Voilà, dans quelques jours, mon tout premier bébé va fêter ses 17 ans. Je n’en reviens pas, c’est comme si c’était encore hier que j’avais cette mini poupée vivante qui étirait son cou et fronçait les sourcils au point d’avoir l’air d’une petite tortue d’eau qui cherche le seul rayon de soleil tombant dans son aquarium.
J’ai tant craint de faire mal, de mettre ce petit être en danger, de ne pas reconnaître ses besoins, de ne pas l’habiller assez chaudement, de ne pas savoir la consoler, la protéger, lui donner tout ce dont elle avait besoin dans la vie.
J’ai tant craint de ne pas être une bonne mère et j’ai soupiré, pleuré de fatigue et d’angoisse.
On m’a dit tant de fois « profite, ça passe vite », mais tout au fond de moi, je n’avais rien pour profiter de cette situation, parce que j’avais trop peur. Mais elle a grandi et elle m’a appris qu’un enfant vient au monde avec ses propres ressources aussi. Elle m’a épatée, elle m’a montré comment être une bonne mère pour elle. Comme une danse, parfois valse, parfois tango, parfois macarena et parfois slow, on s’est un peu domptée l’une l’autre.
Dans quelques jours, elle aura 17 ans et je savoure ces moments.
J’aime bien être la maman de deux ados. Ah, ces adolescentes ! Elles me fascinent, elles font écho de “tous les possibles”, des voix rebelles qui crient à l’injustice, de ces routes ouvertes, des découvertes innombrables qui se trouvent sur nos chemins. Elles nous parlent de courage, de métamorphose, de trouver sa voie, de se trouver, se vivre et s’aimer !
Nos ados se dessinent dans cet entre-deux, de l’enfance à l’âge adulte. Nous pouvons entrevoir leurs goûts, ce qui les motive, ce qui les laisse de marbre, les pas à tâtons dans les plans de futurs, les questions existentielles qui les habitent mais aussi leur habilité à savoir mieux tout mieux que tout le monde et à épargner leur énergie quand il s’agit de débarrasser la table…
Autant j’avais l’âme torturée après leur naissance, autant je craignais mal faire, autant maintenant je découvre en moi la joie de les voir si grandes, au pas de la porte, s’apprêtant à prendre leur envol.
Alors, j’ouvre les bras, j’ouvre grand mes bras de maman et je leur dis :
« Tu peux partir, je te laisse aller, mon bonheur ne dépend pas de ta présence, je suis moi-même adulte, tu n’as pas à m’apaiser, ni à me protéger, ni à remplir mon besoin affectif, tu peux aller, voler, découvrir, essayer, oser, vivre… je ne te retiens pas ». Et tout en ouvrant mes bras, tout en leur disant « tu peux aller, j’ai confiance », je leur répète « et mes bras restent ouverts, il y a une place ici pour toi, tout contre mon cœur, dans notre foyer, il y aura toujours cette place pour toi. »
C’est un peu l’art de donner “des racines et des ailes” à nos enfants.
C’est ce que le médecin et auteur allemand Herbert Renz-Polster met en évidence dans ses travaux, livres et conférence : « L’enfant a besoin que nous lui créions un nid sûr et de ce nid sûr, où il peut revenir pour se ressourcer, il peut partir, quitter, s’envoler, découvrir et apprendre ». C’est tout une dynamique de mettre en place un endroit sécurisant, rassurant, un lieu sûr tout en aidant nos enfants dès leur plus jeune âge à explorer leur environnement, les capacités qu’ils ont en eux, à les pousser un tout petit peu en dehors et en les accueillant toujours et encore.
En juin, notre fille Emma a décidé de passer ses quatre dernières années de secondaire dans une école avec internat à une heure trente de route de chez nous. Elle y vit, heureuse jusqu’au bout des orteils et des cheveux depuis septembre. Quand elle réfléchissait à sa décision, après avoir passé les examens d’entrée et obtenu une bourse, j’ai pris soin de lui dire :
« Si c’est ce que tu désires, alors, nous te soutiendrons. Ta place peut être là-bas ou tu peux rester ici. Mais sache que si je pleure quand tu pars, c’est normal et tu vas me manquer mais je chercherai de l’aide, je ne suis pas seule et je vais gérer. »
Et c’est avec les bras grands ouverts que je l’ai laissée partir vivre cette aventure.
Le jour de son départ, elle m’a demandé : « Comment nous sentons-nous aujourd’hui ? » (elle a définitivement l’art des formulations rigolotes). Je l’ai serrée tout tout contre moi et j’ai répondu : « Tu vas me manquer, mais Emma, sache que tu as tout ce qu’il faut en toi pour être heureuse dans cet internat, je me réjouis pour toi ».
Chère Fabuleuse,
J’observe autour de moi énormément de parents qui font et vivent exactement la même chose. Qui embrassent leurs ados comme on embrasse un cactus, qui les aiment au mieux, qui leur soufflent des forces dans leurs voiles, qui leur laissent la place nécessaire pour que leurs ailes puissent s’ouvrir. Il y a tant de Fabuleuses comme moi qui sourient de voir leurs grands enfants devenir des hommes et des femmes, des êtres que non seulement, nous aimons du fond du cœur, mais que nous apprécions aussi profondément.
Et j’observe avec tout autant de joie les autres adultes qui aiment nos ados, qui savent les rejoindre quand, entre nous, il y a un peu de friture sur notre ligne. Je vois avec gratitude ces échanges avec des adultes bienveillants qui prennent le temps d’écouter, de répondre, de leur transmettre certaines connaissances, expériences ou arts de vivre. Et je dis de tout mon cœur merci à l’instructrice d’auto-école qui apprend à ma grande fille à conduire une voiture.
Je souris d’entendre ma grande nous dire à table « mes copains d’école vous trouvent sympas » et j’adore lui répondre « ah mais non, je ne veux pas être la mère sympa… je veux que tu vides le lave-vaisselle de ce pas ! ». Mais en vrai, oui, j’essaie d’être un peu là pour eux aussi, d’écouter ses camarades de classe quand ils sont dans ma voiture ou chez nous pour une après-midi. Parce qu’au fond, que l’on soit adulte, enfant, ado ou très âgé, nous avons tous besoin d’avoir une place, une oreille dans laquelle nous pouvons coucher nos mots, des bras ouverts qui peuvent se refermer un instant si fort pour que nous nous y sentions protégés, à l’abri, le temps de reprendre notre souffle.
Et oui, nous sommes là pour donner des racines et des ailes pour ces ados qui voyagent courageusement dans une société pas facile à comprendre ni à vivre.
Nous sommes là pour ouvrir grands nos bras et laisser s’envoler ces enfants qui deviennent adultes, à ces âmes fragiles et fortes, remplies de toutes ces capacités qu’ils ont et de leurs épaules qui veulent si souvent sauver le monde.
Et nous sommes aussi là pour garder ces bras grands ouverts et leur créer ce nid dans lequel ils peuvent venir.
Un nid parsemé de :
- Ces petit bisous que l’on pose le soir du bout des lèvres sur leur front boutonneux,
- Ces mercis murmurés à l’oreille qu’ils remballent à coup de « j’avais pas le choix de toute manière »,
- Ces petits compliments que l’on sème discrètement dans leur quotidien, ces mots vrais que l’on dit et qu’on aimerait tant qu’ils entendent encore et toujours,
- L’humour dont on fait usage pour arrondir les angles,
- Ces longues négociations pour leur faire comprendre que parfois, avec un peu plus d’expérience, on peut leur prodiguer des conseils qui les aideraient,
- Toutes ces larmes qu’on pleure quand ils se blessent ou que d’autres leur font du mal.
Être parent de ces ados c’est leur assurer notre confiance en eux.
Être là, aimer, gentiment, discrètement et remercier la vie de nous avoir donné ce cadeau de voir notre enfant grandir et prendre doucement son envol.
Et parfois, ils sont chiants, vraiment, ils nous poussent au bout de nos limites, ils effritent notre quotidien déjà débordé. Parfois, ils sont “de trop” pour nous, ils nous laissent impuissants face aux erreurs qu’ils répètent, ils s’enfoncent et nous plombent l’âme de soucis bien trop lourds.
Dans ces cas-là, j’aime penser aux paroles de mon collègue psychologue et dont les 4 enfants étaient déjà adultes. Il me disait : « Rebecca, c’est normal que les ados nous tapent sur les nerfs, s’ils restaient mignons et sages, nous n’aurions jamais la force de les laisser partir. »
Les laisser partir, ouvrir nos bras et les pousser un peu en dehors du nid pour qu’ils apprennent à voler.
Alors ma chère Fabuleuse, si tu me lis et que toi aussi tu es une maman d’ado, j’aimerais juste te dire « chapeau ». Ta présence, tes bras ouverts, tes câlins discrets, tes mots, tes encouragements, sont le terreau dans lequel grandissent les citoyens de demain.
Tous ces moments passés à genoux, à fermer un lacet, à laver des draps souillés de vomi, à brosser leurs doux cheveux emmêlés de sable et de transpiration, tous ces fous rires pour des bêtises, tous ces clins d’yeux, toutes ces phrases répétées mille fois, tous ces instants où tu étais là alors que personne ne voyait ton investissement, tout cela fait à contribuer à leur donner des racines et des ailes. Et c’est toute la société qui te dit merci d’avoir tant investi dans les adultes de demain.