Cette semaine, je pestais intérieurement contre la to-do list interminable et les paniers de linge en souffrance.
Mon agacement devait se ressentir, car alors même que je croyais ne rien laisser paraître, mon conjoint s’est approché de moi et m’a dit doucement : « quelque chose ne va pas ? »
J’ai relevé le nez de la planche à découper sur laquelle je passais mes nerfs en taillant les carottes pour la soupe.
Sans voix.
Je n’avais plus de mots à la juste mesure pour exprimer mon ras-le-bol, ma lassitude, mon angoisse de ne pas y arriver.
De ne pas cocher toutes les cases. De ne pas être une bonne mère.
Alors il m’a prise tendrement dans ses bras, il a planté ses yeux dans les miens et il m’a affirmé : « je suis là, moi aussi, tu sais. Tu n’es pas seule. »
Cette phrase semble anodine, mais elle m’a bouleversée.
Oui, je me suis mis la pression pour tout faire en lui épargnant le plus gros du travail domestique.
Oui, je suis partie du principe que celui qui rapportait le plus d’argent dans le foyer avait le droit, de facto, d’en faire moins pour les tâches quotidiennes.
Oui, je me suis inventé des contraintes et des règles là où rien n’était édicté par quelque autorité supérieure.
« Je suis là, moi aussi. Tu n’es pas seule. »
C’est vrai.
Et c’est une telle chance !
Mon agacement ne découlait finalement que de ces règles non formulées, forgées par mon esprit.
Jamais mon conjoint ne s’était plaint de gérer trop de linge, trop de cuisine, trop de ménage.
Jamais il ne m’avait demandé d’en faire plus, encore moins de tout faire.
Jamais il ne m’a dit « c’est toi qui t’occupes du foyer. »
Cette règle-là, je me la suis imposée toute seule.
En revanche, moi, j’ai trouvé dans le rôle de ménagère-en-chef un motif expliquant ma fatigue, une excuse à ma mauvaise humeur, un prétexte pour me plaindre de la routine domestique.
Dans le rôle que je m’étais assigné, je trouvais d’inépuisables excuses pour ne pas avancer sur d’autres plans, pourtant nécessaires à mon épanouissement : mon projet d’écriture et ma reconversion.
Finalement, ce rôle auto-attribué était une belle excuse pour procrastiner sur ce qui me faisait le plus peur.
Ne dit-on pas, chez les Fabuleuses, que les plus gros dragons gardent les plus beaux trésors ?
Sauf que tout cela s’effondre, mis face à la réalité simple du 21e siècle : je vis avec un homme qui désire prendre pleinement sa place, partager équitablement les tâches du quotidien.
Un homme qui veut assumer pleinement sa paternité.
Un homme qui revendique le droit de participer à parts égales à la vie du foyer et qui trouve ça normal.
Et je crois qu’ils sont nombreux, ces partenaires, à être prêts à accepter de rogner sur le confort dont ils bénéficieraient en vertu des rôles traditionnellement assignés aux uns et aux autres, tout droit sortis des images d’Épinal.
« Tu n’es pas seule. » Quelques petits mots, et soudain, un grand bouleversement.
La vraie question était maintenant : « comment lui laisser sa place de père sans perdre mon statut de mère pseudo sacrificielle et perfectionniste ? »
Est-ce que je serai moins « bonne mère » en m’occupant moins du linge, de la cuisine, du ménage ?
J’ai doucement déconstruit ce que je pensais être « une bonne mère. » Et j’ai changé mes attentes sur la maternité.
Fonder une famille signifie-t-il se conformer aux rôles d’autrefois ? Non.
Être mère revient-il à renoncer à des moments de plaisir ? Non.
Devenir parents nous force-t-il à nous soumettre aux conventions héritées (même inconsciemment) d’un autre temps ? Non, certainement pas.
Incroyable de se poser ce genre de questions, surtout que j’ai toujours eu une forte sensibilité féministe. Mais entre la théorie et la pratique, il y a parfois un grand écart !
Demander à l’autre son aide n’est pas une preuve de faiblesse, mais de force. De respect pour l’autre et pour son rôle de parent.
Mieux encore, je ne lui demande pas d’aide. Il sait ce qu’il y a à faire et il s’en occupe.
OK, peut-être que parfois, personne n’aura envie de plier le linge ou de préparer à dîner. Et c’est acceptable, des deux côtés.
Le refus de l’un ne déclenche pas forcément l’obligation de l’autre.
Il faut communiquer en amont pour se mettre d’accord et tout peut rouler. Nous sommes deux pour gérer et c’est une chance. Nous faisons équipe. Et cerise sur le gâteau : nous sommes tous les deux plus heureux dans notre foyer.
De ce jour, j’ai décidé de troquer mon étiquette de « ménagère en chef » pour celle de « cheffe du bonheur familial. »
Et vous savez quoi ? Elle me va beaucoup mieux, cette casquette !