Minuscule, le poil n’est, pour certaines femmes, qu’un détail corporel presque modeste, s’étalant de façon clairsemée sur leurs gambettes. Pour d’autres, le voilà disposé en brassées généreuses, telles des herbes folles, plantées sous les aisselles ou dégringolant de façon majestueuse le long du Mont de Vénus. Notre vulve en deviendrait printanière…
Quoiqu’il en soit, “avec ou sans poils ?”, le débat fait rage : les poils, on aime ou on n’aime pas.
Si de nombreuses femmes choisissent encore l’épilation intégrale, il semblerait que la mode soit désormais de laisser fleurir librement nos tiges pileuses : en 2021, une étude IFOP rapportait que les femmes s’épilent de moins en moins.
Les poils : utiles ou facultatifs ?
Les poils sont associés à différents univers plus ou moins fantasmatiques. Notre amour pour eux varie selon l’époque dans laquelle nous vivons, notre culture, nos traditions, et change selon nos représentations.
Leur apparition au moment de la puberté est néanmoins importante :
elle signifie la transformation du corps de la petite fille en corps de femme.
Bien que l’on interroge parfois le fondement de leur utilité, leur rôle serait de protéger la peau délicate de notre sexe de femme, d’en maintenir l’hydratation tout en le préservant des petites impuretés. Nos poils auraient, de surcroît, la particularité de capter l’odeur des organes sexuels, fonction érotique s’il en est. Bref, loin d’être inutiles, les poils remplissent de véritables missions.
Le poil : la charge symbolique
Fondamentalement, la femme est libre de s’épiler. En revanche, il me semble intéressant de questionner les différentes figurations que nous avons d’un sexe poilu.
C’est ainsi que dans mes accompagnements, le poil est souvent associé au masculin, comme un étendard de la virilité. Une femme qui en possède beaucoup, et pour qui cette façon de voir les choses fait sens, en sera vite complexée : « Comment me sentir femme alors que mon corps déborde de ce qui me semble appartenir aux hommes ? ». Les réactions sont diverses. Rasage immédiat ? Partiel, semi-partiel ou total ?
Les choix ne manquent pas, de l’épilation brésilienne au ticket de métro, chacune a sa préférence.
Autre femme, autre considération : le poil est parfois envisagé comme un attribut inesthétique ou non hygiéniste. La peau glabre est de rigueur afin de paraître aussi douce et propre que possible. Une peau sans poil est signe d’élégance, secrètement porteuse de promesses sensuelles et de caresses soyeuses à en rougir de plaisir.
Pour Sara Piazza*, psychologue clinicienne, la toison pubienne a toujours été investie d’un fort pouvoir érotique, comparable à celui de la chevelure, suscitant à la fois fascination et horreur. Pour elle, le poil pubien à de l’appartenance de la femme à la nature, une nature indomptable, sauvage et donc dangereuse. L’épilation serait un moyen de protéger la femme (et l’homme par la même occasion…) de ses capacités et instincts sexuels supposés débordants et de l’inscrire ainsi du côté de la culture cadrée et civilisée.
Autrement dit, les femmes poilues seraient de vraies sorcières déchaînées à dominer. Autant les raser…
Poil et sexualité
Le poil pubien est également relié à notre intimité sexuelle. Quand il apparaît, même discrètement, au niveau de l’entre-jambe, hors du mini bikini estival, c’est un peu comme si le sexe se dévoilait. Pire, me dit Élodie, jeune trentenaire, il pourrait devenir invitation :
« Coucou, je suis là, qui vient me rejoindre ? ». On comprend que dans cette vision, certaines préfèrent tondre leur toison précieuse afin de faire bronzette en toute tranquillité.
Le poil, ou plutôt, l’absence de poil, renvoie de façon régulière à la culture porno.
Le sexe ne possède plus son attribut de corps mature, l’idée étant que le regard accède immédiatement à la vulve (rose et neuve, bien entendu). Le corps se morcelle et la pulsion s’engouffre immédiatement dans ces images partielles, dont le seul but est d’exciter puis de soulager celui (ou celle) qui les consomme. Pour telle femme, ce parallèle soutiendra son érotisme. Pour telle autre, hors de question de ressembler à ces bimbos : « Jamais sans mes poils » pourrait-elle s’écrier. Le poil fait pour elle partie de sa spécificité féminine et devient un marqueur de sa capacité à être libre et détachée des injonctions.
Nos poils et nos hommes
Certains hommes ne sont pas à l’aise avec ces petits bois touffus, un brin obscurs et inquiétants. Comment s’aventurer plus loin si le chemin n’est pas engageant ? « C’est moins doux, ça me semble sale, c’est presque viril. » Et si les poils leur croquaient leur petit bout ? On reconnaît là le fantasme bien connu du vagin denté, dévorant, tout puissant et castrateur, expression d’une véritable angoisse à l’égard du sexe de la femme et plus largement de la sexualité.
Réconciliation avec nos poils
De nombreux hommes, comme de nombreuses femmes, apprécient tout de même cette maturité du corps à la pilosité broussailleuse et la considèrent comme l’expression d’une sexualité possible, adulte et assumée.
Exit la perception laide et complexée que nous en avons, notre mépris de la chair au profit de l’intellect, le dénigrement de notre corps imparfait au profit d’une représentation fantasmée, la peur du sexe tout puissant :
vive la sexualité vibrante et longue vie aux poils.
Les plus grands poètes ont contribué à rendre au poil ses lettres de noblesses, grâce à leurs merveilleux vers sur le sexe féminin, poilu, bien entendu. (Re)lisons “mousse géante” de Pablo Néruda ou encore “riche toison” de Baudelaire.
La tentation de comparer notre sexe à d’autres sexes, normés, enfermés dans des injonctions sociétales est grande. Celle de suivre la mode ou de répondre au désir de la personne que nous aimons aussi. Mais ne l’oubliez pas : avec ou sans poils, c’est vous qui décidez. Chaque vulve est unique à l’image de la singularité de nos visages : assumer son sexe de femme, avec sa maturité, sa différence, dépasser les canons esthétiques ou les injonctions dont nous sommes martelées est un chemin de vraie libération.
* Images et normes du sexe féminin : un effet du contemporain ?, de Sara Piazza, Cliniques méditerranéennes, paru en 2014 aux éditions Erès