Samedi, 16 h 50. Je file récupérer mon fils au premier anniversaire auquel il est invité.
Avec vingt minutes de retard. C’est le genre de fête qui incarne, à mes yeux, la perfection instagrammable : salle louée dans un cadre magnifique, arche en ballons multicolores, table dressée digne d’un mariage. Thème licorne : de la carte d’invitation au gâteau, en passant par le déguisement, les sachets de bonbons distribués à la fin… et même les pailles. Animation par un magicien, musique à gogo. Mais pas trop fort non plus. Une quantité impressionnante d’enfants déguisés. Et des parents tout sourire, qui vous offrent le café en arrivant. Bref, gros coup de pression. Toi-même, tu sais.
J’arrive donc, un peu honteuse de mon retard.
Ouf, je ne suis pas la dernière… mais presque ! La maman de l’adorable fillette qui fête ses 5 ans — le genre de maman que j’admire secrètement, car toujours pimpante et souriante — m’ouvre la porte. En me rendant le tissu dans lequel j’avais emballé le cadeau d’anniversaire, elle s’exclame : « Ma sœur a trouvé l’emballage magnifique, je viens de lui dire que vous étiez une femme qui gère à la perfection ! »
Pardon ? C’est de moi qu’on parle ?
Prise de court, je souris en secouant la tête. Et murmure : « Si vous saviez… » Nous sommes interrompues par les enfants. Ce qui, en un sens, m’arrange bien. Je pense cette femme sincère. Elle m’a déjà fait part, dans les couloirs de l’école, de son admiration : j’ai trois enfants en bas âge, donc je suis certainement très organisée (et probablement parfaite).
Sur le chemin du retour, je me sens comme une sportive à qui on a décerné une médaille d’or par erreur : ça flatte mon égo (on ne va pas se mentir), mais je sais très bien que je ne la mérite pas. Non seulement je ne gère pas à la perfection. Mais je suis en plus totalement imparfaite. Et je le revendique (ou du moins j’avais l’impression que c’était écrit sur mon front, jusqu’à cette réflexion).
Alors, mentalement, je termine cette réponse, laissée en suspens :
« Si vous saviez… que :
- Je porte une culotte complètement trouée. J’ai bien racheté des culottes la semaine dernière. Mais elles sont encore au fond de mon panier à linge sale.
- Si je porte un joli headband dans les cheveux, ce n’est pas parce que je suis une femme très élégante. Non. C’est parce que ça camoufle à merveille mes cheveux un peu poisseux sur les tempes.
- Parfois, mes enfants mangent trois jours de suite le même menu : j’ai cuisiné en grande quantité pour avoir des restes. Mais j’ai eu la main un peu lourde…
- Si je conduis mes enfants à l’école, en convoi de vélo, draisienne et poussette, sous un soleil de plomb comme sous la pluie battante, ce n’est pas parce que je suis héroïque. C’est simplement parce que le temps d’attacher mes trois loustics dans la voiture, de trouver une place pour me garer, et de descendre tout le monde… c’est plus long que de parcourir à pied les 800 mètres qui me séparent de l’école. Et que quand je m’aperçois qu’il pleut des trombes, on n’a plus le temps de choisir l’option « au sec ».
- Je ne fais qu’une lessive par semaine. Alors mes enfants (et moi) portons parfois un t-shirt tâché.
- Si j’emballe mes cadeaux avec un
joli tissu liberty biomorceau de vieux rideau fleuri, ce n’est pas parce que c’est écolo. C’est surtout que je n’ai jamais su faire un joli emballage avec du papier cadeau. - Quand mes enfants reviennent de l’école avec un sachet de bonbons, je les autorise à en prendre un. Puis je mets le reste dans une jolie boîte. Pour plus tard. Et c’est bien souvent dans ma bouche qu’ils terminent.
- Je n’ai toujours pas fait le joli calendrier perpétuel que je m’étais promis de faire « quand j’aurai le temps ». Donc, j’oublie régulièrement les anniversaires de mes bonnes copines. Très régulièrement.
- Pendant le confinement, j’avais rattrapé mon retard d’albums photos. Jurant qu’on ne m’y prendrait plus. Qu’à partir de maintenant, je les ferai au fur et à mesure. Quatre ans plus tard, je n’en ai pas fait un seul.
- J’ai déjà oublié d’attacher un de mes enfants en voiture. Plusieurs fois. Et oublié les clés sur le contact de ma voiture (garée dans la rue) pendant 24 heures. Et retrouvé mes clés de maison, oubliées sur la porte d’entrée (donnant sur la rue), à mon retour de l’école. Et… Je pourrais continuer la liste longtemps.
De retour chez moi, je sirote une infusion. Dans le chaos de mon salon.
Avant de me mettre aux fourneaux, pendant que mon Fabuleux s’occupe du bain. J’apprécie ce moment de calme. Une foule de questions se bouscule dans ma tête. Pourquoi avons-nous cette impression que l’herbe est plus verte à côté ? Pourquoi notre herbe paraît si verte à notre voisine, qui considère que la sienne est jaunie (alors que nous, on le trouve vachement fleuri, son jardin à elle) ? Pourquoi nous appliquons-nous avec tant de soin à fabriquer cette façade de perfection (en particulier sur les réseaux sociaux) ?
La soirée passe. Je n’ai toujours pas fait de lessive.
J’ai rangé soigneusement les bonbons rapportés de l’anniversaire dans la fameuse boîte, dans laquelle ma main n’a pas manqué de piocher. Des jeux jonchent encore le sol de mon salon. J’étais trop fatiguée pour me battre avec les enfants pour qu’ils rangent. Et je n’ai pas du tout envie de le faire moi-même. Alors ça attendra demain.
Je m’installe dans le canapé. Avec une tisane (encore). Préparée par mon Fabuleux, cette fois. J’attrape un magazine, dans la pile « à lire avant de mettre à la boîte à livre de la gare ». Une interview de Christophe André attire mon attention. C’est sur l’estime de soi. Il explique qu’on ne peut pas éviter les comparaisons, l’envie, le besoin d’être dans le groupe. C’est un ressort naturel chez les êtres humains. Mais qu’il faut s’en détacher un peu. Que les réseaux sociaux véhiculent des messages globalement toxiques :
en mettant en scène uniquement les côtés lumineux, nous sommes aspirés dans une course à la vie idéale.
Ah, voilà ! Nous y sommes. Ce fameux perfectionnisme. Celui qui nous permet de faire croire aux autres que notre vie est idéale. Sans être dupes nous-mêmes. Tout en étant bernés par les mises en scène des autres.
Soudain, une phrase me saute aux yeux : « Il faut se méfier des estimes de soi trop centrées sur le succès, la réussite ou les résultats, parce que ça finit par pousser à confondre la valeur et la performance d’une personne. » Clic. C’est comme si on avait allumé une petite lumière dans ma tête. J’ai la réponse à mes questions. Si on a besoin de paraître parfait, c’est parce qu’on place notre valeur, notre estime de nous, dans ce que nous faisons : le résultat, les enfants bien peignés et toujours polis, la maison impeccable même à l’improviste, les petits plats maison-bio-locaux-de-saison…
Mais notre valeur n’est pas là. Elle est dans ce que nous sommes.
Ce n’est pas parce que je porte une culotte trouée ou que je ne sais pas faire de joli paquet cadeau que je ne vaux rien. Ma valeur est dans ce que je suis. Et je suis juste assez. Et toi aussi. Juste assez aimante. Juste assez ferme. Juste assez créative. Juste assez organisée. Infiniment précieuse. Infiniment fabuleuse. Et ça change tout !
Ce texte nous a été transmis par Marine, une Fabuleuse maman