qui me semblent si bien maîtriser l’éducation de leur progéniture. Qui ne crient pas. Qui se font respecter grâce à leurs supers méthodes pédagogiques. Qui réussissent.
Et je contemple le désastre, mon désastre.
Pourquoi suis-je foireuse à ce point ?
J’hésite.
Je pourrais courir après G. et le forcer à se remettre à table, enfourner ses nouilles dans la bouche de A. et le menacer d’être privé de dessert s’ il ne termine pas son assiette, et envoyer L. au lit sans autre forme de procès car il est trop fatigué pour dîner, tout cela avec H. que j’aurai posée dans son transat afin d’avoir les mains libres pour empoigner ses frères, et dont les vagissements de colère me forceraient à crier le plus fort possible pour être entendue et obéie. Je peux être autoritaire, intraitable.
Je peux me battre pour dresser mes enfants et avoir la sensation d’être une mère parfaite, à qui rien n’échappe.
Mais pendant que, hagarde, je regarde mes fils assis à une table trempée d’eau et maculée de tâches, pendant que ma fille s’agrippe de ses petits poings à mes cheveux, cette phrase me vient comme un éclair de lucidité au milieu du cauchemar :
« Choisis tes combats ».
Tu ne maîtrises pas tout.
Là, maintenant, la situation t’échappe. Alors choisis tes combats. Quel est le plus important maintenant, tout de suite ? Est-ce de dompter l’esprit rebelle de tes garçons ? Dois-tu à tout prix, ce soir, alors que tu as passé la journée seule avec tes enfants, alors que tu as accouché il y a quelques semaines, alors que tu es fatiguée, alors que ton bébé crie, dois-tu à tout prix faire régner l’ordre et la loi ? Ou bien peux-tu lâcher un peu de lest, et te fixer une priorité, un combat qui vaut la peine d’être mené ?
Quel est le bon combat ce soir ?
« La question elle est vite répondue » (je n’ai pas pu m’en empêcher, pardon) : ce soir, l’essentiel, c’est que ton bébé se calme. Que ta petite fille, qui subit l’énervement ambiant, s’apaise. Laisse donc tes garçons vaquer à leurs occupations, juste pour ce soir. Et berce ta fille, dans le calme retrouvé d’une cuisine désertée. Tu ne peux pas mener la guerre sur tous les fronts.
Accorde-toi une trêve.
Ne cherche pas la perfection. Accepte et assume que tu ne peux pas tout maîtriser, que tu as fait de ton mieux, mais que là, c’est trop. Tes enfants ne seront pas pour autant mal élevés, leur éducation ne sera pas mise à mal parce qu’un soir, leur maman s’est occupée de leur petite sœur et ne les a pas forcés à terminer leur assiette.
Cette petite voix, je l’écoute.
J’envoie A. et L. jouer avec G. Je prends ma petite H. tout contre moi. Je m’apaise en même temps que je l’apaise. Et miracle, elle se calme. Je suis tout à elle, et c’est ce dont elle avait besoin, petit nourrisson trimballé toute la journée de poussette en transat, bercée puis réveillée par les cris d’indiens de ses frères, allaitée chaotiquement et inconfortablement par une maman trop occupée. Elle a besoin de moi ce soir. La journée n’est pas terminée pour autant, il faudra encore coucher mes lascars et ce ne sera pas une mince affaire.
Mais j’aurais appris que la guerre se gagne une bataille à la fois.
Je ne divise pas mes forces, je les rassemble. Je ne mets pas en péril mon armée, puisque je sauve son chef.