Ai-je fait le deuil ? C’est une question délicate. Je ne sais pas. Mon petit enfant, si seulement tu pouvais toujours être là ! Étais-tu vivant durant ces deux mois ? Je l’ignore. Ce que je sais, c’est que je t’ai senti et je t’ai aimé, oh ça oui…
Je croyais que tu étais là, avec moi. Tous les jours, je pensais à toi. J’ai fait de mon mieux pour te porter, vraiment.
Hélas, ça n’a pas marché.
On dit qu’il n’y a pas de cause à une fausse couche. Mais je ne cesse de me demander :
- Est-ce moi qui ai échoué ?
- Ai-je trop travaillé ?
- Ne t’ai-je pas assez bien accueilli ?
Pourtant, j’ai fait de mon mieux, je te promets. J’ai essayé de te porter au mieux, avec le masque, la chaleur, la fatigue, les longues journées de travail et d’effort.
Mais tu n’as pas tenu.
Pourquoi ? Quand es-tu parti ? Dès le début ? Tu n’as donc pas vraiment existé ? Pourtant, je t’ai senti. Je suis sûre de t’avoir senti. Et si la médecine s’était trompée ? Si tu étais toujours vivant et que je t’avais tué en écoutant le médecin ? Je divague, je nie, je m’énerve, oh mon Dieu où es-tu donc passé ?
La vérité aujourd’hui, mon petit enfant, c’est que tu me manques, énormément.
J’aimais l’idée que tu sois là.
J’aimais le fait d’être enceinte. J’aimais ma vie. Maintenant que tu es partie, ma vie est vide, trop vide. Il y a un grand vide en moi, je me sens comme une terre aride. Alors oui, j’ai mon mari, mon petit chien adoré, ma famille, mon travail, mais il y a toujours ce vide. On dit qu’il faut du temps pour faire son deuil. Mais ai-je vraiment envie de le faire un jour ? Ai-je vraiment envie de t’oublier ? Non. Pourtant, j’en ai déjà fait des deuils. Mais, celui-là ne se fera pas. Je ne le veux pas.
Tu es mon premier enfant et c’est tout ; je ne t’oublierai pas.
Tu resteras ma première grossesse, mon premier test, ma première annonce, mon premier enfant …
Ce que je sais, c’est qu’en l’espace de deux mois j’ai eu le temps de t’aimer. Ton départ m’a transformée et j’ai beaucoup appris. Je ne veux pas t’oublier, maintenant tu es mon ange, notre ange.
Tu seras toujours là.
Tu es au ciel et je compte sur toi pour nous protéger de là-haut. Aujourd’hui j’ai décidé de tout changer. Oui, mon petit, c’est toi qui m’as décidée. Ton départ m’a appris une chose : ma vie est magnifique telle qu’elle est. Il n’y a pas de plus beau instant que l’instant présent. J’en ai assez de me prendre la tête, d’être ailleurs, de regretter le passé, d’imaginer et d’angoisser à cause du futur, de vouloir tout prévoir, tout gérer. Ce n’est pas une vie ça, non ! J’étais si heureuse pendant cette grossesse et j’imaginais déjà que j’allais souffrir tôt ou tard.
C’est arrivé.
Plus tôt que prévu. Mais ça surprend toujours, ce genre de chose. C’est arrivé mais pas en vain.
La souffrance a du bon elle nous fait réaliser ce qu’il y a de plus important dans la vie. Oui, il y a de la lumière, même au creux de la souffrance. Dostoïevski l’avait bien dit dans Les frères Karamazov ! Cette souffrance, j’ai décidé de l’accepter, de l’accueillir même, au risque de vous choquer !
Alors…
- Assez de se préoccuper de ce que les autres pensent, assez de vouloir entasser plein de choses, assez de ne pas s’écouter, de ne pas savoir et écouter ce qui nous rend vraiment heureux.
- Assez de se calquer sur des schémas tout fait, de vouloir toujours tout gérer.
- Assez de vouloir être parfaite, de vouloir avoir toutes les compétences du monde alors qu’on est encore jeune et qu’on ne les aura jamais
- Assez de se mettre une pression monstre, de se dire qu’on n’est jamais assez
- Assez de se comparer, assez de ne pas aimer sa vie telle qu’elle est
- Assez de ne pas s’aimer soi.
Quand je regarde ma vie à présent, elle est belle.
Certes, tu n’es pas là physiquement mon petit, mais tu es avec moi. Tu m’as renforcée et je sais que tu veilles sur moi. Tu es mon ange, tu veilles à ce que je garde cette liberté intérieure que tu m’as apprise. Car oui, il y a un mois j’ai perdu un fils. Mais aujourd’hui j’ai gagné beaucoup : j’ai gagné ma liberté.
La vie n’est pas une performance, elle est faite d’embûches, de souffrance, de beauté, d’aléas et surtout de beaucoup de vulnérabilité.
Oui, nous sommes faibles, tous.
Nous ne savons pas aimer, nous ne savons pas être heureux, nous ne savons pas nous contenter de peu. Mais nous pouvons, dès aujourd’hui, essayer de nous sortir de ce brouhaha quotidien et anxiogène et contempler notre quotidien : un mari qui fait la sieste, un chien qui joue dehors, une vue sur les Pyrénées, un bon plat bien chaud qui sort du four, un bon café avec un carré de chocolat, un fou rire, une musique :
Quoi de plus beau ?
Voilà mon petit ce que tu m’as appris, il faut voir la merveille là où elle est et en être reconnaissant. Plus jamais je n’accepterai d’avoir une vie que le regard des autres dirige à ma place. Plus jamais je ne me gâcherai l’existence par peur de ne pas être aimée, plus jamais je ne laisserai le monde me rendre malheureuse alors que j’ai tout pour être heureuse. Je choisis de m’écouter, profondément, d’écouter mes désirs, mes intuitions, mes émotions. Je choisis d’avoir une vie qui me plait, loin des carcans de notre société.
Aujourd’hui, je choisis de vivre et d’aimer ma vie.
Cette vie faite d’embûches et de peine, cette vie si imparfaite et justement belle du fait de son imperfection.
Je t’aime.
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Audrey.