Quand j’étais enfant, j’ai découvert que la colère pouvait être passablement violente : quand mon papa ou mes frères étaient en colère, il y avait souvent des gros cris et des objets cassés. Mais je n’ai jamais vraiment compris ça : quand moi j’étais en colère, ça n’allait jamais jusque là, et je me disais que c’était passablement irrationnel de réagir aussi fort. Un truc de mec ? Je ne savais pas, mais en tout cas pour moi ce n’était pas comme ça, et j’étais assez sûre que ça ne m’arriverais jamais. Non vraiment, je ne comprenais pas ces réactions.
Et puis, j’ai compris.
J’ai compris cette colère, cette violence à l’intérieur, qui a juste besoin de sortir, de s’exprimer, de s’extérioriser.
Je l’ai comprise, depuis que je suis devenue maman.
Depuis que je n’ai pas mon quota de sommeil minimum pour être bien.
Depuis que je fais face très (trop) régulièrement à des frustrations, des échecs, quand ce que je souhaite faire avec mes enfants ne fonctionne pas (comme les endormir par exemple, ou les habiller, ou leur changer la couche sans me ramasser des coups de pied dans le ventre).
Depuis que je suis sollicitée en permanence pour couper une tartine en même temps qu’il faut sortir une pâte humide et qu’il faut ranger le lave-vaisselle et finir de préparer le sac de la crèche et tiens éventuellement ce serait bien que j’avale quelque chose moi aussi et surtout sans oublier de donner le sein au petit avant de partir.
Depuis que je suis maman, je vis les plus belles expériences de ma vie, un amour immense, des rires, des joies, des sensations magnifiques que jamais je ne pourrais vivre autrement.
Mais je découvre aussi des parts sombres de moi-même que je n’imaginais pas.
Il y a peu, mes deux enfants sont tombés malades en même temps. Rien de grave, ces maladies d’enfants que sont rhume, toux, angine, gastro, conjonctivite. Mais quand c’est tout en même temps (oui oui ma fille a eu tout ça d’un coup !) et chez les deux enfants, ça fait beaucoup. Ça fait trop.
Et on avait beau être présents tous les deux avec mon Fabuleux (et heureusement, je ne suis pas sûre que j’aurai survécu si j’avais été seule, et lui non plus d’ailleurs !), c’était trop.
Il faut dire que mes enfants, quand ils sont malades, ils veulent maman.
Uniquement maman. Papa, c’est non. Papa il se fait pleurer dessus (quand ce n’est pas hurler). Il a pu faire tout plein de choses quand même (comme nous préparer à manger) et sa présence était précieuse pour moi, je me sentais soutenue et pas seule. Mais les deux enfants étaient sur moi, quasi non-stop, et ça c’était dur. Pour lui comme pour moi.
- Dur pour lui d’être rejeté, évidemment.
- Dur pour moi d’être sollicité en permanence.
- De me sentir indispensable.
- D’être envahie sans arrêt dans mon espace personnel, jamais sans qu’un enfant ne me touche.
Et pendant ces jours-là, j’ai été horrible.
De mauvaise humeur dès le matin. En colère très souvent. Pour des petites choses la plupart du temps, mais qui à ce moment-là me paraissaient une montagne. Pour des grandes choses aussi.
Et surtout j’ai senti en moi une violence que je ne me connaissais pas.
Comme un volcan endormi dont on n’avait pas connaissance et qui tout à coup entre en éruption.
J’ai crié. Beaucoup. Trop.
J’ai été brusque avec les enfants. Et j’ai tapé sur les murs. Sur moi un peu aussi. Heureusement pas sur mes enfants. Mais j’ai au fond de moi cette peur que ça puisse arriver, que je puisse craquer. Je n’imaginais pas que ça pouvait être possible que je sois tellement en rage que je donne un coup de poing sur une armoire, pour me défouler. Alors comment pourrais-je me convaincre que jamais je ne ferai ça sur quelqu’un ?
Et ça me fait peur ! Ça me répugne de moi même aussi.
Je ne veux pas ça. Non, je ne veux pas de ça.
Cette colère violente, je ne la veux pas !
Colère oui, violence non.
La colère, je peux l’accepter. Elle vient dire que mes valeurs, mes besoins ne sont pas respectés, et c’est important que je puisse l’exprimer.
Mais pas de manière violente. Je refuse. Je ne veux pas être cette personne.
Et je sais, je sais pertinemment que là, dans cette situation, ce qui fait que la violence a pris le dessus, c’est qu’il m’a manqué quelque chose d’essentiel : le soin à moi-même. La protection de moi-même. Je n’ai pas réussi à poser mes limites, à me dire que non, là je ne pouvais pas encore aller faire une balade avec la grande sur le dos en porte-bébé pour qu’elle dorme et le petit en poussette qui pleurait car il venait de faire la sieste et n’avait aucune envie de dormir, alors j’ai fini par le prendre dans les bras (oui vous imaginez bien la scène, une derrière et un devant, c’était pas joyeux pour moi, je vous assure).
Je n’ai pas réussi à me protéger, car je me disais : « Je dois le faire, ils en ont besoin, ils sont malades et fatigués, et il n’y a que moi là maintenant qui puisse les aider et répondre à leur besoin. »
J’avais peut-être raison d’ailleurs, ils avaient besoin de ça.
Mais là où je n’avais pas raison, c’est quand je n’ai pas écouté mon propre besoin à moi.
Honnêtement, je ne sais pas trop comment j’aurais pu faire autrement dans cette situation. On était au cœur de la tempête, et il fallait y faire face.
Mais je savais bien aussi que ça n’était pas la meilleure manière de faire. Je sais bien que c’est ça, cette absence de limites à ce que j’ai donné de moi, qui a fait émerger en moi cette colère violente, ce volcan intérieur qui fait tant de mal à moi et aux autres.
Lorsque j’écris ces lignes, mes enfants sont presque guéris. Mon mari et moi sommes en train de guérir aussi (oui parce que les microbes se sont facilement insinués dans nos organismes fatigués !). Et nous avons pu prendre un peu de repos, heureusement. Je sais pourtant qu’il m’en faudra bien plus pour me remettre de cette épisode. Et surtout pour me remettre de cette découverte de moi-même…
… de cette part sombre de moi que j’aurais préféré ignorer.
Alors j’ai dit à mon Fabuleux : « Cet état dans lequel j’étais, où je suis encore, je ne le veux pas, je refuse que ça s’installe. Alors je vais me laisser un peu de temps pour me remettre, prendre soin de moi et voir comment ça évolue. Et si ça ne va pas mieux d’ici quelque temps (pas trop longtemps en fait), alors il me faudra chercher de l’aide, parce que ça voudra dire que je serai partie trop loin sur le chemin de cette colère qui me ronge de l’intérieur. »
Je sais ce vers quoi je tends, vers quel état intérieur je veux mettre mon regard, mon énergie, mon focus.
Mon maître mot à moi, c’est la sérénité.
C’est l’idéal vers lequel je tends.
Je sais bien que je n’arriverai pas à l’atteindre parfaitement, rien n’est parfait et c’est normal, c’est ok.
Mais je veux marcher vers cet horizon de sérénité, car c’est le seul moyen de m’éloigner de la route qui mène à la violence, à la colère mortifère.
Et le seul moyen d’emprunter le chemin de la sérénité, c’est de prendre soin de moi.