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Dans ma tête

Mon périnée, cet inconnu

périnée
Hélène Dumont 16 septembre 2024
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La consultation prend fin. Nous quittons la pièce, relaxées par la méditation que nous venons de vivre. Notre ventre est sur le point d’éclater de vie. Bâillements et sourires discrets en guise d’au revoir, nous quittons la maternité pour rejoindre notre quotidien, bercées d’impatience et d’inquiétude : l’accouchement se profile. « S’ouvrir, laisser passer. Souffler. Inspirer. Contracter. Décontracter ». Les paroles de la sage-femme finissent de résonner, avec une insistance particulière sur un nouveau mot : le périnée. 

C’est ainsi que je pris conscience de cette partie de mon corps :

à la conjonction d’une expérience pleinement ressentie (car je voyais bien qu’au niveau de mon sexe, les tissus, les ligaments, les muscles s’étiraient à n’en plus finir sous le poids de cet enfant que je portais), d’un exercice méditatif me propulsant à l’intérieur de mon bassin et d’une explication parfaite, enrichissant mon vocabulaire. Je n’avais jamais nommé ce petit coin de moi, ni pris le temps d’y réfléchir, encore moins de le visualiser. 

Ce jour-là, mon périnée est devenu aussi concret qu’un focus d’un appareil photo s’apprêtant à capter une image, aussi poétique qu’une fleur déployant ses pétales, aussi élastique que ces ronds se propageant paisiblement à la surface de l’eau après le jet d’un caillou. Ce fut mon « Eurêka » : je voyageais pour la première fois à l’intérieur de mon bassin, guidée par la voix ensorcelante d’une sage-femme expérimentée, accompagnée par la musique de bols tibétains. Les yeux écarquillés de mon homme quand je lui racontais ma découverte me laissèrent dubitative. Évidemment, il ne pouvait pas comprendre. 

Quelques années plus tard, un nombre important de séances de rééducation pour remuscler ce fameux périnée, travaillé et traversé par les naissances de mes petits, m’avaient aguerrie.

Nous commencions, lui et moi, à devenir bien complices. J’avais appris à faire « le spaghetti » au rythme encourageant de ma sage-femme qui me disait, la main gauche posée sur mon ventre et deux doigts de sa main droite tranquillement introduit dans mon vagin : « On aspire le spaghetti — allez on contracte — voilà c’est bien — 1, 2, 3…. » À 8, j’avais la mine d’un ballon de baudruche prêt à claquer. Le spaghetti qu’elle me proposait d’aspirer devait mesurer environ 10 mètres. « Soufflez ! » me disait-elle alors que je serrais les fesses comme un jour de mauvais temps gastrique. À 10, je lâchais, j’avais tout donné pour mon périnée, j’étais exténuée, mais fière d’avoir tenu jusqu’au bout.

Jamais je n’avais imaginé, avant ces séances, que je vivrais de façon aussi décomplexée le fait qu’une femme me parle de spaghetti avec deux doigts pénétrant mon intimité.

Elle me fit découvrir également le monde secret des marches à gravir, des volets à refermer, tout en me livrant quelques conseils sur comment éviter les fuites-pipi ou les gaz intempestifs, sur la façon de bien le respecter afin de prévenir la descente d’organes, ou encore sur la façon d’encourager la jouissance. Pour tout vous dire, je préférais mille fois penser à mon amoureux gonflé de plaisir plutôt qu’aux désagréments urinaires ou gazeux, à mes tripes qui pourraient un jour changer d’étages ou aux pâtes italiennes. 

Toujours est-il que depuis ce temps-là, je converse aisément avec cette partie de mon corps,

convaincue, comme me l’avait enseigné ma sage-femme, par les bienfaits de cette connexion corporelle : « Il faut vous connecter avec votre périnée. Fermez les yeux, concentrez-vous ». Ce qui donne, bon an, mal an, à peu près ce genre de dialogue :

— Comment vas-tu aujourd’hui ?

— Mmmh… Un peu mou du genou. Va falloir fermer les volets une douzaine de fois pendant 10 jours ou revoir ta posture quand tu portes tes bidons de lait…

ou 

— Franchement ? C’était sympa hier ! (L’avantage d’être un périnée, c’est qu’on se laisse volontiers taquiner par les vagues orgasmiques.)

Pour Marie-José Falevitch le périnée désigne « la zone anatomique relativement superficielle autour de l’urètre, le vagin et l’anus ». Le périnée ne fait pas exactement partie de notre sexe de femme, néanmoins, il le contient. C’est un ensemble de muscles et de tissus mous fermant la partie basse du bassin. Il est traversé par trois orifices, l’urètre, le vagin et l’anus, ce qui le rend particulièrement fragile. Il est également divisé en trois parties : les muscles antérieurs (au niveau du pubis), le périnée postérieur (arrière), le périnée profond (à l’intérieur).

C’est ainsi qu’il permet le soutien des organes, la continence, la miction et de joyeux orgasmes ! 

D’un point de vue étymologique, le mot périnée est issu des mots grecs περινεος ou περίναιον signifiant « autour du temple, autour du sacré, lieu où j’habite ». En latin, il viendrait de perineum signifiant « autour des voies évacuatrices »

En chinois, le périnée désigne le « muscle des ancêtres », Danièle Flaumenbaum illustre cette interprétation en disant qu’il est « le lieu où se cristallise une mémoire qui est celle de nos origines. C’est non seulement le lieu de l’enracinement de nos lignées paternelles et maternelles, mais aussi le lieu de la mémoire de tous nos ancêtres archétypaux. L’empreinte de notre propre histoire est inscrite en nous »

Tout ce que nous venons d’évoquer suggère que le périnée est le lieu du passage et de l’ancrage, à bien des égards :

  • Passage qui, au moment de la naissance, inscrit l’enfant dans un lignage accompagné d’un héritage familial.
  • Passage quand, l’homme s’invitant dans le corps de la femme, franchit avec son sexe le seuil de cette porte sacrée, métaphorique et physiologique. 
  • Passage, en permettant aux fluides ou aux selles d’être retenus ou de s’évacuer, préservant ainsi la santé de la femme.
  • Ancrage, permettant à la colonne vertébrale de se maintenir, aux organes d’être soutenus, à la femme de maintenir une assise, à la fois psychologique et physiologique.

Passage et ancrage, deux mots qui montrent combien le périnée est le lieu de la vie, du mouvement, de l’échange, de l’énergie sexuelle et du plaisir quand il est en bonne santé, aimé et respecté.

Inversement, c’est aussi un lieu de douleur quand la vie ne peut pas être portée, quand elle est fragilisée, quand la porte contenue par ce périnée est douloureuse ou trop tendue, déchirée, recousue, ou encore quand elle a été abîmée, mutilée, violentée, violée. C’est toute l’intimité, infiniment profonde, de la femme, qui souffre. 

Cette vision nous rappelle combien nous devons avoir autorité sur cette partie de notre corps, combien nous sommes appelées à l’aimer et combien nous sommes libres de l’ouvrir — ou non — pour accueillir notre amant de jouissance et la promesse de vie qui pourrait en découler. Cette vision devrait nous encourager à croire que nous sommes tous et toutes appelés, hommes et femmes, à œuvrer ensemble pour qu’il soit respecté et bien soigné

En entretien, je suis touchée par les femmes qui me parlent de cette partie d’elles-mêmes, parfois avec honte ou culpabilité. Et pourtant, prendre soin de son périnée est l’un des plus beaux cadeaux qu’elles puissent se faire, un chemin de féminité épanouie et réconciliée. Une autre porte à ouvrir en soi-même pour continuer d’être femme. 

* Marie-José Falevitch, Le périnée ludique, une méthode de rééducation périnéale qui ouvre la voie à une féminité épanouie ; édition Josette Lyon, 2019

* Danièle Flaumenbaum, Femme désirée, femme désirante, Petite bibliothèque Payot, mars 2017



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Cet article a été écrit par :
Hélène Dumont

Après avoir suivi un parcours de Lettres et Civilisations, Hélène est devenue professeur des écoles puis conseillère conjugale et familiale. Très attachée aux problématiques de l’articulation du maternel et du féminin, elle travaille aujourd’hui en cabinet libéral au rythme de sa vie de famille : un chouette époux et 6 enfants ! Elle est l'auteure du livre Terre éclose : la sexualité au féminin.
https://www.helene-dumont-ccf.com/

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