Mesures exceptionnelles.
Lundi matin.
Les paupières encore lourdes de sommeil, je me dirige à tâtons vers la salle de bains. L’eau chaude se met à couler et me réveille doucement.
C’est maintenant. C’est ce matin. À partir de maintenant, et “jusqu’à nouvel ordre”, me voici dans mon foyer H24.
- Avec des enfants à occuper, à amuser, à faire travailler, à accompagner.
- Avec un boulot à assurer.
- Avec une maison à faire tourner.
- Avec un mari qui continue à se rendre à son travail.
Je respire. Dans ma tête s’entrechoquent les nouvelles inquiétantes du monde qui nous parviennent minute par minute et les injonctions au perfectionnisme qui, suivant le même rythme effréné, prennent le dessus :
- être sur le pont, au top,
- me transformer d’ici 9 heures du matin en parfaite maîtresse d’école et animatrice de centre aéré.
Je respire.
Je sais que j’ai en ma possession tous les outils nécessaires pour passer au mieux cette étape. Ces outils, je les ai découverts depuis 4 ans que je suis membre de la communauté des Fabuleuses et je les ai ancrés dans mon quotidien il y a 3 ans en rejoignant le Village.
Lundi soir.
Angoisse. Mon mari n’a reçu aucune directive concernant son activité : il doit retourner au bureau demain matin alors que j’espérais beaucoup qu’il serait forcé au télétravail. Je sens la colère monter en moi. Ni une, ni deux, je dégaine mon carnet et mon stylo pour poser sur le papier ces sentiments mêlés qui s’entrechoquent en moi.
Premier essentiel du Village que j’ai gardé avec moi au quotidien : écrire pour faire le point et extérioriser. Pour éviter l’effet cocotte-minute.
Résultat ? Un peu plus de sérénité. Mon sentiment de colère n’est pas dirigé contre mon mari. Je ne lui en veux pas de me laisser seule avec les enfants, non, j’en veux plutôt à son entreprise de ne pas prendre la mesure de la gravité de la situation et de se considérer comme une “activité essentielle” au même titre que celle des soignants et des entreprises d’alimentation.
Mardi matin.
Après une première journée “en dents de scie émotionnelles”, j’ai décidé de recharger mes batteries dès le matin en me levant avant tout le monde. Dans la lueur du petit matin qui commence à inonder mon salon, je déplie mon tapis de yoga, je m’assieds et je goûte au petit plaisir qui m’est offert de pratiquer tranquillement.
Plus que jamais, cette routine matinale me sera salutaire. Je le sais pour l’avoir pratiquée des mois durant au sein du Village, pour en avoir vu les effets sur mon quotidien. Je prends cet engagement avec moi-même : durant toute la durée de ce confinement, penser à recharger mes batteries AVANT que les râleries de mes enfants ou les aléas de la journée n’entament ma bonne humeur.
Mercredi matin.
Pas de yoga ce matin, mais un moment devant mon carnet pour pratiquer la gratitude, autre pilier enseigné par le Village.
- Je suis reconnaissante parce que mon mari a décidé d’installer son bureau à la maison.
- Je suis reconnaissante parce que mon fils aîné, malgré son profil (autisme) ne semble pas trop angoissé par la situation de confinement en vigueur depuis hier.
- Je suis reconnaissante parce que les groupes familiaux WhatsApp fusent depuis quelques jours et donnent l’occasion de fous rires plus que bienvenus !
Cette gratitude ne gomme pas l’angoisse ambiante, elle n’efface pas la frustration qui sera la mienne une demi-heure plus tard avec la première dispute entre mes enfants. Mais elle m’aide à ne pas oublier tout ce qui se passe bien, tout ce qui se passe exactement comme prévu, tout ce qui est “déjà là” et qui me permet de lutter contre mon sentiment d’insatisfaction.
Jeudi.
Depuis le réveil, rien ne semble convenir à mon cadet. Il râle sans arrêt. Et je commence à perdre patience. Je crie. Je me sens nulle. Tout d’un coup, mes belles idées, mes bonnes résolutions semblent s’être fait la malle.
Et puis, je respire, je quitte un instant la pièce (histoire de m’isoler des cris d’une énième dispute) et au lieu de sombrer dans le reproche, j’essaie de m’offrir toute la douceur possible :
“Oui, ce matin, c’est difficile. Et tu t’en veux. Mais tu n’es certainement pas la seule à ressentir cela ce matin. Des milliers (et même des millions !) de mamans passent par là. Certaines d’entre elles pètent les plombs comme toi. Alors pardonne-toi pour ça et en avant : on passe l’éponge et on essaie de renverser la vapeur.”
De retour dans le salon je tends les bras vers mon cadet et lui offre un énorme câlin. Là, tout de suite, c’est tout ce dont il besoin. Et moi aussi.
Son frère étant très occupé à monter une tour en Kapla, je le prends par la main et l’entraîne dans sa chambre :
“Allez, on joue à quoi ? Tu choisis ?”
C’est un de mes outils préférés du Village : le moment de qualité. 20 minutes d’attention concentrée pour remplir le réservoir affectif de l’enfant. Alors, oui, je déteste les puzzles, je déteste aussi être sa “marionnette” (car il est un tantinet autoritaire, le bougre), mais quand je vois sa bouille détendue et que je sens sa petite pogne dans la mienne, je fonds. Et je me sens, tout d’un coup, juste bien, et totalement là où je dois être.
Vendredi.
Ce qui est frustrant pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. En passant dans le salon pour aller se faire couler un café, mon mari voit que je galère à expliquer un problème de maths à mon grand tandis que mon cadet veut absolument rester sur mes genoux. Il me voit soupirer mais ne semble pas comprendre la frustration qui est la mienne. Quelques heures plus tard, alors que les enfants sont dans leur chambre respective pour le “temps calme”, il revient sur la scène entrevue lors de sa pause café matinale :
“Je vois pas le problème ! Avec moi, ils obéissent !”
Et je ne réponds pas. Parce que je sais qu’il a raison : les enfants filent doux avec lui, tandis que moi, j’ai le droit au “pire”. Parce que je sais aussi que rien de sert d’argumenter. Nous sommes au terme de cette première semaine d’école à la maison, nous sommes au jour 4 d’un confinement qui pourrait bien durer des semaines. Alors, là, tout de suite, je préfère ne pas argumenter, ne pas lui rappeler que moi, je trouve ça dur. Parce que ça n’est pas une compétition. Non, l’expérience que nous vivons tous n’est pas une compétition.
Et je lui souris. Et je me dis à moi-même, un peu comme je le répète souvent aux Villageoises que j’accompagne : “J’ai largement de quoi être fière de moi”.
Oui, cette première semaine, j’en suis plutôt fière. Je me dis qu’on a limité la casse. Je me dis que je ne suis pas – tant que ça – sur les rotules.
Et tout ça, c’est en partie grâce aux outils du Village dont j’ai pu, une fois encore, expérimenter le fabuleux pouvoir dans le concret de mon quotidien de maman confinée.