Café dans un préfabriqué - Fabuleuses Au Foyer
Vie de famille

Café dans un préfabriqué

Myriam Oliviéro 4 novembre 2021
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Quand elle m’a proposé un café, en ce matin glacé, je l’ai accepté volontiers. J’aime le café et, toute bien éduquée que je suis, j’ai apprécié cette offre hospitalière. Je n’étais pas obligée de le faire, après tout, j’aurais pu refuser poliment et prendre le chemin du retour au bureau avec mes collègues travailleurs sociaux.

J’aurais pu quitter en toute indifférence cet endroit qui était comme une autre planète pour moi, où les gens ne me ressemblaient pas, ne parlaient pas la même langue que moi et dont l’histoire de vie m’était en grande partie inconnue. J’aurais pu juste rentrer chez moi, la conscience tranquille après un travail accompli. 

Mais quelque chose en moi me poussait à m’attarder, me disant que ça en valait la peine.

Et c’était vrai : ce moment en valait la peine.

Cette femme qui m’accueillait sur un tapis, au milieu des valises de vêtements, de paperasse et de matelas roulés dans un coin du préfabriqué, en valait la peine. Ce n’était pas tout à fait une maison, mais c’était sa maison du moment et elle m’ouvrait sa porte, comme si j’avais été une voyageuse passant au hasard devant chez elle.

Comme si elle me disait que moi aussi j’en valais la peine.

L’accueil chaleureux ne rendait pas les choses moins déstabilisantes, peut-être même que ça venait me chercher encore un peu plus dans mes émotions et mes représentations. Me retrouver là, dans cet espace réduit, et imaginer que la vie d’une famille s’y déroulait jour après jour, avait quelque chose de presque irréel, du moins anachronique.

Quand tous les actes de la vie quotidienne se passent dans quinze mètres carrés, de la préparation des repas aux gestes d’hygiène, en passant par le couchage de cinq personnes, dont deux tout-petits, comment trouver son espace à soi ? Comment être une femme, une maman, une épouse disponible pour tous 24 heures sur 24, sans échappatoire possible ?

Et au-delà même de ce quotidien, les perspectives d’avenir étaient pleines d’incertitudes. Comment trouver l’élan et l’énergie quand on a dû fuir un pays qui ne vous reconnaît pas comme citoyen pour arriver dans un autre pays qui ne vous promet rien ?

Cette femme m’inspirait tout autant de peine que d’admiration. 

Nous nous sommes retrouvées face à face, un verre de café fumant à la main, avec les enfants qui jouaient autour de nous, entrant et sortant.

Une femme à côté d’une autre femme, une mère à côté d’une autre mère.

Nous nous sommes souri, un peu par politesse et aussi par plaisir. Nous ne pouvions pas avoir une grande discussion, mais nous avons échangé quelques mots et essayé de nous comprendre. Nous avons ri aussi de nos maladresses linguistiques et de nos articulations grimaçantes. Je me suis brûlée la langue, le verre n’était pas nickel et il y avait trop de sucre, mais je m’en suis remise. Je suis repartie le sourire aux lèvres, contente d’avoir été accueillie, d’avoir fait ce petit pas de plus qui m’avait permis de partager un moment à part dans ce monde pas toujours accueillant.

À cette époque, je revenais de deux années passées en Afrique de l’Ouest

en tant que directrice d’un centre de soins de santé primaires. J’étais à présent infirmière dans une association qui œuvre auprès des personnes sans domicile et j’avais pour mission d’amener plusieurs familles migrantes à suivre un bilan de santé. Cela devait leur permettre de bénéficier des soins dont ils avaient éventuellement besoin, mais également de franchir une étape vers le droit commun. Vers l’intégration. 

L’intégration…

Ce concept à géométrie variable qui demande à des migrants, ayant déjà franchi de multiples obstacles parfois innommables, de montrer aux diverses administrations qu’ils sont plus modèles que les modèles.

En attendant, ces familles étaient “hébergées” dans des Algeco sur un terrain vague coincé entre la rocade et la départementale. Nous venions plusieurs fois par semaine pour prendre contact avec chacune d’elles et essayer de faire avancer leurs démarches. 

J’avais déjà vécu plusieurs “chocs culturels”.

Au cours de mes voyages dans certains pays en développement, j’avais eu l’occasion d’être frappée en voyant tant de personnes vivant dans des conditions de pauvreté extrême et de m’approcher tout près de la misère. Mais cette mission en France m’a fait découvrir la détresse qui se trouve au pas de notre porte, celle qu’on ne voit pas si on ne s’y attarde pas.

J’étais certainement déjà passée à côté de ce campement, en allant faire mes courses ou en allant chez des amis, sans y prêter attention et sans penser aux réalités qui pouvaient se jouer dans cette aire de repos reconvertie en aire d’accueil pour familles exclues. Le fait de m’impliquer auprès de ces gens, humains comme moi mais à mille lieux sur d’autres aspects, m’a donné de réaliser plusieurs choses :

  • les préjugés ne tiennent pas face à une rencontre sincère et authentique
  • je peux participer à changer le monde, une personne à la fois, un acte à la fois, aussi petit peut-il sembler
  • je peux recevoir bien plus que ce que je donne, là où je pensais avoir le monopole du secours.

La rencontre avec cette femme autour de ce café à la turque

m’a donné aussi un nouvel exemple de ce dont pouvait être capable une maman dans des conditions de vie différentes des miennes.

Nous sommes toutes les mêmes d’une certaine manière :

prêtes à tout et à n’importe quel prix pour notre progéniture, nous dotant quand c’est nécessaire d’une grande flexibilité, mettant au premier plan leurs besoins avant les nôtres… C’est en tout cela que je me sentais proche d’elle. Mais je sentais aussi mon monde tellement éloigné du sien. Serais-je jamais capable d’accepter des conditions aussi difficiles ? Aurais-je la force, la foi, la sagesse pour supporter tout cela ? Impossible de répondre. Dans mon environnement privilégié, rien ne me pousse à me poser ces questions, et surtout à devoir y répondre. Mais je peux éprouver de la compassion et agir. Sans pour autant tomber dans la comparaison, je peux relativiser ma situation et éprouver de la gratitude pour ce que j’ai.

Je suis convaincue que des histoires de vie peuvent changer notre façon de voir le monde et littéralement changer le monde. L’océan est rempli de gouttes d’eau. C’est pour ça que j’ai voulu partager cette histoire. On a souvent peur de ce qu’on ne connaît pas et c’est ce qui crée et entretient les divisions et la haine. Et si on s’approchait ? Si on se rapprochait les uns des autres ?

Si, toute fabuleuse que je suis, je venais à la rencontre d’une autre fabuleuse, différente de moi mais pas moins fabuleuse ?

“Si j’avais une baguette magique, j’aurais le temps (et le courage) de me dévouer aux autres, aux grandes causes, aux gens malheureux, vraiment dans le besoin, d’aider vraiment les autres terriens qui n’ont pas ma chance…” , nous a écrit l’une de vous.

Chère Fabuleuse, j’ai une bonne nouvelle :

nous avons toutes cette baguette magique ! Un sourire offert, un regard partagé, une main tendue… Tu n’imagines même pas les supers pouvoirs que tu vas déployer en dégainant ces petites graines autour de toi. Tu peux décider, tout simplement un matin en te levant, que ta journée sera aussi tournée vers des personnes que tu ne connais pas mais qui peuvent avoir besoin d’une petite attention. Les occasions ne manqueront pas ! Et si tu as peur que cela ajoute une case à cocher de ta longue to-do list, je te garantis qu’un peu de solidarité fait du bien à tout le monde, y compris à celui qui l’exerce.

Myriam Oliviéro



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Cet article a été écrit par :
Myriam Oliviéro

Infirmière de formation et diplômée en médecine tropicale, Myriam s’est orientée vers l’action médico-sociale auprès des publics démunis. Après un séjour de 2 ans en Afrique de l’Ouest, elle s’est investie en France dans différentes associations.

Mariée à un Fabuleux infirmier et pianiste avec qui elle a 2 garçons, elle a rejoint cette année l’équipe des Fabuleuses en tant qu’assistante de rédaction.

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