Chère Fabuleuse,
J’ai découvert récemment la théorie de Carl Jung, disciple de Freud, sur l’ombre. Je ne te parle pas ici d’ombre visuelle : je me doute que tu sais bien comment elle se forme, voire que vous avez récemment joué avec vos ombres en famille. Il est ici question de notre ombre psychologique, et de la façon dont elle peut influencer notre maternité.
Selon Jung, notre ombre est constituée de traits de caractère que nous refoulons.
Elle s’oppose à notre persona, à savoir la personnalité que nous aimons (ou voudrions) montrer en public. Chaque individu a une ombre et une persona différente selon sa culture, son éducation, son histoire. Nous reprenons à notre compte certains modèles rencontrés.
Nous pouvons aussi construire notre persona et notre ombre en opposition à certaines figures qui nous ont déplu.
En lisant Apprivoiser son ombre de Jean Monbourquette (ouvrage de présentation de la théorie de Jung que je te recommande vivement), j’ai voulu appliquer ces concepts à ma maternité. Ma propre persona maternelle est une mère qui est dans le contrôle permanent : elle maîtrise son emploi du temps, ses émotions, ses enfants. Elle est dévouée, mais cela ne lui pèse pas. Elle sait quoi faire dans chaque situation, ne se remet pas trop en cause et vit avec détachement les contrariétés inévitables.
Le problème, nous dit Jung, c’est que toute persona stéréotypée crée immanquablement sa propre ombre.
Mon ombre c’est donc la mère spontanée.
Celle qui se laisse aller à un instinct maternel de fusion, mais aussi qui écoute ses propres besoins. Celle qui met de la fantaisie dans ses journées, mais qui sait aussi pleurer un bon coup lorsque c’est nécessaire. Mon ombre est intense, contrastée… elle l’est autant que ma persona est lisse et uniforme.
Mais attention, Carl Jung est très clair là-dessus :
notre ombre existe, elle fait clairement partie de nous.
Personne ne peut refouler totalement un trait de personnalité. Et c’est même souvent l’inverse qui se produit : plus on veut refouler de traits de personnalité, plus ils prennent de la place, et, qui plus est, de façon anarchique. Tous ceux qui me connaissent savent bien d’ailleurs à quel point l’ombre que j’ai décrite est une immense partie de ma personnalité. C’est simplement une partie de moi que j’ai du mal à accepter.
Mais Carl Jung m’a convaincue : si j’y réfléchis à tête reposée, je dois reconnaître que mon ombre a de nombreuses qualités. Il faut que j’arrête de la critiquer en la qualifiant de laxiste, d’égoïste, de drama queen. J’ai pourtant mis du temps à parvenir à cette conclusion. Toi-même, chère Fabuleuse, tu auras sans doute tendance à utiliser d’abord des termes péjoratifs pour décrire ton ombre. Mais Carl Jung t’invite à te poser cette question :
quelle qualité pourrait bien se cacher derrière ce que tu nommes un défaut ?
En valorisant cette qualité et en la développant intentionnellement, tu éviteras les manifestations anarchiques de ton ombre.
Ne penses-tu pas que chaque être humain sur terre apporte quelque chose de beau ? Dans ce cas, pourquoi n’en serait-il pas de même pour chaque trait de caractère ? Notre ombre est en réalité notre amie. Ce n’est pas un monstre sombre.
C’est simplement une adorable partie de nous-mêmes qui n’est pas (encore) éclairée, mais qui a peut-être beaucoup à nous apporter.
L’idéal de Carl Jung est un individu à la personnalité complète et nuancée. C’est un idéal passionnant qui permet d’explorer à l’infini différentes facettes de soi, et surtout d’arrêter de perdre une énergie folle à lutter contre soi-même.
Et toi chère Fabuleuse, quelle est ta persona ? La mère qui gère (comme moi) ? La mère tendre ? La mère dévouée ? La mère marrante ? etc. Et dans ce cas, quelle est ton ombre et comment pourrait-elle devenir ton amie ?