Quand j’étais petite, nous avions quelques disques vinyles d’histoires de Disney racontées par des gens célèbres. Mon préféré ? Les Aristochats, lus par Louis de Funès. Mais celui qui m’a le plus intrigué était Alice au pays des merveilles. J’ai tremblé plus d’une fois de savoir Alice en grande difficulté, coincée trop grande dans la maison ou trop petite pour s’échapper, poursuivie par la reine de cœur…
Il m’arrive encore de chantonner « En retard en retard, je suis toujours en retard » en courant pour essayer d’arriver à l’heure au rendez-vous donné.
Pourtant, ces derniers jours, semaines, mois, j’ai moins l’impression d’être un gros lapin blanc trimbalant sa montre mais plutôt de me retrouver comme Alice, poursuivie par la méchante reine de cœur.
Aucun moyen de me sortir de ce monde menaçant.
Aucune sortie indiquée, aucune idée de la durée. Autour de moi, le grondement sans fin des mécontents, les appels à l’aide, les larmes, les angoisses qui s’élèvent par vague et qui s’écrasent les unes après les autres contre mes tympans trop stressés. On cherche du regard les panneaux à suivre mais ils se contredisent, quand on s’en approche, les lettres deviennent floues et le sens change de nouveau.
Je suis Alice au pays des merveilles et je me perds sans fin.
Il y a quelques mois, je t’écrivais cet article au titre prometteur : On va la gravir cette putain de montagne. Et quelque part, on l’a gravie. On en a payé le prix fort, certains plus que d’autres, on s’est saigné, on est arrivé aux bouts de nos forces mais on a tenu, on est arrivé à un plateau… enfin une acalmie (un peu ou pas), du soulagement (quand même oui), et de la joie (des petites choses qu’on pouvait enfin refaire).
Et bam, octobre 2020, on se retrouve devant la prochaine putain de montagne à gravir.
Roulement de tambour : « C’est reparti pour un tour ».
Ça me rappelle l’extraction de mes dents de sagesse, organisée sur 2 rendez-vous plus ou moins éloignés. La première fois, tu y vas sans savoir, un peu naïvement, tendue mais pleine d’espoir. La deuxième fois par contre, tu as encore dans les os les souvenirs, les bruits, les douleurs d’après, la couleur de tes bajoues. Tu as beau te dire « J’ai déjà survécu au truc, je sais que ça ira bien, ça passe », au fond tu penses : « Cette fois, ce sera sans moi… ce serait si grave si on me laissait ces deux dents de sagesse-là ? ».
« Cette fois, ce sera sans moi ! »
Quand Hélène m’a parlé de réécrire un article du style « On va encore la gravir cette putain de montagne », je lui ai répondu, je crois que je vais plutôt écrire :
« Vous n’avez qu’à la franchir sans moi, cette putain de montagne ».
Je ris un peu de ma blague idiote mais je sens cette immense fatigue chez les Fabuleuses, chez certaines de mes connaissances, comme un point très bas dans lequel l’humeur a glissé trop vite.
« Cette fois-ci, ce sera sans moi le confinement les gars, j’ai pas la force, une fois, j’ai pu tenir, j’ai plus ou moins gardé le cap mais deux fois, je vais couler je crois. »
Comme commencer un marathon après avoir nagé les 24h de Trifouilly-les-Oies et gagné le concours du plus grand mangeur de hot-dogs de la région.
On n’a plus les forces pour ça.
On se sent comme des passoires, notre peu d’énergie s’échappe par les trous qui se multiplient à chaque nouvelle information ou mise en garde qui croise notre chemin. Parce qu’ils sont partout les propos alarmistes, colériques, angoissants, fatigants, attristants… Et que les émotions des autres me vident.
La révolte de certains me fait palpiter le coeur, l’impuissance des indépendants me touche, les larmes des infirmières à bout de forces m’émeuvent, la solitude des mamies m’inquiète et les appels à l’aide des parents d’enfants porteurs de handicap me prennent aux tripes. Et c’est juste le cœur de notre humanité. C’est parce que tous ces discours, toutes ces images, tous ces appels sont gorgés d’émotions et que l’émotion des autres fait « vibrer » nos émotions à nous (merci à nos neurones miroirs qui créent cet effet « contamination », cela ne nous laisse pas de marbre devant le ressenti des autres).
Je suis Alice au pays du Covid et c’est un virus qui y porte la couronne.
Il détricote mon quotidien et il crie bien fort « Tu ne t’en sortiras jamais ! ». Mais si je suis Alice, un peu perdue, fort fatiguée, et le cerveau comme des spaghetti bolognaise du trop plein d’informations, je suis Alice et je vis ma vie ! Je peux encore modeler mon propre vécu, respirer l’air qui m’entoure, me rassurer, chercher et trouver de l’aide. Je ne suis pas seule à ne pas trop savoir où aller dans le pays du Covid.
Et toi non plus, tu ne l’es pas…
Pas besoin de tout gérer seule ma Fabuleuse, on va se chercher notre « tribu », nos petits chemins de traverse, notre tandem. Je pense particulièrement à celui que je forme avec mon amie Caroline : un « ça va chez toi ? », un « purée, aujourd’hui c’est moi qui suis au creux de la vague », un « ça va passer, tu peux aller faire un tour toute seule ? », une blague par-ci, un bon article par-là, et parfois juste pouvoir vomir sur les chaussures de l’autre mes mille et un soucis…
C’est l’avantage du tandem : parfois on pédale à deux, parfois elle pédale un peu plus vite parce que moi je fais grève et oui, parfois c’est moi qui donne tout pour qu’elle puisse se reposer un peu. On est là, souvent, on partage, on ose dire quand c’est pas top top l’ambiance. On se fait même des remises de prix, le “caliméro de platine” étant la plus grande distinction des humeurs catastrophiques.
Cette fois-ci, cette putain de montagne, elle nous appelle plus encore à transformer nos « moi, je » en « nous », en « notre tribu », « notre village ».
On va avoir besoin les uns des autres…
..on va devoir apprendre à entendre et à dire : « En fait, là, j’aurais bien besoin de quelqu’un qui me serre tout fort tout contre son cœur et me dise que tout ira bien ». On va apprendre à répondre : « Apprends-moi à t’encourager ». Et on va humblement devoir apprendre à dire aussi : « Maintenant, c’est moi qui aurais bien besoin de… ».
Je finirai cet article avec quelques mots, que j’ai postés sur Facebook samedi dernier. Comme on le sait, les réseaux sociaux ont leur bons côtés mais c’est aussi parfois un peu l’enfer à portée de la main (tu n’imagines pas combien de fois j’ai utilisé la fonction « Cacher les publications d’XY pendant 30 jours » depuis le début du Covid pour sauver les quelques nerfs intacts qui me restent).
Ce samedi matin, je réfléchissais à tout cela.
Les nouvelles mesures sanitaires belges et françaises venaient de tomber, la perspective d’un mois de novembre difficile se profilait donc très clairement à l’horizon. Mais au fond, c’est encore ma vie, c’est à moi de décider comment réagir. C’est encore ta vie, tu peux encore décider de la manière dont tu vas réagir à cette énorme montagne que nous devons gravir de nouveau… Alors voici :
« Respect, partage, confiance, douceur, politesse, solidarité… Personne n’est égal face à l’adversité actuelle… Ne juge pas, ne crache pas ta colère à tout va, ne retrouve pas un semblant de contrôle en critiquant tout, cherche ton propre chemin pour ralentir les montées d’angoisse, demande de l’aide si tu as besoin, ne minimise pas l’impact de la situation mondiale sur ton petit toi au fond de tes tripes et de ton cœur. Respire, aime, parle, ris, aide, change tes plans, construits-en d’autres. C’est encore ta vie, ce sont encore tes heures, tes amis, tes enfants… Et c’est un don. N’oublie pas de dire merci… Malgré tout. »