Être maman c’est aussi devenir révélatrice de talents.
J’adore mon ado, mais certains jours, la fatigue et la lassitude prennent le dessus. Notre cohabitation se résume alors à des :
« Tu as fait tous tes devoirs ? »
« Tu as mis ton linge à laver ? »
« Ce serait bien de mettre ton bol dans le lave-vaisselle avant de partir en cours… » (version moralisatrice de « As-tu mis ton bol dans le lave-vaisselle ?)
« Le lave-vaisselle ne va pas se débarrasser tout seul. »
« Si j’étais toi, je bosserais avant de faire de l’ordi. »
Mais je ne suis pas lui, et honnêtement, au même âge, je pense que j’aurais préféré l’ordi au travail…
Ce dialogue quotidien l’exaspère, lui donne l’impression que je n’ai pas confiance en lui et que notre relation est uniquement faite de demandes de tâches à effectuer.
D’ailleurs, ce n’est même pas un dialogue, plutôt un monologue pendant lequel je le regarde et exprime mon agacement, mon énervement, voire mon exaspération face au fait qu’il ne soit pas comme je voudrais qu’il soit.
Il y a aussi chez moi de la peur :
- Peur qu’il ne soit pas assez armé pour affronter le monde, peur qu’il soit rejeté, qu’il ne trouve pas sa voie, qu’il ne sache toujours pas se coiffer ou être à l’heure quand il ira passer des entretiens d’embauche (dans 10 ans…).
- Peur aussi de réaliser que mon bébé n’est plus un bébé et qu’il va faire les choses à sa façon. Et sa façon sera sans doute bien mieux adaptée à qui il est, que ma façon à moi.
- Peur aussi de le voir ne plus avoir besoin de moi et donc de perdre cette petite impression de maîtrise de la situation qui n’est finalement qu’une illusion.
Or ce n’est pas en criant sur le cocon qu’a créé la chenille, que je vais faire sortir plus vite le papillon !
Ce serait si simple et reposant s’il était… comme je voudrais qu’il soit !
Parfois même j’en rajoute une couche en pointant ce qui ne va pas pour qu’il comprenne qu’il doit changer, que je ne cautionne pas sa nonchalance.
À moins que ce soit pour qu’il comprenne qu’il n’est pas celui que je voudrais qu’il soit.
Ce sont ce genre de paroles, à 1000 lieues de la bienveillance, j’ai honte en les partageant avec toi !
« Tu as eu “X” à ton contrôle : j’en étais sûre, vu le peu que tu as travaillé. »
« Je te l’avais bien dit, faire un devoir à la dernière minute c’est le bâcler. »
« C’est pas comme ça que tu vas y arriver : organise-toi ! » (Son organisation est aussi personnelle que la mienne : la mienne, il n’y a que moi qui la comprenne !)
« Tu es toujours en retard » alors qu’il est souvent en retard. Le « toujours » et le « jamais » sont des mots trop durs !
Je le regarde partir dans sa chambre, le cœur et le cartable lourd, assuré de ne pas avoir été compris et surtout conforté dans son impression d’être nul. Alors qu’au fond de moi, je sais qu’il est une merveille.
Un peu comme si j’avais écrit moi-même sur son bulletin le fameux « peut mieux faire ».
Alors je me regarde, je m’écoute et je me sens triste. J’ai déchargé sur lui mes inquiétudes.
Mon fils a d’incroyables talents.
- Il ne range pas sa chambre mais il chante juste.
- Il n’a pas compris qu’il fallait apprendre le cours de math avant d’effectuer les exercices mais il a de l’humour sur lui-même (et ça n’a pas de prix !).
- Il grogne au lieu de parler mais il a appris à son petit cousin à faire du vélo.
- Il n’éteint pas la lumière de sa chambre en partant en cours le matin mais il m’a aidée à vider mon coffre au retour du supermarché.
Mes paroles ont en fait un pouvoir extraordinaire sur lui.
Un double pouvoir :
- Si je souligne une de ses qualités, je vais faire grandir cette qualité en lui.
La louange entraîne la performance : en reconnaissant la qualité de mon enfant, je l’inscris dans son cœur où elle peut se déployer.
- Si je le félicite, je fais grandir la confiance qu’il a en lui.
Je peux même ajouter un autre pouvoir qui me bénéficie, à moi : lorsque j’accepte de m’émerveiller et d’être dans la gratitude, je grandis moi aussi.
Mes paroles et la bienveillance de mon regard l’aident donc à construire son être en renforçant l’estime qu’il a de lui.
Elles lui permettent aussi de renforcer sa confiance en lui en soulignant sa capacité à faire, qu’il s’agisse de figures acrobatiques au skate, de la progression de ses résultats en math, de la justesse d’un trait de dessin, du bon tempo à la batterie ou encore de la demi-étagère qu’il a rangée et du panier à couverts du lave-vaisselle qu’il a vidé.
Un enfant ne donnera le meilleur de lui-même que s’il entend des paroles qui pointent de façon précise un talent, une aptitude.
L’encouragement rend capable, relève et fait grandir.
L’avenir peut alors s’envisager pour lui : « que vais-je faire pour faire fructifier ces dons, pour les mettre au service de la société ? »
Je peux aussi choisir de souligner ses défauts, ses problèmes et ainsi le faire douter de sa valeur.
Je peux enfin choisir de ne rien dire : c’est peut-être pire, car en plus de cultiver le doute qu’il développe sur lui-même, je lui refuse l’attention dont il a besoin.
Pour ma part, je n’ai peut-être pas été beaucoup encouragée dans mes initiatives, ma créativité, mes talents.
C’est à moi de briser ces habitudes familiales de rabaissement et de critique.
Comment ? Il y a sûrement des choses à travailler qui remontent à mon enfance. Je peux commencer :
— En étant bienveillante avec moi-même : « tu as oublié de racheter du beurre : tu n’es pas nulle tu as juste oublié ! Merci la petite supérette du bout de la rue d’être là, et merci à mon fils (oui, l’ado dont on parle) d’accepter d’y aller. »
— En cessant de me présenter en victime : « on ne m’a jamais appris à faire la fête pour Noël ». Eh bien, je vais apprendre toute seule et ce sera ma victoire.
— En acceptant de ne pas me présenter comme quelqu’un de nul : « je vaux zéro en patin à glace ». Peut-être, mais si on va à la patinoire, ce n’est pas pour faire de la compétition, c’est pour passer un bon moment !
— D’accepter les compliments : « la couleur de ton pull te donne bonne mine » « Merci ! » Je peux savourer cette attention de l’autre (son bon goût aussi !) et être fière de la justesse de mon choix.
Plus je suis bienveillante avec moi, plus je le serai naturellement avec mon fils et mon entourage. C’est un beau cercle vertueux.
Je vais aussi m’exercer à écouter ce que ma peur veut me dire de moi, de mes attentes, pour qu’elle ne vienne plus polluer mon fils. À moi de régler mes problèmes pour ne pas les lui transmettre. C’est parfois long, mais ça en vaut la peine !
Pour le moment, je vais prendre mon courage à deux mains, rassembler en moi tout l’amour et l’admiration que j’ai pour mon fils, y ajouter la honte de mes paroles, mettre mon orgueil dans ma poche et aller frapper à la porte de sa chambre. Je ne pourrai pas effacer les paroles prononcées dix minutes avant, mais je peux lui demander pardon de l’avoir blessé, d’avoir été aveuglée par ma peur et lui dire enfin la vérité :
« Oui c’est difficile pour toi en ce moment, mais je suis là. »
« C’est toi qui as fait ce dessin ? Il est vraiment chouette, tu es doué ! »
« Merci d’avoir trié ton linge, ça m’a fait gagner du temps. »
« Tu as pensé à envoyer ce mail : tu es vraiment un super garçon ! »
« Bravo pour tes progrès en histoire. Ils ne m’étonnent pas, tu es curieux et intéressé depuis toujours. »
« Avec papa on reparlait de cette conversation qu’on a eue ensemble dans la voiture : ce que tu disais était vraiment intéressant. »
« Je suis contente de passer ce temps avec toi et je suis fière de toi. »
Et toi, chère Fabuleuse, quelle qualité vas-tu souligner chez ton enfant, quand il franchira le seuil de la porte ce soir ?
Il y en a sûrement. Dis-la-lui simplement. C’est peut-être ton pouvoir à toi, d’être ce soleil qui réchauffe et permet au bouton d’éclore afin de révéler la magnifique fleur qu’il contient.