Perdre ou prendre son temps ? - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

Perdre ou prendre son temps ?

famille foret
Marie Lucas Leborgne 22 juillet 2024
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En voyant ma fille se trémousser sur la scène avec ses camarades de classe, je me suis sentie ridiculement émue.

La danse n’était pourtant pas des plus gracieuses, mais en voyant ma fille heureuse et fière, dansant sur une musique endiablée avec ses petits copains, mon cœur de mère a fondu. Cachée derrière mes lunettes de soleil, j’ai essuyé discrètement la petite larme qui coulait sur ma joue. Déjà la fin de la maternelle ! Elle me paraît pourtant si petite ! Et en même temps si grande. J’étais arrivée épuisée à cette fête de l’école, la Xème de la saison. Et je m’étais maudite, le matin même, quand je m’étais soudainement rappelé que je m’étais engagée à faire des crêpes pour toute l’école, alors que mon mari était en déplacement…

Chaque année scolaire qui se termine, chaque centimètre pris par mon grand, chaque nouveau mot que ma toute petite parvient à articuler me rappelle que le temps passe.

Le temps file, coule entre mes doigts sans que je réussisse à le retenir.

En voyant mes enfants qui grandissent, je prends un coup de vieux. Je prends la mesure du caractère extrêmement précieux du temps. Tout va si vite avec des enfants ! Non seulement parce que leurs changements sont fulgurants, mais aussi parce qu’il faut bien l’avouer, ils ajoutent des tonnes de trucs à faire en plus de notre vie professionnelle déjà bien chargée.

Notre monde nous invite en permanence à aller plus vite, à faire plus de choses, à ne pas perdre notre temps, autrement dit, à ne pas mal l’utiliser, à toujours bien le rentabiliser. Mais comment bien utiliser son temps ? Comment ne pas le perdre, lui qui est notre bien le plus précieux ? Comment ne pas gaspiller cette ressource limitée, alors que nous sommes sollicités en permanence de toutes parts, entre le boulot, les enfants, le frigo qu’il faut bien remplir… Sans compter les allers-retours au poney club et les kermesses de fin d’année qui s’enchaînent. 

J’entends alors les magnifiques mots du bon vieux Sénèque résonner à mes oreilles, alors qu’il écrit à son ami Lucilius, pour l’exhorter à cesser de perdre sa vie en perdant son temps.

« Reprends possession de toi-même : le temps qui jusqu’ici t’était ravi, ou dérobé, ou que tu laissais perdre, recueille-le et ménage-le ». 

Le temps, nous dit Sénèque, est notre bien le plus précieux, puisqu’il est notre vie même, mais nous ne lui accordons pas assez de valeur, nous le gérons mal. Pour le philosophe stoïcien, la vie heureuse commence par une prise de conscience de la valeur du temps. Une fois cette prise de conscience faite, il faut cesser de le gaspiller, car, « tandis qu’on l’ajourne, la vie passe ». La vie passe, et nous avons oublié de la vivre vraiment.

Les mots de Sénèque sont durs : « La plus grande part de la vie se passe à mal faire, une grande à ne rien faire, le tout à faire autre chose que ce qu’on devrait ».

On dirait que ces mots vieux de 2000 ans viennent d’être écrits pour nous.

Nous perdons notre temps en ne faisant pas ce que nous devrions vraiment faire.

À moins que nous passions notre temps à faire des choses qui ne sont pas essentielles. Nous repoussons sans cesse à plus tard le moment où enfin nous consacrerons du temps à ce qui est important pour nous, et en attendant, nous mourons “chaque jour en détail”, comme le dit Sénèque.

La chance que nous avons, en étant parents, c’est que nos enfants sont des marqueurs très efficaces du passage du temps. Chaque fin d’année scolaire me rappelle que le temps est passé, et qu’il est urgent de reprendre possession de moi-même, car le temps, encore et toujours, file. Certes, notre emploi du temps est on ne peut plus chargé. Mais c’est un leurre de croire qu’un jour, on aura le temps. On n’aura en réalité jamais le temps, si on ne le prend pas. 

Mais comment prendre le temps 

Prendre le temps, c’est savoir être à ce que l’on fait. Savoir ralentir le rythme pour faire bien ce que l’on a à faire. 

C’est aussi être capable de se consacrer à des activités qui comptent vraiment pour nous. Cela exige de savoir prioriser nos activités pour décider ce à quoi nous voulons vraiment nous consacrer. Con-sacrer, c’est être avec ce qui est sacré. Mais qu’est-ce qui est sacré pour moi ? À quoi est-ce que je veux dédier ma vie ? Je rêve personnellement d’écrire, de publier. Je rêve aussi de passer chaque jour du temps avec mes enfants, ceux que j’ai mis au monde et avec qui je veux être, dans ce monde. 

Dans Les cinq regrets des personnes en fin de vie, Bronnie Ware constate que « Tous les hommes que j’ai soignés ont profondément regretté d’avoir passé une si grande partie de leur vie sur le tapis roulant d’une existence professionnelle ».

Ce tapis roulant, ce n’est pas que le boulot. C’est tout ce à quoi je consacre du temps alors que ce n’est pas en réalité sacré pour moi. Le tapis roulant avance tout seul, sans que j’aie besoin de rien faire, de fournir aucun effort, ni de choisir le chemin ou la direction. Là est le piège : c’est confortable, car il suffit de laisser faire et de se laisser porter. C’est confortable, mais à passer sa vie sur un tapis roulant, on se retrouve finalement à passer à côté de sa vie.

Prendre le temps exige donc de décider ce à quoi on veut donner de l’importance. 

Qu’est-ce qui compte vraiment pour moi et que je veux avoir accompli dans ma vie ? Reprendre possession de son temps, c’est reprendre possession de sa vie. 

Prendre le temps exige aussi de prendre conscience que le temps est une durée limitée, qui passe d’autant plus vite que les changements sont nombreux. Mes enfants grandissent vite et si je veux les voir grandir, passer du temps avec eux, il faut que je parvienne à en faire une priorité. 

Prendre mon temps exige que je sois capable de renoncer à ce qui me détourne de ce qui compte pour moi

Ma fille descend de l’estrade, radieuse, et je tourne sur moi-même en la tenant dans mes bras. Je veux prendre le temps de vivre avec chacun de mes enfants. Je veux prendre le temps d’écrire mon livre, tout en gagnant ma vie. Et je veux arrêter de perdre mon temps en activités chronophages, à commencer par le temps que je passe sur mon smartphone. Tel un monstre à l’appétit sans fin, il avale tous les moments « libres » de ma journée. Le temps libre, c’est le temps dont on dispose comme on veut, sans être soumis à des contraintes urgentes. Quand je vois ce que je fais de mon temps libre, je me dis que je ne suis justement pas très libre…

Et toi, chère Fabuleuse, parviens-tu à prendre du temps pour ce qui compte vraiment pour toi ? Arrives-tu à identifier ce qui te fait perdre du temps, ce qui gaspille ton temps et grignote ta vie, lentement mais sûrement ? Descends du tapis roulant de la routine et des activités qui te séparent de ce qui est essentiel pour toi. 

Prends le temps, ne serait-ce qu’aujourd’hui, de faire ce qui compte pour toi ! Le seul risque que tu cours, c’est de vouloir recommencer demain.



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Cet article a été écrit par :
Marie Lucas Leborgne

Professeure agrégée de philosophie et mère de trois enfants, elle vit actuellement à Compiègne. Mère et prof à temps plein, quand il lui reste du temps libre elle continue ses recherches sur le corps féminin en philosophie. Et à ses heures perdues, elle écrit de la fiction jeune adulte. 

Elle a à coeur de porter sur les questions chères aux Fabuleuses un regard philosophique et concret, inspiré de ses lectures et de ses propres questionnements.

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