Et si je te disais que mon post-partum a duré 10 ans ?
Eh oui. Si l’on en croit l’inspirante sage-femme Anna Roy, le post-partum peut durer jusqu’à trois ans1, et perdure donc si un enfant naît dans l’intervalle de ces trois années. Or, j’ai eu quatre enfants en six ans. Mon post-partum ne s’est donc potentiellement jamais terminé depuis la naissance de mon aîné, puisque tous les deux ans en moyenne un nouveau bébé a pointé le bout de son nez. Donc, pendant presque une décennie, j’ai vécu sans les avoir imaginés, sans le savoir et sans pouvoir les nommer les symptômes d’un post-partum de plus en plus éreintant au fil des années.
Rappelons ce qu’est le post-partum :
médicalement, c’est la période qui s’étend de l’expulsion du placenta lors de la naissance jusqu’au retour des règles, entre trois et six mois après celle-ci. C’est un moment délicat de la vie des mères (et des pères également, même s’ils ne vivent pas les mêmes bouleversements physiologiques), pendant lequel elles sont vulnérables à la fois physiquement et psychiquement. Cependant, si l’on s’intéresse à la question de la dépression post-partum, on constate que les médecins situent son apparition potentielle jusqu’à un an après la naissance. Donc bien après le retour de couches. Et si l’on écoute le ressenti des mères, à l’instar d’Anna Roy qui a accompagné des centaines de femmes, on découvre qu’en réalité le post-partum va bien au-delà du retour des règles, et consiste finalement, sur un temps long, en un ensemble de bouleversements physiques, hormonaux, psychologiques, affectifs et sexuels, organisationnels, financiers et professionnels… que ce soit après la venue au monde d’un premier, d’un deuxième, ou même d’un sixième enfant. Mais si un certain mal-être peut être induit, il ne s’inscrit pas dans une permanence comme lors d’une dépression post-partum : il va, il vient ; on est dans un état psychique particulier, qui peut être vraiment déroutant si l’on n’est pas préparée à ce qu’il dure aussi longtemps.
« Je suis convaincue qu’il faut véritablement trois ans pour devenir parent, pour réinventer sa vie à l’arrivée d’un enfant »,
affirme Anna Roy. Elle ajoute : « ce qui est fou, c’est que les dernières données de la science, en particulier sur le fonctionnement cérébral des femmes après la naissance, prouvent que les modifications cérébrales et tous les chambardements intérieurs que l’on vit durent trois ans. Des neuroscientifiques, neurobiologistes et neuropsychiatres suivent mon travail et m’ont ainsi confirmé que mon intuition clinique était bonne » 2.
Les travaux de cette sage-femme, dont je dois la découverte récente à ma fabuleuse amie Anne-Cécile, ont été une véritable révélation pour moi…
.. alors que je sortais enfin la tête de l’eau après 9 années de couches/poussette.
J’ai réalisé avec soulagement que les moments psychologiquement difficiles vécus depuis quelques années étaient plus probablement la manifestation d’un post-partum ininterrompu que d’une névrose quelconque. Pendant presque une décennie, j’ai été le plus souvent heureuse, mais aussi épuisée. Remplie d’incertitudes, je me suis régulièrement sentie mauvaise mère, mauvaise épouse, mauvaise tout court. J’ai douté de qui j’étais vraiment et connu parfois ce fameux sentiment de regret maternel. Notre couple aussi a été secoué.
Maintenant que ma dernière a grandi, je prends conscience que la fatigue et l’instabilité nerveuse vécues dans cette période ne me définissent pas : je ne suis pas cette femme trop fatiguée et anxieuse, voire déprimée, avec une libido en dents de scie et une estime d’elle-même fragilisée.
J’ai vécu un post-partum long, de plus en plus éprouvant à chaque naissance,
et qui a mis mon corps et mon esprit à rude épreuve, sans que j’en sois réellement consciente. Cela ne m’a pas empêchée de savourer les naissances de mes enfants, de vivre avec bonheur l’aventure de la maternité et de conserver ma personnalité énergique, joyeuse, heureuse de vivre.
J’ai grandi et appris de moi-même pendant ces années. Mais j’aurais aimé savoir avant. Savoir que cet état psychologique particulier du post-partum et ce bouleversement si fort et si complet du quotidien après une naissance ne sont pas censés s’arrêter avec le retour de couches. En être informée m’aurait probablement aidée à vivre les jeunes années de mes enfants avec plus de bienveillance envers moi-même et de sérénité quant à mon état psychique global.
C’est pourquoi je t’en parle.
Chère Fabuleuse, peut-être as-tu un enfant de moins de trois ans. Peut-être que celui-ci suit de près son frère ou sa sœur aînée. Malgré la joie d’être mère et de voir tes enfants grandir, peut-être es-tu déroutée, perdue devant les circonvolutions déconcertantes de ton psychisme. Peut-être ne te sens-tu plus comme avant, et ton conjoint ne te reconnaît-il plus ?
Et si tout cela se résumait à ces deux mots : post-partum ?
Si tu découvres que c’est probablement le cas, rassure-toi et sois patiente… bientôt tu pourras te retrouver, prendre ton élan et sauter à pieds joints dans une nouvelle étape de ta vie, que tu traverseras avec d’autant plus de confiance et de joie que tu auras connu et surmonté la grande vulnérabilité des mamans de jeunes enfants.
Avec bienveillance et tendresse pour la femme fabuleuse que tu n’as jamais cessé d’être.
1 Le post-partum dure trois ans, Anna Roy, Larousse, Paris, 2023.
2 https://www.milkmagazine.net/anna-roy-il-faut-trois-ans-pour-reinventer-sa-vie-a-larrivee-dun-enfant.