Après des jumeaux, un bébé dans les étoiles et une petite fille à bouclettes, me voilà enceinte pour la quatrième fois. Et depuis l’annonce de cette grossesse, une question super embarrassante revient sans arrêt : « C’était voulu ? »
Pour mieux gérer ma gêne, je me suis préparée des réponses toutes faites, à dégainer pour détourner l’attention :
« Bien sûr ! Il fallait bien s’occuper pendant le confinement. »
« Ben euh… Mon mari nettoyait son arme et le coup est parti. »
Au-delà du « De quoi je me mêle ? » qui voudrait sortir à grande voix de mon corps de femme enceinte, débordante d’hormones et qu’il ne faut pas trop chercher en ce moment, je trouve cette question particulièrement intéressante. Et là, je prends ma casquette super sérieuse d’analyste sociétale, option “pressurisation de la mère des années 2020”.
Si tu le veux bien, prenons un instant pour nous arrêter ensemble sur les deux réponses possibles.
Option 1 : Oui, c’était voulu
Dans ce cas :
- tu vas devoir expliquer pourquoi vous avez été déraisonnables à ce point, de choisir délibérément et sans aucun scrupule ni aucun respect pour l’environnement, d’agrandir encore la famille ;
- tu vas devoir justifier la logique du timing. Et je te préviens : que tes grossesses soient rapprochées ou qu’à l’inverse, il y ait un grand écart d’âge entre tes enfants, il va falloir user d’arguments mathématiques de haut vol ;
- évidemment, tu ne vas pas pouvoir te plaindre si tu te sens fatiguée, apeurée, découragée ou à bout de nerfs : ce bébé tu l’as voulu, alors maintenant ma cocotte, tu assumes.
Option 2 : Non, c’était pas voulu
Dans ce cas, tu vas devoir expliquer :
- comment un tel accident a pu se produire, malgré tous les moyens mis à ta disposition ;
- pourquoi ce bébé, tu as décidé de le garder quand même ;
- et bien sûr, tu vas devoir sortir ton plus touchant plaidoyer, pour prouver que tu as à l’intérieur de toi assez d’amour à lui donner, à ce bébé, bien qu’à la base, il n’ait pas été désiré (ce qui, de nos jours, semble être la pire malédiction qui puisse s’abattre sur un nouveau-né).
Alors, « c’était voulu ? »
Tu l’as compris, l’objet de ce texte n’est pas de te dire si dans mon cas, c’était voulu ou pas 😉 Mais surtout d’explorer les enjeux de cette question que l’on m’a tant posée ces derniers mois, et qui peut paraître anodine, mais qui à mon sens est tout à fait symptomatique de l’exigence généralisée qui pèse sur toute une génération de mères.
Être mère, ça nous arrive, c’est tout.
Dernièrement, j’ai eu l’occasion d’en papoter avec la théologienne Marion Muller-Colard. Elle me rappelait que ce qui complique la vie des parents aujourd’hui, c’est que l’enfant soit devenu un projet, une projection :
« Dans le passé, il me semble que devenir parent était quelque chose qui arrivait. On faisait avec — comme ça a été le cas, d’ailleurs, pour Joseph et Marie. Aujourd’hui, la maternité est devenue à la fois un challenge et un couronnement ! Pourtant, être mère, ça arrive. Ça nous arrive. »
En cette période de l’Avent, je trouve cet exemple de Joseph et Marie très parlant : ils représentent la parentalité comme ce qu’elle est réellement : quelque chose qui nous tombe dessus. Soyons honnêtes : malgré la généralisation de la contraception, et malgré la médicalisation qui peut nous donner une illusion de maîtrise : la vie, est-ce que ça se contrôle autant qu’on le prétend ?
Par définition, la maternité nous prend par surprise.
La première fois que ça m’est arrivé, c’était par le mystérieux dédoublement d’un amas de cellules, qui fait que deux garçons au capital génétique presque identique ont grandi simultanément dans mon ventre. La deuxième fois, c’est en me quittant avec fracas que la maternité m’a prise de court, lorsque j’ai réalisé que je venais de faire une fausse couche.
Certaines de mes amies attendent un enfant qui ne vient pas. D’autres portent un enfant qui n’était pas au programme. D’autres encore ont un ou plusieurs enfants extraordinaires.
La maternité n’est pas un challenge. Ni un couronnement.
La maternité est un cheval sauvage.
Et en lui redonnant sa place de cheval sauvage, on fait d’un coup baisser la pression.
- Parce que si « c’était voulu », cela ne signifie pas qu’on doit réussir à tout prix, pour prouver qu’on avait raison de faire ce choix.
- Parce que si « ce n’était pas voulu », cela ne signifie pas non plus qu’on doit réussir à tout prix, pour se défaire de la culpabilité.
On n’a pas à se justifier du désir, ni de l’absence de désir d’enfant.
Alors, « c’était voulu ? »
Peut-être qu’on s’en fout. Et peut-être que les choses changeraient si à l’annonce d’une grossesse, les gens demandaient plutôt : « Comment tu vas, toi ? ».
Et s’ils écoutaient vraiment la réponse, et s’ils posaient une main sur l’épaule de la maman, et si ensemble, ils formaient ce village dont nous avons tant besoin, pour nous sentir moins seules sur le chemin déjà largement assez exigeant de la maternité.