À nos mères, qui nous ont attendues, sereines ou en panique,
avec ou sans le soutien de nos pères, qui ont accouché avec ou sans péridurale, avec ou sans épisiotomie, avec ou sans douceur.
À nos mères qui nous ont bercées, nourries au sein ou au biberon, qui ont plongé le nez dans notre petit cou dodu, qui ont connu avant nous les nuits entrecoupées, le reflux et les couches qui débordent.
À nos mères, qui ont glissé dans notre cartable un doudou, un goûter, un mot doux, qui nous ont attendues devant l’école à l’heure qui était celle des mamans avant de devenir celle des parents.
À nos mères, qui ont essuyé les larmes de nos chagrins d’amitié, qui ont essayé de s’occuper de nos devoirs ou ont jeté l’éponge, qui ont su continuer à nous câliner alors que nous sortions de la petite enfance, à celles qui n’étaient pas à l’aise pour le faire et nous ont malgré elles privées d’une tendresse dont nous avions encore besoin.
À nos mères qui nous ont vues sortir trop maquillées, trop court vêtues, qui se sont battues pour maintenir des garde-fous quand nous avions besoin de ruer fort dans les brancards, à celles qui étaient trop copines, ou trop distantes, ou trop rigides, ou trop larguées. À celles que nous avons détestées, blessées de nos mots tranchants, jugées pour des erreurs que nous, nous ne commettrions pas, à celles qui ont déçu nos attentes irréalistes, à celles qui nous ont pardonné nos coups de grisou, nos coups de blues et nos 400 coups.
À nos mères, qui ont respiré l’odeur du vide dans nos chambres d’enfant, qui ont trouvé que c’était pas si mal, le bordel et la panière de linge qui vomit des chaussettes orphelines, qui ont versé une larme le dimanche soir quand nous repartions, qui ont pincé la bouche quand nous sommes venues accompagnées, qui ont baissé les yeux quand nous parlions trop cru, à celles qui se sont montrées si dures face à nos erreurs, celles qui se sont révélées si vulnérables, presque amputées quand elles ont été quittées, à celles qui ont redonné brutalement la priorité à leur vie de femme, à celles que nous ne reconnaissions plus.
À nos mères, qui ont attendu si longtemps nos retours en coup de vent, qui se sont retenues dix fois de nous appeler après des semaines de silence, qui ont botté en touche quand nous avions besoin qu’elles nous aident à discerner parce que ça y était, c’était notre vie et notre responsabilité, à celles qui ne pouvaient pas se retenir de donner mille conseils, à celles qui nous ont vues quitter l’orbite familiale, à celles que nous avons humiliées sans le vouloir par nos grandes études et nos brillantes conversations, à celles qui se sont senties devenir inutiles.
À nos mères, qui nous ont vues faire des choix qui les effrayaient, qui nous ont vues revenir les cernes violets et l’épaule basse, qui nous ont rouvert leurs bras et leur cuisine, qui nous ont parfois renvoyées avec un mot difficile à digérer, à celles qui n’ont pas su ou pas pu se réjouir de nous voir amoureuses, à celles qui ont eu l’œil humide lors de l’Annonce, à celles qui se sont lancées dans le tricot dès qu’elles nous ont vues blêmir devant le café du matin, à celles qui ont su avant tout le monde.
À nos mères, qui nous ont prévenues que la maternité c’était beau, mais difficile, à celles que nous n’avons pas crues, à celles qui nous ont laissées plonger sans brassards dans le grand bain, à celles qui se sont projetées, se sont revues, se sont inquiétées de nous voir continuer à bosser, à celles qui nous ont étouffées sous les conseils et la tendresse revenue, qui ont assiégé le hall de la maternité ou qui nous ont laissées “en famille” sans se rendre compte que nous avions besoin d’elles pour murmurer “c’est dur ».
À nos mères qui sont devenues grand-mères alors qu’elles ne se voyaient pas vieillir, celles qui adorent et celles qui gardent leurs distances, celles qui sont maladroites et celles qui n’osent rien dire, celles qui gâtent au-delà du raisonnable et celles qui disent “de mon temps”.
À nos mères qui vieillissent et deviennent moins vaillantes, à celles qui ne veulent rien montrer, surtout pas le résultat de leur dernière mammographie, à celles qui se raccrochent à nous parce que nous tenons fermement debout, du moins c’est ce qu’elles croient. À celles que nous préservons aussi, que nous découvrons fragiles, que nous aimons de nouveau, à celles qui ont fait de nous des orphelines et qui nous manquent à en pleurer.
À nos mères, imparfaites, qui ont la possibilité de se réjouir de nous voir sur les rails. À celles que nous ne voyons plus, parce que la vie, les caractères, la distance. À celles qui nous ont faites comme nous sommes, imparfaites, mais tout de même capables d’amour.