Ah, ce fantasme du temps supplémentaire, de la journée volée au quotidien, de la faille temporelle… Qui n’a jamais rêvé que le génie d’Aladdin surgisse de sa lampe et décrète, magnanime, qu’un délai de 24 heures vient de t’être accordé pour… pour quoi, exactement ?
Si tu avais une journée en rab, qu’en ferais-tu ?
Cette année, il ne s’agit pas d’une question rhétorique, pour la bonne raison que ce 29 février EST une journée « en plus » dans le planning de l’année. Il est donc temps de cesser de fantasmer sur ce temps qui nous manquerait pour enfin vivre notre meilleure vie, et mettre sérieusement en application nos projets fantastiques (ceux que le manque de temps nous a toujours empêchés de mener à bien).
Alors ? Que vas-tu faire de ce 29 février qui débarque comme un cadeau dans ton agenda, comme un chippendale dans ton salon, comme un zéro supplémentaire sur ton compte en banque ? J’attends…
En réalité, le fait d’avoir la possibilité d’envisager sérieusement toutes ces choses « que je n’ai jamais le temps de faire » les rend souvent moins désirables. C’est un peu comme faire les magasins avec un vrai budget à dépenser en fringues : plus rien ne nous fait envie. C’est bien connu, les vitrines sont toujours plus alléchantes quand le porte-monnaie est vide.
C’est à ce moment de tes réflexions que tu pousses un soupir dédaigneux.
Non, ce 29 février n’a rien d’extraordinaire, c’est un jour de plus dans l’année, certes, mais un jour comme les autres.
C’est un jeudi, donc ce temps supplémentaire va être occupé à faire les trucs du jeudi :
- Emmener les enfants à l’école
- Aller au bureau
- Faire des lessives
- Préparer le repas
- Leçons-bain-dîner
- Soirée as usual (on est en semaine donc pas de folie-folie)
- Dodo
Tu sais ce qu’a répondu le jeune Louis de Gonzague, lorsque quelqu’un lui a demandé : « Que ferais-tu si tu savais que tu allais mourir dans une heure ? » alors qu’il était occupé à jouer aux Lego© version XVIe siècle ? Il a simplement dit : « Je continuerai à jouer ».
Pourtant, cette heure ultime, nous sommes toutes tentées d’en faire quelque chose d’extraordinaire.
De tellement extraordinaire que les idées nous manquent lorsque nous devons réellement nous emparer de ce temps précieux qu’on nous tend. La sagesse n’est-elle pas de continuer à bien mener nos missions du moment ? Si tu es comme moi, ce conseil fort philosophique ne te convainc pas du tout, voire il t’agace. Si ce temps supplémentaire est une opportunité merveilleuse à saisir, il doit être traité comme telle !
C’est pourquoi je te propose de hacker le quotidien et de détourner ce jeudi « comme les autres » pour en faire un jeudi « extra-ordinaire ».
Hop, tu poses une RTT. Dans Et leurs enfants après eux, le Goncourt 2018, Nicolas Mathieu raconte comment le personnage de la mère de famille en pose régulièrement en secret, juste pour aller nager des heures à la piscine municipale. Ou bien, si tu es au foyer, tu prends la décision de ne rien traiter du quotidien aujourd’hui. Tu confies ton ou tes enfants (OK, ça s’anticipe un peu et nous publions cet article justement le D-Day supplémentaire. Mais tu peux décider de faire de jeudi prochain ce jour extra-ordinaire, tu n’es sans doute pas à une semaine près !).
Tu fais le grand vide dans ton agenda de 9 h à 16 h et maintenant tu te poses sérieusement la question :
que faire de ces sept heures consécutives ?
- Prendre le train pour aller au bord de la mer pour quelques heures
- Visiter une expo, chose que tu n’as pas faite depuis que tu as des enfants
- Aller à la séance de 11 h au cinéma, avec du pop corn
- Enfiler tes chaussures de marche, emporter un pique-nique et partir de chez toi à pied, pour la journée
- Aller déjeuner chez une amie
- Dormir toute la journée pour péter le feu le soir et emmener ton Fabuleux en boîte de nuit, au concert de Lynda Lemay ou au spectacle de Blanche Gardin
- Sortir ta machine à coudre
- Sortir ton chevalet et ta peinture
- Prendre un bain à 9 h 30 avec de la musique, déjeuner à 15 h et passer la journée en soutif
Ce sentiment de voler du temps à l’ogre du quotidien peut te procurer un délicieux frisson de liberté, et il est bon à prendre !
C’est un peu comme lorsque tu avais huit ans et que l’on découvrait que tu avais 39 de fièvre au moment de partir à l’école. Tu savourais peut-être ton retour sous la couette en imaginant la foule des élèves sortir dans le froid, cartable sur le dos, pour vivre une dure journée de labeur alors que toi, non ! Ou bien… ou bien tu ressentais alors l’angoisse de savoir que, pendant que tu étais là à ne rien faire au fond de ton lit, les autres faisaient tourner la machine, qu’ils défrichement ensemble fiches de grammaire et théorèmes grecs qu’il te faudrait rattraper, et que ce temps passé à ne rien faire allait te présenter une facture bien salée.
Alors quoi, chère Fabuleuse, une journée buissonnière te causerait-elle plus d’angoisse que de plaisir, à l’idée que les choses s’accumulent tandis que tu baguenaudes ? Si c’est le cas, ne la prévois pas, cette journée du RAF (acronyme parlant). Mais dans ce cas, il faut renoncer également à ce long soupir douloureux du « j’ai jamais le temps de… ah, si j’avais 24 heures devant moi ! ».
Comme l’équipe des Fabuleuses songe à ton bien-être et comprend la difficulté qu’il y a à tout laisser en plan pour aller flâner…
… j’ai testé pour toi un 29 février buissonnier, une journée poudre d’escampette, un ghost day.
Normalement, le jeudi j’écris de chez moi, je fais l’administratif et les lessives. Mais aujourd’hui, j’ai déposé mes enfants à l’école. Puis j’ai conduit ma voiture jusqu’à… pas chez moi. Je suis allée poser mon ordinateur sur une table des nouvelles halles trop cosy qui ont ouvert à la sortie de ma petite ville. J’ai écrit (parce que c’est ce que j’adore faire, plus que d’aller visiter une expo) en buvant un café au son de la playlist chill des halles. Ensuite, c’était l’heure de déjeuner, mais je n’avais pas faim parce que j’avais mangé un croissant à 11 h 30. Alors j’ai repris ma voiture et je suis allée me garer près d’un pont qui surplombe la Dordogne et j’ai regardé l’eau couler en marchant sur le joli quai pavé (pour les curieuses, c’est à Branne). Après j’ai acheté un bouquet de fleurs et je suis rentrée chez moi pour faire la sieste (chose que j’aime encore plus que d’aller au cinéma), et ensuite c’était l’heure d’aller chercher les enfants.
Est-ce que c’était hyper original ? Bof. Ou vachement exotique ?
Disons que ça se passait dans un rayon de 15 km de chez moi. Et cela m’a-t-il coûté une fortune ? Le prix d’un café-croissant-bouquet de tulipes de chez Radimarket. Quand j’ai retrouvé mes enfants, j’avais l’esprit aéré. Et lorsque j’ai vu que, sur la table de la cuisine, il y avait toujours les miettes du petit déjeuner, j’ai demandé à ma fille de mettre la table du dîner par-dessus. Le linge dans la machine depuis la veille sentait un peu le moisi, alors je l’ai fait tourner une deuxième fois. Bref, personne n’est mort pour les besoins de cette expérience ! C’était d’ailleurs presque vexant, vu le mal que je me donne pour tout tenir à jour en temps normal.