Ça paraît anodin, comme ça, mais ça ne l’est pas. Ce genre de petite question posée juste comme ça, histoire de. Histoire de faire la conversation ; histoire de dire quelque chose ; histoire de paraître concerné ; histoire de se projeter, aussi. Certainement.
« Tu veux combien d’enfants ? »
Et ses variantes :
« Quand tu étais petite, tu t’imaginais avec combien d’enfants ? »
« Avec ton Fabuleux, c’est quoi votre chiffre ? »
Cette question – et ses variantes – je la trouve d’une violence extrême. Car pour moi, elle dépasse de beaucoup la simple curiosité : elle me paraît intrusive, impudique, déplacée.
J’y vais un peu fort ? Peut-être, mais j’assume.
J’assume de juger ce genre de question comme étant totalement inapproprié. Car oui, cher curieux, qui te dit que je n’avais pas rêvé à une famille nombreuse, mais que des soucis de santé ont sonné le glas de cet idéal de tribu ? Peut-être aussi, cher curieux, que j’aurais aimé être entourée de bambins tandis que mon Fabuleux, lui, ne se projette pas à la tête d’une grande famille ?
Cette question a d’abord suscité en moi un certain amusement.
Avant d’avoir des enfants, je l’entendais de loin, la jugeant déjà curieuse et vaguement inappropriée. Peut-être parce que je ne m’étais jamais posée la question. Bien qu’issue d’une famille nombreuse, je ne portais pas en moi cette détermination à reproduire coûte que coûte le modèle dans lequel j’avais grandi – et dont, au passage, je suis entourée dans ma famille proche.
Elle a ensuite suscité en moi un panel d’émotions assez désagréables, allant de l’agacement jusqu’à la colère. Au moment où j’allais pouvoir fonder une famille, j’apprenais que j’aurais certainement toutes les difficultés du monde à y parvenir. Le cancer, une fois encore, me coupait les ailes : si ma vie n’était plus menacée, l’ombre de la maladie planait sur mon désir de maternité autant que sur notre projet avec mon Fabuleux.
Alors, cette question m’a rendue littéralement hystérique :
« Mais à quoi ils pensent, les gens ? »
« Est-ce qu’ils réalisent que l’on n’aura peut-être jamais d’enfant ? Alors, annoncer un chiffre !? »
Et une fois devenue maman, cette question a continué de m’embarrasser.
Pas seulement pour moi ou ma propre famille, mais pour toutes les autres femmes qui essayent d’être mères, pour toutes les autres mamans qui ont dû abandonner ce désir d’avoir une famille nombreuse ou qui, au contraire, ont accueilli bien plus d’enfants que ce à quoi elles s’attendaient.
Cette question, je la range désormais dans la même case que d’autres, tout aussi déplacées et blessantes, voire surréalistes et violentes, en tous cas imprégnées de jugement :
- « Alors, c’est pour quand le petit deuxième ? » (Très blessant, quand justement, ça fait 18 mois qu’on essaie de tomber enceinte / on en est à trois fausses couches en un an)
- « Bon, tu vas essayer de faire une fille, maintenant ! » (Ben oui, quoi, juste des garçons c’est un peu dommage, et puis ça ne fait pas « vraie famille » !)
- « Mais dis donc, tu as pris du ventre ! Tu ne nous cacherais pas quelque chose ? » (Remarque – accompagnée d’un clin d’œil qui se veut complice – encore plus débile quand on a accouché il y a plusieurs mois et que l’on peine à perdre ses kilos.)
- « Le petit dernier a trois ans… faudrait peut-être penser à mettre le prochain en route ! » (Celle-ci est, en général, amenée avec un sourire assez lubrique à destination du papa)
- « Bon, maintenant vous vous arrêtez là, hein ! » (Là, on peut imaginer que l’inquisiteur sorte directement de sa poche une boîte de contraceptifs)
Cette question du chiffre m’a paradoxalement permis un chemin :
celui de toucher du doigt la délicatesse indispensable avec laquelle aborder le sujet des grossesses et du désir d’enfant, ainsi que l’empathie nécessaire pour parvenir à entendre qu’une femme, qu’un homme, qu’un couple, souhaite – pour des raisons qui lui sont propres et intimes – « s’arrêter là ».
Bref, arrêter le jugement. Alors, chers curieux, par pitié, ne posez plus ce genre de question, et optez plutôt pour cette liste-là :
- Comment ça va en ce moment, toi et les enfants ?
- Tu tiens le coup avec ton rythme ? Les enfants prennent leurs marques à l’école ?
- Comment puis-je t’aider ?
Et vous, Fabuleuses, plutôt que de tenter de vous justifier, ne vous laissez plus impressionner et osez, pour toute réponse, et en toute simplicité, un sourire large et franc.