Petite fille, je jouais à la poupée. Ringard ? Peut-être. Et alors ? Je faisais également du vélo, sautais des falaises dans un lac, lisais et inventais des tonnes d’histoires. Je m’imaginais indépendante : dans mes jeux d’enfant, l’homme était absent, parti à la guerre ou à la chasse.
J’étais maîtresse de mon logis et de ma vie. Je trouvais Blanche-Neige débile, naïve, bien bête de chanter en lavant le linge de sept nains qui n’en foutaient pas une à la maison. Je rêvais de sauter en parachute.
Mais, jouer à la poupée, c’était vraiment mon truc. J’adorais ça. Je voulais devenir maman. C’était là, au fond de moi, collé à ma peau.
« Porter un bébé »
C’est-à-dire un autre que soi, était source de questions, de mystères, de joies et d’envies, cela m’effrayait et me fascinait tout à la fois. En grandissant, mon utérus en mouvement a commencé à me rappeler, mois après mois, que mon corps se préparait à cet accueil possible, en puissance, d’un bébé dont je pouvais rêver.
Collège, lycée, université : fables et préoccupations ont évolué. L’homme, devenu prince, a fini par revenir de guerre et par réaliser sa promesse, celle du baiser. Les études m’enthousiasmaient.
Mais cela ne me quittait pas : je continuais d’observer autour de moi les ventres s’arrondir, les bébés téter le sein. Je prenais doucement conscience qu’un jour je serai à mon tour
« le premier monde accueillant où se forme, se crée et grandit l’être humain »*,
posant désormais sur mon propre corps de jeune fille la question de l’accueil et de l’altérité que soulevaient tout à la fois les désirs de grossesse, d’enfant et de prince.
Le mien -de prince- sortait de la bibliothèque universitaire où j’étudiais. Comme le mariage et le désir d’enfant ne l’impressionnaient pas plus qu’un combat de dragon, nous nous sommes mariés. Tout simplement.
« T’es complètement malade, et tes études ? »
ai-je entendu le jour où, la bouche en cœur, j’ai pu faire part de ce projet, puis à nouveau quelques mois plus tard, alors que j’affichais mes courbes annonçant un bébé. Je n’avais toujours pas terminé mes études, et aux yeux de certaines jeunes femmes de ma génération ou de la génération au-dessus, mes aspirations étaient incongrues : les années 2000 m’invitaient à vivre un épanouissement personnel ailleurs que dans le conjugal et le maternel.
Être ou ne pas être mère était LA question !
Parfois abordée de façon heureuse, parfois étonnée, parfois agressive. Sur le coup, je me suis demandé si j’avais le droit d’aimer vouloir devenir mère, ou si cela était le résultat d’une grave pathologie, d’une éducation ringarde, ou encore d’une idéologie, qui empêcheraient toutes émancipations, et dont je devais m’extirper.
Mes amies, mes camarades de fac, et même des femmes que je ne connaissais pas, m’ont interpellé tout au long des ces neufs mois. Il y avait :
- celles qui rêvaient d’être mère ;
- celles qui voulaient profiter de leur jeunesse, sans enfant ;
- celles animées par de longues et passionnantes études et qui, sans renoncer à la maternité, la remettaient à plus tard ;
- celles qui souffraient profondément de ne pas pouvoir porter d’enfant ;
- celles qui ne voulaient pas d’enfant, celles qui en détestaient l’idée.
Devenue enseignante, à nouveau enceinte, ce sont mes écolières qui ont interrogé le mystère de la maternité en regardant mon ventre rond, de plus en plus rond. Puis, plus tard, de jeunes ados, alors que je poussais l’un de mes bébés en nacelle.
Un ventre de femme enceinte, un nouveau-né, suscitent décidément beaucoup de questions …
Au fond, chacune de ces remarques me dit quelque chose de la femme -ou de la femme en devenir- dans son rapport à la maternité. Non que toutes les femmes doivent devenir mère : je conçois bien qu’elles puissent aspirer à d’autres formes possibles d’accomplissement et de fécondité. Mais je suis convaincue que la femme ne peut faire l’économie de se confronter à son désir d’enfant -ou a contrario à l’absence de désir-, afin de mettre en lumière ce à quoi elle se sent appelée, au-delà de ce qu’on pourrait lui dire. Le désir d’enfant fait partie de ce qu’elle est, logé au fond de son utérus, il n’est ni mauvais, ni aliénant ou asservissant, il est à accueillir afin de lui donner un sens.
Jeune maman : malgré le challenge couches-concours à dépasser, ce que la maternité m’a apporté est immense. Je me sentais aventurière, embarquée dans l’un de ces périples dont l’expérience vous marque à jamais. Un voyage sans frontière, où le corps ne peut se restreindre à l’espace d’une terre nourricière, charnelle, affective. Si nous portons l’enfant, celui-ci nous « déporte », nous décentre. Il nous pousse, quand bien même nous pouvons le redouter, à visiter nos rivages intérieurs, personnels, intellectuels, spirituels, du plus sombre au plus lumineux.
A la suite d’Yvonne Knibiehler*, j’appréhende la maternité comme « pièce maîtresse de l’identité féminine ». Elle nous interroge, très tôt, et déjà dans nos rêves d’enfant. Elle participe à la construction de ce que nous sommes, même si certaines femmes ne seront, par choix ou douloureusement, jamais mère. La maternité nous appelle : il appartient à chaque femme, au delà de tout clichés et injonctions, de lui donner, librement, une réponse.
* Antoinette Fouque, Il y a deux sexes. Essais de féminologie. 1995.
* Yvonne Knibiehler, Qui gardera les enfants ? Mémoire d’une féministe iconoclaste. 2007