Te souviens-tu de ces artistes qui, au cirque, font tourner des assiettes au bout de longues baguettes ? Ils commencent avec une, puis deux, puis quatre, puis huit assiettes, et elles restent miraculeusement en équilibre. Ils arrivent à se contorsionner sans jamais faire tomber une seule de ces put**ns d’assiettes, concentrés et avec un sourire serein collé sur la face, et moi, ça m’énerve toujours, parce que jongler avec deux balles en caoutchouc est déjà très au-delà de mes capacités motrices.
Ce n’est pas humain d’arriver à faire un truc pareil, on est d’accord ? Eh bien les parents qui arrivent à gérer toutes les activités de leurs enfants dans le calme et la douceur me font le même effet.
Ils m’énervent, mais c’est pure jalousie.
Quand ma fille était petite, arriver à l’école à l’heure était déjà un challenge. Elle était en CM2, Chaton était à la crèche et Lapin, nouveau-né. Préparer tout le monde le matin, obtenir que les chaussures soient mises, attacher le cosy dans la voiture (en espérant ne pas avoir à gratter le pare-brise) et partir à l’heure était déjà un challenge de haut vol. J’arrivais en général devant l’école à 8h30, sortais de ma voiture comme un diable de sa boîte, extirpais ma gamine et son cartable et après un bisou, lui criais : « Cours, cours ! » et je la regardais trotter vers l’école dont la porte était déjà fermée. Ouf, un parent sortait toujours au bon moment et la laissait rentrer. Je pouvais alors souffler et retourner vers la voiture et mes deux marmots pour la suite des opérations : la crèche. Rebelote, voiture, se garer, sortir le cosy de Lapin, sortir Chaton, le déshabiller, faire les transmissions, repartir sans oublier le cosy et Lapin, voiture, trouver une place, et enfin, m’écrouler dans le canapé pour souffler. À 9h, j’avais la sensation d’être déjà épuisée par ma journée.
Alors autant te dire que les activités de loisirs en semaine, durant très longtemps, sont restées de la science-fiction et se sont limitées à patauger dans la baignoire avec de la mousse, manger des chips et du saucisson, et regarder un dessin animé le vendredi soir, activités fédératrices au possible.
Plus tard, nous avons commencé les activités, tranquillou.
Une seule activité par enfant, tel était notre credo. Poupette allait à la danse parce que ses copines y allaient et parce que ça me donnait un bon prétexte pour verser une larme d’émotion au spectacle de fin d’année. Les garçons vont au tennis parce que leur père fantasme sur le fait de pouvoir échanger quelques balles avec eux le week-end, quand il sera un retraité dynamique accueillant ses grands gaillards de fils au doux soleil d’une soirée de septembre.
Et c’est tout.
Alors parfois, je me dis que nous n’avons pas assez développé leurs dons, qu’on est des parents un peu médiocres et pas assez investis. On aurait pu les inscrire au théâtre, pour qu’ils acquièrent de l’aisance en public, ou à un sport de combat, qu’ils sachent se défendre, ou à des cours d’aquarelle, pour stimuler leur sensibilité artistique…
MAIS, car il y a un mais.
Ils n’ont jamais été spécialement demandeurs de ces activités. Lire une BD, allongés sur le canapé, ça leur allait très bien. On va dire que nos enfants ont la fibre contemplative (ou la fibre smartphone, selon leur âge). Et au fond, cela nous arrangeait bien puisque cela nous (me) permettait de souffler un peu. Alors, pourquoi nous infliger pareils tourments ? Tss tss tss, pas folle la guêpe ! Moi, j’économise mes forces. J’ai bien tenté, l’année passée, d’emmener les petits à un cours d’anglais le jeudi à 18h. Il s’est révélé que c’était une galère épouvantable pour moi, et que cette heure d’anglais, si elle n’a pas été déplaisante pour les garçons — tu remarqueras que je ne dis pas non plus qu’ils ont aimé, ce serait excessif — m’a demandé une énergie tout à fait disproportionnée avec le résultat, puisque, scoop : ils ne sont pas devenus bilingues.
Cette année, j’ai donc décidé de revoir mes ambitions à la baisse (c’est mon mantra) pour me concentrer sur l’essentiel.
Le numéro d’équilibriste des activités ne dépend pas que de toi et de ta volonté, chère Fabuleuse. Il dépend de tant d’autres facteurs, à commencer par le budget !
Mais il y a encore d’autres choses dans la balance.
Estelle a réussi à trouver un équilibre, car elle partage toutes les tâches concernant les enfants, que ce soit les amener au sport ou chez l’orthophoniste, de manière égale avec son conjoint. C’était sa condition pour avoir un second enfant. En revanche, elle ne peut pas compter sur le soutien des grands-parents : sa maman habite très loin et son mari n’a plus ses parents. Ils limitent donc les activités extra-scolaires dans la mesure de ce que leur permet la relative souplesse offerte par le télétravail.
Clémentine, maman de trois enfants, a remarqué que son enthousiasme fervent de la fin-août, dopé par les vacances, se dégonflait rapidement. À trop vouloir en faire, elle en arrivait à s’épuiser. Par conséquent, elle a appris à limiter le nombre d’activités extrascolaires. Elle a réussi, après une thérapie, à faire taire la petite voix culpabilisante qui lui susurrait de ne pas mettre sa dernière au centre de loisirs le mercredi, pour pouvoir profiter d’une journée calme avec ses deux grandes.
Quant à moi, sans possibilité de partager les trajets avec mon mari qui est absent toute la semaine, et après cette expérience peu concluante de cours d’anglais, j’ai préféré faire une croix sur les activités le soir. Tout se passe donc uniquement le samedi matin, et à pied. Je garde mes créneaux de semaine pour les visites chez l’orthodontiste et autres impératifs médicaux (et toi-même tu sais qu’avec plusieurs enfants, ça occupe !)
Ces quelques instants sans enfants nous permettent, non pas de filer repasser le linge qui attend sagement dans la corbeille (t’ai-je déjà dit que le repassage ne servait à rien ?), mais de prendre une bière avec des amis dont les enfants sont au même cours que nous. Ok, 11h15 c’est un peu tôt, mais à la guerre comme à la guerre. Et ça, ça me donnerait presque envie d’inscrire les enfants à d’autres activités en semaine !