Chère Fabuleuse,
Quand j’ai reçu la demande de t’écrire un article sur le thème d’oser déplaire, ma première réaction fut de penser : « clairement, sujet important, je vais leur écrire une affirmation du style “ose être qui tu es, tu ne dois plaire qu’à toi-même, libère-toi de l’avis des autres” ». Mais alors que ma tête trouvait ce sujet d’une clarté évidente, mes tripes, elles, me disaient autre chose : « Rebecca, es-tu certaine ? Es-tu vraiment la bonne personne pour écrire sur le fait d’oser déplaire ? Toi dont la plus grande crainte est de décevoir les gens ? Toi, la maman un peu trop cool par peur d’être moins aimée par tes filles ? Toi, qui sais combien l’être humain a besoin de se sentir accepté et approuvé ? Toi qui redoutes de devoir dire aux autres ce que tu penses vraiment au risque de les froisser ? ». Et je ne suis pas la seule à réagir comme cela. Comme l’écrit si bien Edith Eger dans son livre Le cadeau, 12 leçons pour se libérer de nos prisons mentales :
« L’une de nos premières peurs est celle de l’abandon. Par conséquent, nous apprenons très tôt comment recevoir les trois A de l’attention, de l’affection et de l’approbation. Nous comprenons quoi faire et qui devenir pour satisfaire nos besoins. Le problème n’est pas que nous faisions cela, mais plutôt que nous continuions à le faire afin d’être aimés ». (p.59)
J’étais à deux doigts de décliner l’offre de rédiger cet article, proposant à l’équipe de rédaction de trouver une autrice rebelle, une chroniqueuse rockeuse, une maman libérée.
J’aurais expliqué que moi, j’aime bien plaire, que je préfère être aimée, que je n’ai pas la prétention de dire aux autres « ose déplaire » quand ce n’est pas vraiment ma force. Mais alors que ma réflexion battait son plein, je réfléchissais à mon histoire de vie. Aux décisions que j’ai prises, aux révolutions que mon mari et moi avons déclenchées. C’était comme lire un livre dont certains passages étaient surlignés, qui me disaient : « mais regarde Rebecca : là, tu as choisi de déplaire, là tu as osé aller à contre-courant, là, tu as pris la voie impopulaire, là tu n’en as fait qu’à ta tête. »
N’en faire qu’à sa tête, oser prendre des décisions impopulaires, ne pas se plier au moule, finalement, c’est vrai, cela fait bien partie de ma manière d’être.
Mais en toute honnêteté, ce n’était jamais un « j’ose déplaire ».
Davantage un « cela ne va pas plaire à tout le monde, mais il me faut suivre ce chemin, mes valeurs, mes envies. C’est ma vie ! ». Peut-être que mon article devrait plutôt s’intituler « ne pas être aimée de tous, déplaire à certains ».
Parce que ça, c’est la réalité. Que l’on ose ou pas déplaire, que l’on se rebelle ou pas contre les attentes, contre les normes, contre la pression du groupe, dans la vie, on ne peut pas plaire à tout le monde et l’on n’est pas aimé de tout le monde.
C’est une règle intrinsèque au fonctionnement humain. On a des préférences, il y a des gens qui nous énervent, il y a des personnes qui prennent des décisions qui nous déplaisent. Bien entendu, parfois, on se trompe et on prend conscience qu’au-delà de nos préjugés, notre première évaluation de la personne n’était pas juste. Parfois, au deuxième regard, elle nous plaît quand même, elle a des qualités qui nous attirent, mais pas toujours. Tout comme certaines personnes nous déplaisent, nous déplaisons à d’autres.
Le sujet n’est plus « oser déplaire » ou vouloir plaire à tout prix, ni même « oser ne pas être aimée » ou faire tout pour qu’on nous aime. La question est plutôt : « que devient ma vie quand je réalise que je décevrai toujours quelqu’un, que je ne plairai jamais à tout le monde, que certaines personnes ne m’aiment pas ? Est-ce que je vivrais différemment si je faisais le deuil d’être aimée de tous et tout le temps ? »
C’est la question que je te pose, que je me pose :
Que se passe-t-il en moi quand je comprends que, d’une, je n’aime pas tout le monde et que, de deux, je ne peux être aimée de tout le monde ? à qui aimerais-je plaire à tout prix et pourquoi ?
« Il est dangereux de placer votre vie entre les mains de quelqu’un. Vous êtes la seule personne avec laquelle vous allez passer toute votre vie. Toutes les autres relations finiront par cesser. Comment pouvez-vous être pour vous-même cette personne résolument attentionnée et aimante ? » (Edith Eger, p. 59)
Les Anglais disent si joliment « people pleaser » pour nommer les gens qui cherchent toujours à prendre des décisions qui conviennent aux autres, quitte à se perdre eux-mêmes, à oublier leurs rêves, leurs buts, leurs goûts. Parfois, ces personnes sont moins motivées par l’envie de plaire aux autres que par la peur d’être mal vues, ou même rejetées. Alors elles vivent avec toutes leurs antennes, toute leur attention, tournées vers l’extérieur, vers les autres, toujours sur leurs gardes : surtout ne pas déplaire, surtout rester aimée, bien prendre soin de l’autre…
Mais à quel prix, ma chère Fabuleuse ?
Alors que je t’écris ces mots, je suis moi-même travaillée par ce débat intérieur. Il m’a fallu bien des années pour comprendre que « je ne suis pas un pot de Nutella, je ne peux pas plaire à tout le monde ». Je vois encore la tête de mon thérapeute alors qu’il me pose pour la énième fois la question « et toi, Rebecca ? Et toi ? Qu’est-ce que tu veux ? Et si tu tournais tes antennes vers l’intérieur, pour écouter ce dont tu as envie ? ». J’ai bien souvent répondu par de longs soupirs, par des « je ne sais pas », par des « oui, mais si les gens ne m’aiment plus, après ? ». Encore aujourd’hui, il n’hésite jamais à me poser la question « et toi ? Rebecca ? Et si tu commençais par ne pas te décevoir toi-même, par t’aimer toi-même, par répondre à tes envies, tes besoins, par te rester fidèle ? ».
« Trop souvent, nous sommes prisonniers des attentes des autres, en nourrissant le sentiment que nous avons une fonction ou un rôle précis à remplir ». Edith Eger (p. 63)
Je te la transmets, cette question qui m’a si souvent énervée en thérapie : « et toi, ma chère Fabuleuse ? Et toi ? Qu’est-ce que tu veux ? »
Je lisais l’autre jour une de ces phrases un peu bateau sur les réseaux sociaux, qui disait « la seule personne que tu dois être sûre de ne pas décevoir, c’est toi à l’âge de tes 7 ans et toi à l’âge de tes 90 ans ». Que penserait la petite fille que j’étais de la femme que je suis devenue ? Je préfère la laisser tranquille, plutôt que de lui poser des questions d’adultes. Que vais-je penser de ma vie lorsque j’aurais 90 ans ? Ah, j’espère tout simplement que cette petite mamie que je deviendrai aura la capacité de trouver la paix, malgré tout ce que j’aurais fait ou pas de ma vie. Non, je pense que la question est plus proche, plus actuelle, plus difficile aussi « Rebecca, est-ce que tu vis la vie que tu aimerais avoir ? Est-ce que cela te plaît ? Est-ce que tu te plais ? »
« Lorsque vous êtes libres, vous prenez la responsabilité d’être qui vous êtes vraiment. (…) Vous perdez l’habitude de vous oublier. Souvenez-vous : vous avez quelque chose que personne d’autre n’aura jamais. Vous vous avez, vous. Pour toute votre vie. » (Edith Eger, p. 74)
Et nous voici dans le vif du sujet, ma chère Fabuleuse !
Est-ce que tu te sens bien dans tes baskets ? Est-ce que tu t’es oubliée trop souvent ?
Est-ce que tu as du mal à ne pas plaire à tout le monde ? Est-ce que tu payes le prix fort en vivant une vie qui plaît aux autres, mais que tu n’aimes pas ? Sache que ce jeu est faussé : il n’existe aucun moyen de plaire et d’être aimée de tout le monde. Dans ces conditions, chère Fabuleuse, autant faire le premier pas ! Ose être qui tu veux être, prends des décisions qui te plaisent, ose aimer ta vie et vivre la vie que tu aimes, ose l’amour et la bienveillance inconditionnels pour toi-même !
« Choisir l’amour, c’est devenir bienveillant et aimant envers soi-même ». Edith Eger (p. 69)
C’est la révolution que je te propose, c’est celle que j’aimerais vivre, c’est celle qui me murmure à tout moment « et toi, alors dans tout ça ? Et toi ? ». Je te laisse en conclusion les mots d’Edith Eger :
« Trouvez-vous et comblez-vous. Vous n’avez pas besoin de travailler pour être aimés. Vous devez juste être vous. Puissiez-vous être, chaque jour, un peu plus vous-même ». (p.75)