Le jour où Dame Nature m’a offert le rôle de maman, ma vie a pris un sens nouveau.
Avec le papa, vous savez, celui qui donne son Amour de façon unique, parfois maladroite, mais complètement, eh bien moi la maman, j’ai fait « un », pleinement, et secrètement au fond de moi était déjà tapi le désir de l’enfant à naître.
Avec lui, j’étais ok de prendre la responsabilité d’un être, son existence, son bien-être, son éducation, sa vie, son avenir.
Mon fabuleux partenaire me donnait son Amour, je le lui rendais bien.
À nous deux, chose mystérieuse et extraordinaire, nous avons donné naissance à un petit « nous ».
Avec deux yeux, deux oreilles, un nez, une bouche, un cœur, un cerveau, et tout ce qui va avec, et qui fonctionne à merveille.
Quelle stupeur et quelle joie… profondes, si… surréalistes, et à la fois si évidentes. Nous nous aimions si fort, c’était justice que notre Amour soit ainsi couronné !
Oh bien sûr, à la naissance, j’ai eu un penchant certain pour dire que le bébé ressemblait à moi sur des photos au même âge. Et les gens commentaient « tout le portrait de son père ! ».
La vérité c’est que l’enfant venait de mon ventre. Il était un prolongement de moi, de ma chair. Mes semaines d’attente, mes rêves, mon odeur, ma peau.
J’étais plutôt heureuse qu’il ressemble à son papa. Comme si cet enfant était la preuve faite corps, de la fusion chimique qui unissait sa papa à moi.
Une fierté et même un peu d’arrogance envers notre entourage ! Nous, nous faisons un enfant qui nous ressemble !
Le tournant dans ma vie a bien plus porté sur le petit nuage sur lequel j’étais… et dont j’ai dû redescendre.
Ce petit être allait être comme moi. J’allais lui dire quoi faire pour grandir bien. Il serait obéissant, docile. À lui seul, il aurait les qualités de ses deux parents réunis. Enfant chanceux, enfant forcément heureux. Enfant sage, et sans histoire.
J’avais des idées éducatives, j’avais lu des trucs, vu les autres faire.
Ce que les enfants des autres faisaient, le mien ne le ferait pas !
Et puis, tout de même, j’avais mon histoire. J’avais été facile, droite, moi. Et les chiens ne font pas des chats, n’est-ce-pas ?
Bref, comme tu l’as compris, je n’étais pas seulement la maman.
J’étais aussi l’enfant.
Il y a eu un premier coup de vent dans le ciel bleu, lors d’une décision initiatique à prendre pour notre bébé. Peu importe la décision, mais mon Fabuleux et moi n’étions pas d’accord. Ce bébé était le sien aussi. Le papa avait un autre avis, une autre histoire, d’autres repères.
Nous avons dû nous accorder au même diapason, et cette turbulence nous a fait comprendre que nous n’étions plus un, mais trois ! Nous allions élever cet enfant ensemble avec la somme de nos conceptions éducatives.
Comme si nous plantions un piquet pour que notre petit s’enroule autour et grandisse autour du tuteur.
Le vent n’a pas cessé de souffler pour autant.
Plus tard, l’enfant est allé « dans le monde ». Les parents des autres faisaient autrement, et eux aussi, couvaient avec soin leur rejeton, exactement comme nous le faisions. Chacun avec nos certitudes, un peu méfiants parfois, et tellement sûrs de bien faire, de mieux faire que les autres !
Autour du piquet, notre plante s’est renforcée au pied. Elle a commencé à chercher de la lumière plus haut, et à s’étendre sur les côtés, se mélanger aux autres plantations voisines. Ça donnait des résultats étonnants, un mélange de genres.
D’autres coups de vent sont venus titiller nos certitudes.
Un jour, un papa lève la voix sur mon tendre rejeton qui injurie son adorable descendance ; une autre fois au supermarché, un enfant perdu que je ramène à sa maman…
Serions-nous tous coéducateurs, finalement ? Quel mal y a-t-il à éduquer l’enfant des autres ?
Nos petites pousses grandissent dans un champ ; nous sommes des jardiniers qui soignent toute la plantation, et pas seulement la petite graine qui a pris racine par la magie des fluides du père et de la mère.
L’enfant, bon an, mal an, est devenu grand, adolescent.
Cette rafale-là, elle est connue, et nous étions prévenus ! Notre jeune qui disait « oui maman » a décidé soudain de sortir de la voie tracée (avec amour) par ses parents.
Ce n’est pas un petit coup de vent qui bouge vaguement la place des nuages dans le ciel, c’est une intempérie qui chahute l’ordre des choses, et pour ma part… c’est là que j’ai compris.
J’ai compris le malentendu.
Mon enfant, chair de ma chair, n’est pas moi.
Les parents l’élèvent, lui donnent la meilleure terre, l’eau de pluie, le tuteur, mais il vit dans le monde.
Un jour, le tuteur n’est plus utile, il peut être retiré.
Les enfants sont les futurs adultes acteurs du monde de demain. Nos futurs décideurs.
Ce sont nos enfants à tous. L’éducation qui leur est donnée est l’affaire de tous.
J’ai alors regardé ma progéniture, cette graine qui a grandit et pris le corps d’un être adulte pensant, et qui me dépasse.
Et je me suis dit, comme le dit le proverbe africain … mais en version « augmentée » :
« Heureusement qu’il faut tout un village pour élever un enfant ».
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Anne-Claire Kersuzan.