J’aimerais tant vous dire, mais les mots ne sortent pas, en dehors de rares exceptions, à l’occasion du verre de trop ou dans l’intimité rassurante du cabinet d’une psychologue.
J’aimerais tant vous dire ces mots que j’entends au quotidien.
Ce dénigrement permanent, voire ces insultes, cette pression qui ne s’interrompt que si j’accède d’une manière ou d’une autre à sa volonté, si je me fonds dans le moule que son esprit a créé pour moi.
J’aimerais tant vous dire ces dix années d’emprise psychologique.
Celle qui s’installe insidieusement et que l’on ne voit pas, ce sentiment de mal-être, cette sensation que « quelque chose ne va pas », sans pouvoir dire quoi, cette peur de mal dire ou de mal faire et leurs conséquences en terme de remontrances, moqueries, mesquineries en tous genres, voire en conflit ouvert.
J’aimerais tant vous dire ces gifles et ces bousculades.
Fort heureusement rares et survenant sous l’effet d’une alcoolisation inhabituelle, mais aussi ce jour où il a tenté de m’étrangler, persuadé que je l’avais trompé ou cette fois où il m’a poussée contre un mur alors que je tenais mon bébé, âgé de 4 mois, hurlant dans mes bras, la grande à nos côtés.
J’aimerais tant vous dire toutes ces fois où ses mains ont franchi, souvent sans douceur, mon intimité sans mon accord,
au point d’en venir à redouter monter des escaliers devant lui, ou parfois devant les enfants, balayant mes « non » d’un « tu n’es pas drôle ».
J’aimerais tant vous dire ces menaces d’infidélité ou cette agressivité passive
qui surgissent dès que j’essaie de dire non et qui ne cessent qu’à l’instant où je cèderais, non par envie mais par lassitude et par besoin d’apaisement du conflit.
J’aimerais tant vous dire ces larmes que je retiens et ce dégoût de moi-même
quand j’acquiesce et qu’il me dit qu’il ne me force pas mais que c’est à moi d’avoir envie plus souvent et non à lui de réfréner ses besoins.
J’aimerais tant vous dire cette douleur quand j’entends ma fille me dire qu’elle ne m’obéit pas parce qu’elle préfère papa mais qu’elle avoue à demi-mot que papa crie trop fort.
Comment pourrait-elle, à 5 ans, comprendre que si elle n’écoute pas maman c’est en partie parce qu’elle entend depuis des années que maman n’est pas une bonne maman.
J’aimerais tant vous dire que je vais partir.
Sortir de cette situation qui nous rend tous malheureux mais cela n’est pas si simple. Parce que plus encore que la mienne, sa souffrance m’est insupportable, la faute à cette empathie terrible qui me paralyse ; cette même empathie qu’il a moqué à l’extrême et qui, pourtant, fait que j’essaie avant tout de le protéger.
J’aimerais tant vous dire cette peur horrible de perdre mes enfants si je tente quoi que ce soit.
Et s’il utilisait ces difficultés que j’éprouve avec la grande et qui, paradoxalement, sont le fruit de plusieurs années de dénigrement, contre moi ?
J’aimerais tant vous dire tout cela mais il n’y a pas que ça.
Il y aussi un père aimant, un homme amoureux qui, se rendant compte de ses erreurs, tout du moins certaines, essaie de se repentir et déborde d’attentions de toutes sortes. Et pourtant, là encore, si je ne dis pas suffisamment « je t’aime », si je ne l’embrasse pas assez, si je ne suis pas assez enjouée ou si je ne veux pas faire l’amour au moins aussi souvent qu’il le souhaite, alors cela ne convient pas. Mes émotions s’émoussent et je me dissocie d’elles. Par besoin de protection, par lassitude, par épuisement…
J’aimerais tant vous dire, mais je ne peux pas parce qu’il est aussi votre ami, votre collègue, votre gendre, votre beau-frère et qu’il n’est pas que ça.
Je reste persuadée qu’il n’a jamais souhaité faire de mal, que rien de tout cela n’était volontaire. Mais cela ne fait qu’accroître ma culpabilité à l’idée de partir et de le rendre malheureux.
J’aimerais tant vous dire cette détresse qui est la mienne.
Ce cri silencieux enfermé dans ma poitrine mais qui résonne sans cesse dans ma tête, ces interrogations perpétuelles sur la réalité de ce que je vis, sur la légitimité de ma tristesse. J’aimerais tant savoir si tout cela est normal, se déroule dans chaque foyer ou si ces mots avec lesquels je n’étais jusque-là pas familière et que j’entends dans l‘intimité de ce cabinet de psychologue depuis quelques mois me concernent réellement.
Violence conjugale, violence psychologique, pression, violence financière, viol conjugal
Ces mots s’adressent-ils réellement à moi ? Comment puis-je prétendre être légitime alors même que des femmes meurent toutes les semaines sous les coups de leurs conjoints ?
J’aimerais tant vous dire tout cela, mais je ne veux pas vous attrister, vous déranger, vous gêner ou vous faire pleurer.
Plus que tout, lire la tristesse dans les yeux de mes proches est une source de souffrance supplémentaire alors je compose avec la mienne et j’endosse mon plus beau sourire, jusqu’au prochain verre de trop, ou la prochaine séance dans le cabinet de cette psychologue.
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, C.