Petite philosophie de l’humeur de règles.
C’est bien connu, un homme qui s’emporte a du caractère ; une femme qui s’emporte a ses règles. Les stéréotypes sur les règles renforcent leur mise sous silence. On ne doit ni voir ni même deviner que j’ai mes règles, et il faut toujours correspondre à l’idéal de la femme parfaite et de l’épouse idéale, toujours identique à elle-même, sous peine d’être discréditée comme celle qui a ses règles…
Mais voilà : avoir ses règles, ou être sur le point de les avoir, n’est pas toujours une partie de plaisir.
Avant même de devoir gérer le flot qui tache, mon corps m’est personnellement douloureux, j’ai mal au dos, une digestion douloureuse et difficile ; du coup je dors mal. Ah oui, j’ai une montée d’acnés aussi. Et je suis de mauvaise humeur. Oh, rien de bien méchant, je n’hurle pas, et le taux d’assiettes cassées n’est pas plus élevé que d’habitude.
Mais les quelques jours qui précèdent les règles,
je n’ai souvent de patience pour rien ni pour personne, et encore moins pour mes enfants. Tout me paraît plus insurmontable, plus difficile que d’habitude. Selon une étude récente, seules 3 à 10 % des femmes en âges de procréer n’ont aucun trouble prémenstruel. C’est dire qu’apparemment, je ne suis pas la seule. Maigre consolation.
L’humeur des règles manifeste que nous ne maîtrisons pas tout de notre existence.
L’humeur est cette ambiance, cette couleur que prend mon existence sans que je sache exactement d’où elle vient, contrairement à une émotion, qui est toujours dirigée vers quelque chose. Et c’est justement ça qui nous dérange dans l’humeur des règles – on se sent changer mais sans avoir de prise sur la cause. Plutôt que de la considérer comme quelque chose d’anormale qu’il faudrait refouler ou masquer par des pilules qui atténuent leurs effets, la philosophe américaine Iris Young propose d’en faire un rapport spécifiquement féminin au monde :
« Nous avons la possibilité d’étreindre plutôt que de supprimer ces aventures affectives ».
Assumer son humeur de règles, voilà le programme ! Non pas pour faire ch** le monde, mais par ce qu’elle peut devenir une porte d’accès très précieuse pour la connaissance de soi.
Elle me permet d’identifier ce que d’habitude j’accepte sans broncher,
mais qui me pèse. J’ai ainsi remarqué que c’est souvent pendant mes règles que je me rebelle contre la répartition des taches dans notre couple, ce qui permet d’en discuter et de les rééquilibrer 😉 L’humeur des règles rend ainsi explicite ce que nous devons changer ou rééquilibrer dans notre vie, elle est une période de lucidité.
La fatigue voire la mélancolie
et même pour certaines une forme de dépression que l’on peut ressentir dans cette période ont elles aussi quelque chose de bon. Plusieurs jours par mois, elles m’invitent à me retirer un peu plus en moi-même, à prendre de la distance et de la hauteur sur ma vie.
Iris Young nous invite ainsi à faire de nos règles l’occasion d’une « Méditation menstruelle » :
« Dans la mesure où les femmes utilisent l’humeur menstruelle pour revenir à elles-mêmes et renouveler une ouverture au monde, alors nous trouverons dans ce retournement du rapport au corps une possibilité de méditation accessible à toute et à tout moment ».
Pour faire simple, le temps des règles peut être l’occasion d’être dans l’« être » plus que dans le « faire »,
dans le recul sur les choses et sur soi plus que l’action efficace. Et tant pis si la maison n’est pas nickel, et si les enfants mangent des pizzas surgelées.
En bref, l’humeur de règles peut devenir un outil de connaissance de soi ainsi qu’une invitation à une existence plus profonde, plus réfléchie, si l’on l’assume plutôt que de seulement chercher à l’esquiver.