On ne présente plus Agathe Lecaron, animatrice de La Maison des Maternelles depuis six ans sur France 5. Maman de Gaspard et Félix, huit et bientôt six ans, mompreneuse avec sa marque de vêtements éthiques RonRon, Agathe Lecaron est aussi attentive à faire émerger un discours vrai sur la maternité. Celle que la maternité a rendue « moins con-con » cherche au quotidien à modérer les injonctions et l’image d’Epinal de bonheur parfait qui pèsent sur les mères.
Maman à quarante ans, vous dites que vous auriez préféré avoir vos enfants plus tôt. Vous parlez de la peur de “rater” votre carrière. Faut-il faire évoluer le monde du travail ?
Je fais un métier particulier qui impose d’occuper le terrain au risque d’être oubliée, au sein d’une société où l’apparence prime sur tout le reste. J’avais peur de ce qui arriverait si je ne pouvais pas travailler pendant trois mois. Peur de ne plus séduire, d’être oubliée et de ne plus avoir assez pour vivre. J’étais très remplie par mon métier parce qu’il m’angoissait. Mes envies de maternité ne se sont pas beaucoup exprimées à ce moment-là.
Plus largement, dans le monde professionnel, la peur de tomber enceinte et les inégalités disparaîtraient si le congé paternité était obligatoire. Cela mettrait homme et femme sur un pied d’égalité et empêcherait qu’une femme soit pénalisée pour obtenir une augmentation, une promotion ou une embauche. Aujourd’hui, le congé paternité dure plus longtemps qu’avant, mais le problème est qu’il n’est pas pris, parce que c’est mal vu.
Vous dites que la maternité vous a permis de faire un tri entre ce qui était superficiel et ce qui était profondément votre identité. Qu’est ce qu’un enfant nous pousse à abandonner selon vous ?
Une naissance est généralement pour une mère une forme de renaissance. Naturellement, on n’a plus le temps et peut-être plus le goût de se préoccuper de choses superficielles parce qu’on est plongée dans l’essence de la vie, parfois violemment, et on se décentre au profit de son enfant. Mes petits complexes, mon petit côté autocentré, ont été balayés par cette tempête affective.
Je trouve que j’ai gagné en épaisseur, je suis une femme un peu moins con-con. Je me suis révélée. Après un enfant, on sait beaucoup mieux qui on est, on n’a plus besoin de « feinter ». La maternité donne tellement de sens à une vie, que les vergetures et les kilos en trop passent au second plan là où, avant la grossesse, cela pouvait être obsession. Finalement ce que j’ai abandonné, ce sont mes complexes. À chaque grossesse j’ai pris 30 kg, mais ça me faisait rigoler. Je trouvais ça marrant, chouette. Évidemment maintenant j’ai des stigmates mais quelque part ça m’émeut. Ce sont les traces de mes enfants.
Dans l’émission, je dis souvent aux femmes d’être plus douces avec elles-mêmes.
Vous dites que votre désir d’enfant est né véritablement grâce à votre rencontre avec leur père, et que le regard de votre mari a été fondamental quand vous êtes devenue maman. Quelle est la place du père dans votre identité de mère ?
Je pense que mon envie de maternité est passée par cette rencontre. Il n’y a pas de hasard, c’était avec cette personne-là qu’il fallait se lancer. L’amour, ce n’est pas qu’une rencontre. C’est une question de moment aussi. C’est ce petit miracle qui fait qu’on se rencontre au moment de notre vie où on a les mêmes envies. Très vite, on a eu envie de fonder une famille. La place du père dans mon histoire est cruciale. Il n’y a personne que j’admire plus que les femmes qui font des bébés toute seule, les parents solos, je pense que j’en aurais été incapable. Je n’aurais jamais pu être une aussi bonne mère, même si elle n’est pas parfaite, si je n’avais pas eu une épaule à mes côtés, pour partager mes préceptes d’éducation, les mettre en perspective, faire les bons choix.
Dans votre livre “Maman, Papa, on joue à quoi”, vous parlez de ce sentiment de culpabilité permanent. Où nait ce discours culpabilisant selon lequel on devrait toujours être prêt à jouer au Monopoly en rentrant chez soi après le boulot ?
Ce discours est porté par l’entourage essentiellement, qui lui-même est nourri par certains experts culpabilisants.
Oui, les injonctions viennent de certains médias dont je fais partie. De certains bouquins, de certaines lois. Il faut prendre du recul sur le discours de ceux qui viennent s’exprimer sur un plateau télé pour dire qu’il ne faut jamais mettre les enfants devant les écrans. Il y a l’idéal, et puis il y a la vie quotidienne. Si vous, vous êtes crevée après vous être tapée deux heures de transport, que vous vous êtes fait harceler par votre patron et que vous retrouvez le soir votre enfant hyper turbulent qui fait une crise de nerfs, eh bien de temps en temps ce n’est pas grave de le mettre devant un dessin animé. Sur le plateau de la Maison des Maternelles j’ai pu recevoir de tels experts, mais je prends toujours soin de modérer.
Il y a aussi le fait qu’historiquement tout ce qui tourne autour de la grossesse et de l’accouchement est censé être source d’un bonheur extrême. Ce sont nos arrière-arrière-grands-mères qui nous ont transmis ça de mère en fille, en oubliant d’ailleurs elles-mêmes les mères qu’elles ont été. L’instinct maternel est une création historique, ce n’est pas la vérité. Heureusement, il y a des Elisabeth Badinter qui sont passées par là et qui ont fait énormément de bien en disant que « l’instinct maternel n’existe pas, certaines mères ne créent pas le lien tout de suite et cela ne fait pas d’elles de mauvaises mères ».
Quand vous parlez de votre livre, vous dites « on est toutes dans le même bateau ». Pensez-vous que les femmes soient assez solidaires dans cette aventure de la maternité ?
En réalité, je ne suis pas sûre que les femmes soient si solidaires. Il faut d’abord que les langues se délient. Il y a des femmes qui sont encore tellement « imbibées » par ces injonctions à être heureuses, qu’elles n’avoueront pas que c’est difficile. C’est pour cela que le nombre de dépressions post-partum explose : on n’a pas le droit de ne pas être heureuses. Pour moi, la maternité a été une vraie tempête. Quand on accouche, ça appuie sur notre propre histoire, sur des choses qu’on n’a pas réglées avec ses propres parents, sur de vieux traumatismes…
Quand on aura fait tomber tous ces clichés du type « l’accouchement c’est génial, le couple prend de l’épaisseur », on pourra être solidaires. Il faut reconnaître que dans la plupart des cas, il y a tout un équilibre à retrouver dans le couple. Pour certains c’est horrible, on ne dort pas, on est crevés, on ne se retrouve plus physiquement, on ne sait plus qui on est. Je crois que la Maison des Maternelles fait beaucoup de bien. À travers cette émission, je me sens investie de la mission d’entourer les femmes et de leur dire la vérité.
Vous dites que vous vous parlez à vous même pour vous encourager dans votre rôle de maman. Vous vous dites quoi ?
Imaginons : je suis énervée contre mon producteur. Comme je suis très spontanée, je dois faire attention, donc je me dis dans ma voiture « ok, ça me gonfle mais je ne vais pas l’agresser ». En général ça me permet de ne pas le faire.
Ça peut être aussi : « Je suis à bout parce que mon enfant chouine et j’ai horreur de ça, mais je ne vais pas m’énerver parce que ça va me plomber ».
C’est la petite voix de la sagesse qu’il faut activer parfois pour garder son sang-froid parce qu’il y a des tremplins à énervement partout : le travail, le contexte hyper anxiogène, l’enfant qui chouine… C’est assez facile de péter un plomb.
Quelle est votre astuce pour survivre à une journée pourrie ?
Le mensonge. Je mens à tout le monde. À mon mari, à mes enfants, à mon producteur…
Je suis tout à fait capable, si j’ai une journée pourrie, de dire à mes enfants que j’ai du travail et que je dois m’enfermer dans mon bureau, alors que c’est absolument faux. Je ne vais pas du tout travailler, je vais me mettre dans un bain et regarder la série la plus débile que je puisse trouver sur toutes les plateformes confondues. Je les mets devant un dessin animé, et quand ils viennent me dire derrière la porte « mais maman, tu dois encore travailler longtemps ? », je regarde combien de temps il reste sur ma série, et je leur réponds : « dans 1/4h, j’envoie encore mes mails et j’arrive ». Résultat, je sors de mon bain toute contente, eux n’ont rien capté et tout va bien. C’est important de se créer des sas de décompression. On a quand même inventé le mensonge pour se faciliter un peu la vie. Vous pouvez regarder un épisode de Plus belle la vie tranquille dans votre bain, personne ne vous dérange, tout le monde croit que vous êtes très occupée, et en plus il est possible qu’on vous plaigne après.
Les pépites d’Agathe Lecaron :
Un film : j’aime bien ceux qu’on peut regarder en famille. Privilégier les activités ensemble, ça aide à garder le lien avec nos enfants, ça compense les mensonges du bain et de Plus Belle la vie. Selon les âges, on peut passer un bon moment en regardant M. Popper et ses pingouins avec Jim Carrey, Rasta Rocket ou Retour vers le futur.
Une citation : j’ai plutôt un mantra : « Agathe Lecaron triomphe toujours à la fin », parce que j’ai l’impression de me battre pour tout. Ça fait très soap opera, j’adore.