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Mélissa a parcouru le livre Éduquer sans s’épuiser* (que lui a prêté Yasmine) plusieurs soirs de suite. Elle a pris des notes, et aujourd’hui, c’est décidé : elle essaye.
Elle arrive à la maison. Les enfants, comme d’habitude, s’ébrouent dans l’entrée et laissent choir leur cartable, puis leur blouson dans le couloir.
Au lieu de s’énerver ou de crier de loin, Mélissa prend une grande inspiration et se dirige calmement vers Matteo et Léa.
Elle pose sa main sur leur épaule pour attirer leur attention et leur sourit, puis elle articule avec douceur et fermeté : « S’il vous plaît, vous ramassez votre blouson et vous le mettez dans le placard. Très bien. Maintenant, vous rangez votre cartable à côté de votre lit. » À sa grande surprise, Mattéo et Léa s’exécutent sans piper mot. Estomaquée, mais prenant grand soin de ne pas le montrer, Mélissa leur sourit, leur caresse le dos affectueusement et leur dit : « Super, merci beaucoup mes chéris ! » et elle repart dans la cuisine, encore sous le choc de cette attitude toute nouvelle.
Pas de voix qui monte dans les aigus, pas de cris, pas de négociation.
Que s’est-il passé ? Mélissa a prêté attention aux antécédents : elle a travaillé sa manière de formuler sa demande à ses enfants. Elle se dit que c’est logique et repense à Sylvie, sa manager, dont l’amabilité n’est pas la première qualité. Quand Sylvie a un dossier à lui confier, elle arrive en claquant des talons dans le couloir, ouvre la porte brutalement, et mitraille Mélissa d’un flot saccadé d’instructions pressantes. Rien que d’entendre ses talons dans le couloir, Mélissa a déjà les nerfs en pelote et pas du tout envie de faire le travail qu’on lui confie. Et puis cette manière de répéter « il me le faut pour mardi, hein, pour mardi, entendu ? Et faites bien attention au cahier des charges envoyé par le client, pour mardi d’accord ? » Clac clac clac, les talons s’éloignent, un dernier « mardi au plus tard ! » parvient à ses oreilles, et Mélissa pose de côté le dossier, déjà dégoûtée. Elle y repense brutalement en entendant le cliquetis des talons de Sylvie le lundi suivant. S’ensuit une après-midi d’angoisse pour tenter de boucler cette affaire.
Eh bien, quand elle y repense, elle fait un peu la même chose avec Léa et Mattéo, parfois.
Sans doute qu’ils réagissent comme elle vis-à-vis de Sylvie ? Il lui semble avoir lu dans le bouquin de Yasmine que répéter une instruction — comme Sylvie — à un enfant est contre-productif : comme la demande n’a pas eu le temps de faire effet, et qu’elle revient en mitraille, l’enfant se déconnecte de son parent, et la répétition de la demande suscite chez lui l’envie de résister. En fait, répéter une demande, ça marche très bien pour une seule chose : pour que l’enfant n’obéisse pas.
Répéter, ce n’est donc pas la bonne méthode.
Elle repense à son attitude tout à l’heure. Voix douce et ferme, sourire, demande formulée clairement et par étapes, félicitation discrète : pas étonnant que ça ait mieux fonctionné que ses habituels ordres criés à la volée et répétés de plus en plus fort. Elle se promet d’y faire attention les jours suivants et de s’entraîner encore. Comme disait sa mamie Jacqueline qui avait toujours un dicton approprié pour chaque situation, « on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre ! » Mamie Jacqueline, sans le savoir, pratiquait à sa manière la psychologie comportementale (adaptée aux mouches.)
Toute à ses pensées, Mélissa met les coquillettes à cuire.
Puis brutalement, elle se rappelle qu’elle n’a pas entendu les enfants se disputer. C’est louche.
Y a-t-il un problème ? Plutôt que de crier de la cuisine — avec la hotte aspirante, elle va devoir beugler —, elle se déplace jusqu’à la chambre. Incroyable, mais vrai : Mattéo et Léa sont occupés à construire une station spatiale ensemble avec leurs Lego. D’habitude elle se retirerait sur la pointe des pieds pour ne pas risquer de mettre fin à ce calme inespéré. Mais là, elle leur dit : « Waouh, c’est vraiment génial de vous voir jouer aussi gentiment ensemble, vous m’épatez ! Vous avez réussi à faire une construction très impressionnante à deux, c’est du beau travail ! « Et elle passe derrière eux pour leur caresser la joue. Ici, Mélissa pratique le renforcement positif d’un bon comportement — valoriser le fait de jouer calmement ensemble au lieu de se disputer — alors que d’habitude, elle prête attention à ce qui ne va pas — les cris de putois.
Le psy du bouquin explique que quand on ne fait attention qu’aux mauvais comportements, on les renforce malgré nous puisque l’enfant obtient l’attention de son parent par ce comportement — en l’occurrence, se disputer avec son frère ou sa sœur. Il insiste beaucoup sur le fait d’identifier le bon comportement que l’on souhaite voir s’installer, qu’il nomme « opposé positif ». Pour Mattéo et Léa, l’opposé positif de « se disputer comme des chiffonniers » est « jouer ensemble gentiment ».
C’est pour cela que Melissa les félicite chaleureusement pour ce bon comportement :
elle, ce qui la rend la plus dingue, ce sont les hurlements suraigus lors des disputes, cela la fait vriller. Alors elle a décidé de mettre le paquet là-dessus, et de renforcer positivement toutes les fois où Matteo et Léa se montreront leur amour fraternel autrement qu’en se tapant sur la gueule et en glapissant.
Le reste de la soirée se passe plutôt paisiblement, et en dehors d’une nouvelle tentative de Léa pour zapper le bain que Mélissa parvient à relativiser (parce que bon, cette petite n’est pas allée bêcher des patates dans un champ boueux donc ça peut bien attendre demain), la soirée se passe sans anicroche.
Dans son lit, avec une tisane bien chaude et des chaussettes douces aux pieds, Mélissa feuillette de nouveau le livre prêté par Yasmine. Elle réfléchit pour l’histoire du bain de Léa, et de l’attitude parfois impulsive de Mattéo. Quels seraient les outils qui permettraient de mettre un peu d’huile dans les rouages ?
Rendez-vous vendredi prochain pour la suite…
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