« J’veux un enfant »
« J’veux pas d’enfant »
« Pourquoi j’ai mes règles ? »
« Pourquoi j’les ai pas ? »
« Vivement que j’les ai plus ! »
J’ai souvent pensé que ces questions prenaient racine au fin fond de cet espace corporel, singulièrement féminin, à savoir l’utérus. Pas plus gros qu’une orange, il nous renvoie de façon cyclique et régulière à la mère potentielle que nous pourrions devenir. Cela pendant 40 ans.
De quoi meubler quelques heures, non ?
Sa vitalité se confirme par l’apparition et l’évolution de signes concrets que nous pouvons observer et interpréter dans nos sous-vêtements : la présence ou l’absence de glaire, l’ovulation, les règles, ou encore les différentes douleurs qui l’agrémentent.
Et tandis que nos jeunes filles piaffent à l’arrivée de leurs premières « ragnagnas », d’autres fabuleuses paieraient cher pour ne plus les avoir, quand celles de cinquante ans peinent sous les bouffées de chaleurs et l’inconfort de la ménopause, signe avant-coureur d’un temps révolu, qu’elles désignent parfois avec humour en s’exclamant :
« La machine est cassée ! »
L’utérus rythme le temps de la femme, conditionne son rapport au corps, au monde, aux autres. Il la monopolise psychiquement et physiquement. À cause ou grâce à lui, la femme se posera des milliers de questions :
- Quand vais-je avoir mes premières règles ?
- Pourquoi les ai-je encore ?
- Mon dieu, j’ai du retard ! ?
- Pff, j’ai mes règles ! Vivement que j’les ai plus…
Être réglée pour entrer dans le monde des femmes puis ne plus l’être pour entrer dans celui des mères. Pendant un temps… Pour, un jour, ne plus jamais voir ce sang qui coule.
Je suis femme
Avec ce potentiel utérin d’accueillir la vie : être féconde. Certaines femmes jubileront en regardant s’épanouir leur ventre généreux, tandis que d’autres redouteront une maternité supplémentaire ou trop rapprochée de la précédente. Dans l’intimité, ce sont des larmes que verseront certaines fabuleuses, celles dont l’enfant ne vient pas, guettant chaque mois le flux redouté dans leurs linges, signe de l’absence du fruit désiré. Un bébé.
Un point commun, pourtant :
Nous sommes femmes, et parce que nous avons un utérus, nous voilà tenaillées par le désir ou le non désir d’enfant, préoccupées par la maternité qui advient ou tarde à se réaliser, parfois ambivalente, quand elle ne jaillit pas sans crier gare.
Nous sommes femmes, travaillées par le cycle menstruel et ses cabrioles hormonales, par la grossesse quand notre corps, devenu terre d’accueil, évolue au gré de l’enfant qui prend place.
La femme s’accorde et s’accommode.
Elle retire de ces expériences souplesse et adaptation aux autres et au monde. C’est une vraie richesse, une force, mais aussi un point d’ambivalence, de vulnérabilité, voir de fragilité : à force de trop donner, la femme parfois se perd.
Nous sommes femme, féconde et mère
L’utérus nous dispose à la maternité, à la penser, à la vivre, comme une possibilité d’engendrer, mais aussi d’accompagner la vie.
Engendrer, c’est-à-dire recevoir, porter et donner la vie. C’est ce qui correspond à la fécondité biologique.
Puis accompagner la vie : à travers la présence aimante auprès de son enfant qui grandit, qui devient même adulte. Cette présence est une déclinaison évidente de la fécondité : celle d’une mère ayant adopté, par exemple. Ce qui permet de mettre en lumière un trait essentiel de la maternité et de la fécondité : l’altérité.
En effet, l’idée de cette maternité potentielle, posée dans notre propre corps nous force à penser l’expérience d’une rencontre possible, intime et intérieure, avec un autre si proche et si différent. Que l’on devienne mère ou pas, cette question, travaillée dans nos tripes, et rappelée par le cycle menstruel, nous éveille tout particulièrement à l’accueil, au lien, mais aussi à sa façon d’y répondre :
« Ai-je envie de devenir mère ? Où se loge mon désir ? »
Une amie sans enfant m’expliquait combien le renoncement à la maternité dans ce qu’elle avait de biologique avait pu, de temps à autre, provoquer un manque, une souffrance. Mais plutôt que de s’en plaindre, elle avait décidé de se laisser creuser par ce manque afin de le transformer en lieu de réceptivité : accepter de se laisser toucher par des personnes qu’elle pouvait rencontrer ou accompagner. Donner ce qu’elle pouvait donner, en terme de présence, d’écoute ou de temps. Mais également, accepter de s’en détacher en les laissant repartir.
Ces propos me semblent dire l’essentiel. La réceptivité qu’implique notre corps fécond peut devenir réelle à travers l’accueil d’un enfant dans notre utérus. Mais plus largement, l’utérus nous conditionne à penser le creux, le manque, le désir de l’autre, l’accueil, le lien, gratuitement.
Donner du fruit au travers et au-delà de notre corps.
Être femme, c’est donc poser sur son propre corps et dans sa propre vie la question d’une altérité plurielle, que l’on pourrait décliner ainsi :
- L’altérité de la femme qui doit s’apprivoiser « Autre » car femme, mère et féconde.
- L’altérité de l’enfant dont elle porte en elle la capacité de l’accueil, corps et/ou cœur.
- L’altérité de l’homme, l’amant, l’époux, le père, qu’il importe de considérer, afin que chacun puisse se reconnaître et s’accompagner mutuellement.
L’utérus est à l’image d’une place vacante que nous portons, lieu de rencontre, de désir, de questions et de dialogue avec celle que je suis.