La question de l’addiction ne touche pas que les autres. Le rapport parfois un peu obsessionnel, sans parler nécessairement d’esclavage ou d’aliénation totale, que nous entretenons (parfois) avec notre smartphone, peut parfois nous sauter à la figure. Il suffit qu’un petit événement vienne placer sous le microscope nos comportements bien ancrés. Accro, moi ?
Août 2022. Quelque part entre La Roque-Gageac et Castelnaud la Chapelle, dans le Périgord noir.
Mon grand et moi glissons en canoë sur la Dordogne, pagaies en cadence, cheveux au vent, sourire aux lèvres.
Nous sommes entourés d’une vingtaine de nos amis. Je respire à pleins poumons cette bouffée de bonheur et me dis qu’à coup sûr, cette virée sera l’un de mes plus beaux souvenirs de vacances.
Le décor autour de nous est superbe. Les berges sont encore verdoyantes tandis que la sécheresse sévit partout ailleurs et il nous suffit de lever les yeux pour découvrir les façades imposantes des châteaux qui se dressent face à nous : Beynac, Castelnaud et bientôt le Château des Milandes, la célèbre demeure de Joséphine Baker.
Nous sommes en plein paysage de carte postale. Je n’ai alors qu’une envie : faire une photo de cet instant. Je sors mon iPhone du bidon plastique dans lequel il est soigneusement rangé et je prends quelques clichés.
C’est alors que tout bascule. Le courant s’accélère, nous emporte, notre canoë heurte un tronc d’arbre couché au milieu de la rivière. Nous avons beau pagayer de toutes nos forces, rien n’y fait, nous sommes bloqués. Notre canoë se remplit d’eau à une vitesse vertigineuse et quelques secondes plus tard nous chavirons.
Blurp, blurp, blurp.
Nous nous retrouvons à l’eau et buvons tous les deux la tasse.
Notre canoë continue sa course sans que nous puissions le rattraper et nos affaires flottent à la surface. Nous nous regardons mon fils et moi. Je ne lis pas de peur panique dans son regard. Je suis rassurée : il va bien. Tout va bien.
Heureusement, chère lectrice, cette histoire s’est bien terminée et nous avons pu poursuivre notre balade une fois remis de nos émotions. Cette sortie a bien été l’un des temps forts de notre été, et pas seulement pour les raisons que j’imaginais au départ.
Pourquoi est-ce que je te raconte cela ?
Et bien, parce que de cette drôle de mésaventure, j’ai tiré deux grands enseignements. Deux prises de conscience que j’aimerais partager avec toi.
Primo : si je n’avais pas cherché à prendre de photos à tout prix, nous n’aurions pas chaviré.
Si je n’avais pas tenté par tous les moyens de trouver le meilleur angle, nous ne nous serions pas laissés entraîner par le courant, à notre insu.
Si j’avais été dans l’instant présent, j’aurais agi autrement.
Si j’avais davantage savouré le spectacle qui s’offrait devant mes yeux, si j’avais cherché à le vivre pleinement sans penser au souvenir que je voulais en garder, au futur, tout cela n’aurait pas eu lieu.
Sauf qu’avant de vivre cette expérience, je n’avais aucune idée de tout cela.
Cet événement m’aura appris cela : on ne peut pas totalement vivre l’instant présent si on pense déjà à demain.
La vie nous pousse à faire des choix. À choisir ce qui nous rend le plus heureux : être là, ici et maintenant, tout simplement (simple ne vaut pas dire facile, on est bien d’accord).
Deuzio, de cette péripétie, mon fils et moi en sommes ressortis sans heurts ni blessures.
En revanche, tu t’en doutes, mon iPhone, lui, n’a pas survécu. Paix à son âme !
Mon allié, ma troisième main, mon précieux compagnon.
- Celui sur qui je peux compter pour me faire penser à tous mes rendez-vous, même ceux qui n’auront lieu que dans six mois et que j’oublierais forcément, s’il n’était pas là.
- Celui qui retient tous les numéros de téléphone de mes amis, des mamans de l’école, des médecins.
- Celui qui m’apaise avant d’aller dormir car il suffit de deux clics pour qu’il envoie dans mes écouteurs la voix de Christophe André ou de Nicole Bordeleau, me plongeant instantanément en état méditatif.
- Celui qui me distrait quand je patiente en salle d’attente.
- Celui qui me permet d’écouter des dizaines de podcasts en pendant le linge ou en épluchant les patates.
Je ne sais pas comment tu aurais réagi à ma place, chère Fabuleuse.
Peut-être te serais-tu sentie démunie, déboussolée, voire énervée contre ce tronc qui t’aurait fait chavirer ?
Pour ma part, et contre toute attente, j’ai apprécié l’absence de mon téléphone.
Je dirais même que j’ai vécu les premiers jours sans lui comme un cadeau. Vraiment.
Car j’ai eu l’agréable sensation d’être VRAIMENT en vacances.
Vérifier la météo du jour pour savoir si on prend les k-ways ou pas ?
Je ne peux pas. On verra bien, on lâche prise.
Checker les horaires d’ouverture de la boulangerie d’à côté ?
Je ne peux pas. Chéri, tu y vas et tu verras ?
Alimenter le fil Whatsapp « Famille » de nos plus belles photos ?
Impossible. Arrêter de chercher à faire plaisir, quitte à générer de l’impatience chez les grands-parents (et bien le vivre).
Ces quelques jours sans téléphone m’ont vraiment fait l’effet d’un détonateur.
J’ai littéralement pris conscience du temps que j’économisais, de la légèreté que je gagnais.
Du stress que représentait mon téléphone dans ma vie de maman.
Des SMS et messages Whatsapp qui me parvenaient par dizaines chaque jour et qui m’accaparaient l’esprit, me polluaient parfois, me stressaient souvent.
Et de ma dépendance à cet appareil qui tient dans ma main et qui s’est installée au fil du temps, sans que j’en aie vraiment conscience.
À bien des égards, nos téléphones nous empêchent d’être dans le présent.
Ils nous plongent dans le passé, via le fil de nos photos qui défilent sur nos écrans. Le plus souvent nous propulsent dans l’avenir, à travers nos agendas et notifications en tous genres.
Sans nous en rendre vraiment compte, nous les prenons en main pour être ailleurs que là où nous nous trouvons.
Que nous permettent-ils de fuir ? Le vide ? Le silence ou le bruit ? Les pensées de notre mental agité ? Les doutes, les peurs ?
Nous les empoignons souvent dans l’espoir de nous évader.
Et au contraire, le plus souvent, les informations que nous y trouvons n’ont d’autres effets que d’activer encore plus notre mental et nous procurer du stress.
Une étude présentée par l’Eclaireur dévoile que nous, Français, passons en moyenne 3h30 par jour sur nos écrans de smartphones. Une moyenne en hausse après deux années de Covid, sans surprise. Une véritable addiction. Le phénomène est d’autant plus prégnant chez les jeunes.
Combien sommes-nous à garder le téléphone sur la table de chevet ?
À l’allumer dès le réveil, voire même à le laisser entrer dans notre lit ? À l’éteindre juste avant d’aller dormir, alors que toutes les études prouvent que nous devrions les arrêter 1h avant d’aller nous coucher ?
Alors oui, de retour à la maison, il a bien fallu que j’admette qu’une vie sans téléphone n’était pas franchement réaliste, surtout à l’approche de la rentrée, et que commander un nouvel appareil était inévitable.
Mais j’ai clairement modifié mes habitudes avec mon nouveau téléphone, parce que ça m’a semblé nécessaire pour moi. Chacun son curseur, chacun ses contraintes et ses possibilités !
Je partage avec toi ce que j’ai mis en place pour me sentir plus alignée :
- Mon premier geste au réveil n’est plus d’allumer mon téléphone. J’attends que nous ayons tous pris notre petit déjeuner et que les enfants soient prêts à partir à l’école pour l’allumer.
- J’ai désactivé les notifications d’e-mails et de Whatsapp.
- J’ai arrêté les alarmes et sonneries intempestives.
- Ce qui me permet de ne lire mes messages que quand JE le décide. À des moments précis de la journée, que je choisis en toute conscience.
- J’éteins mon téléphone minimum 30 min avant d’aller me coucher.
- Il passe la nuit dans la cuisine, plus sur ma table de chevet.