Mon accouchement sans péridurale : les dragons, les trésors et les mamans - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

Mon accouchement sans péridurale : les dragons, les trésors et les mamans

Hélène Bonhomme 6 octobre 2019
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“Dans tous les lieux habités par la souffrance se trouvent aussi les gués, les seuils de passage, les intenses noeuds de mystère. Ces zones tant redoutées recèlent pourtant le secret de notre être au monde, ou comme l’exprime la pensée mythologique : là où se tiennent tapis les dragons sont dissimulés les trésors. (…)”

Mon mari me fait la lecture.

Quelle idée, franchement, en salle d’accouchement, de se distraire avec un traité de philosophie théologico-littéraire ! C’est qu’au milieu de la nuit, au moment de boucler mon sac, j’y ai glissé le premier bouquin qui se trouvait sur mon passage : Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ? de Christiane Singer.

Il est 7h du matin.

J’ai passé une nuit blanche et entre chaque contraction, je me demande si mon corps trouvera la force d’encaisser la suivante. Tiens, la voilà qui approche. Pour m’encourager moi-même, je me dis le seul mot que je suis encore capable de prononcer :

« Go. »

60 secondes de crampes insoutenables. À quatre pattes dans la baignoire, je souffle bruyamment.

60 secondes de pause.

À voix haute, mon mari reprend la lecture là où il l’avait laissée :

“Or notre société contemporaine n’a qu’un but : éradiquer à tout prix de nos existences ces zones incontrôlables — zones de brouillard, de gestation, zones d’ombre — et d’instaurer partout où elle le peut le contrôle et la surveillance. (…)”

« Go. »

Une nouvelle vague de douleur s’abat sur mes entrailles.

L’accouchement sans péridurale : la première fois je l’ai subi, la deuxième fois je l’ai choisi. Ce texte, je ne l’écris pas pour énoncer un avis ni pour allonger la liste des injonctions que l’on prescrit aux mamans d’aujourd’hui. Certaines femmes optent pour la péri, d’autres non, d’autres n’ont pas le choix, d’autres donnent la vie par césarienne, prévue ou non.

Si j’ai choisi de parler de mon accouchement sans péridurale, ce n’est pas pour en faire l’apologie. Pas pour tergiverser sur les seuils de souffrance, qui ne sont jamais les mêmes pour personne, ni sur les choix personnels, qui ne sont de toute façon pas discutables, ni sur les aléas du direct, qui le sont encore moins. Si j’ai choisi d’écrire, c’est simplement pour raconter l’histoire d’un trésor caché par un dragon. Simplement pour dire que les mamans, toutes les mamans, sont de fabuleuses chasseuses de dragons — de fabuleuses chasseuses de trésors.

Je me contenterai donc de vous confier qu’il y a 7 ans, j’ai accouché de jumeaux sans péri — et que ce n’était pas voulu.

J’ai paniqué, j’ai cru mourir, et puis je l’ai fait.

Aujourd’hui, je vais donner naissance à une petite fille — et cette fois-ci, par choix, je n’ai pris aucun analgésique.

« Go. »

Tandis que les contractions me tordent les boyaux, je me demande ce qui m’a pris de jouer les héroïnes. J’ai envie de hurler qu’on fasse venir l’anesthésiste, mais je sais bien qu’il est trop tard : mon bébé est déjà en train de s’engager dans mon bassin, donc la piqûre dans l’épine dorsale, c’est même pas en rêve. Et de toutes façons, anesthésiste ou pas, je n’ai plus la force de hurler quoi que ce soit à qui que ce soit. Juste un petit « go » soufflé à moi-même, comme si j’étais ma propre coach sportive.

Je dois être maso. C’est ça, je suis maso.

« Go », elles se rapprochent, je vais devoir expulser le bébé maintenant, « go », je crois que toutes mes membranes vont se déchirer, « go », j’ai peur, est-ce que je vais y arriver ?, « go », j’ai mal, qu’est-ce qui m’a pris ?, « go », ça ne passera jamais, « go », respirer, « go », y croire, comme les milliards de mamans qui l’ont fait avant moi.

Ne sachant pas vraiment comment m’aider autrement, mon homme poursuit en haletant :

“Une autre donnée irréductible de la vie et tout aussi insupportable à la conscience contemporaine est l’intuition métaphysique du paradoxe inhérent à toute manifestation de la vie. La double face est toujours là : l’aspect caché/l’aspect visible, le clair/l’obscur, le dedans/le dehors, la naissance et la mort. (…)”

Lors des séances de préparation à l’accouchement, on me l’a expliqué en long, en large et en travers : la contraction est notre amie.

La contraction fait le job :

je n’ai pas vraiment compris comment, mais elle fait ce qu’il faut pour faire passer le bébé où il faut. La contraction, c’est cette vague mortelle qui m’emporte dans un tourbillon de douleur, tout en permettant, par je ne sais quel miracle, à un être humain de passer à travers mon entrejambes.

« Go. »
Ça passe ou ça casse.
Je crois qu’il va y en avoir, de la casse.

« Go. »
La tête.
« Go. »
Les épaules.
« Go. »

Je n’y crois pas. Elle est là.

En boule, toute chaude, déjà toute rose. Ma fille est là, dans mes bras. C’est passé. Je n’y crois pas.
C’est con, avec toutes ces contractions, avec mes muqueuses déchiquetées, j’avais totalement oublié que j’étais en train d’expulser un bébé. J’étais tellement dans le douloureux vif du sujet que j’en avais oublié le sujet de ma joie : ma fille est là.

Je ris.

« Bienvenue Cassandre. Bienvenue, ma belle. »

Comme un petit animal, elle cherche mon sein et je me repasse Christiane Singer dans la tête :

“Comme l’exprime la pensée mythologique : là où se tiennent tapis les dragons sont dissimulés les trésors.”

Là où se tenait tapi le dragon de ma douleur était aussi dissimulée Cassandre, mon trésor de petite fille au prénom sorti tout droit de la mythologie.

Voilà donc à quoi j’occupe mes pensées, pendant que je me fais recoudre :

“Il y a toujours un moment”, me disait un jour Frédéric Leboyer, “où sur le visage de la femme en gésine transparaît le visage de sa mort. C’est pourquoi je n’ai jamais voulu la présence des hommes aux côtés de leur femme car ils ne le supportent pas, ils ne sont pas préparés, ils s’effraient, ils supplient : faites quelque chose ! Or il n’y a rien à faire car mettre au monde et mourir, c’est la même chose ! Comment comprendre ? Moi qui ai vu mille fois ce visage de mort apparaître, je sais que naissance et mort ne sont qu’un. Et allez donc expliquer ça !” (…)

Ah non, ne faites pas sortir les hommes de la salle d’accouchement !

Si le mien n’avait pas été avec moi, j’aurais été morte, et pour de vrai. Héroïque, le voici qui poursuit sa lecture :

Les antonymes vont ensemble, inséparables. L’un se montre, l’autre se cache. Un ballet sublime et terrifiant. On ne peut pas faire l’économie du tremendum, de l’effroi sacré devant le monde créé (…) Il n’y a pas de choix possible. À choisir, à étrangler un aspect on étrangle l’autre avec. En ne voulant que la vie et pas la mort, nous n’avons plus ni l’une ni l’autre. (…)

Un ballet sublime et terrifiant :

à mes yeux l’une des plus belles, des plus justes, des plus effroyables définitions de la maternité.

Dès les premières semaines de la grossesse, une interminable gastro nous tord l’estomac. 9 mois plus tard, nous connaissons les douleurs de l’accouchement. Et ces douleurs sont si vite oubliées, lorsque le manque de sommeil nous détraque le système. Puis viennent les effrayantes crises de colère des “terrible two”, les furieuses varicelles qui arrivent toujours au bon moment, et puis sans que l’on ait vu le temps passer, les premières crises de l’adolescence nous font perdre pied.

Encore un clin d’œil et les voilà qui quittent le nid, et nous voilà désemparées : soulagées de ne plus porter la charge si lourde de la maternité, et nostalgiques, déjà, de ces quelques années qui ont vu éclore, l’une après l’autre, les fleurs que nous avons mises au monde.

Être mère.

Un ballet sublime et terrifiant, où l’inquiétude et l’émerveillement jouent à pile ou face.
Caché et visible. Dragons et trésors. Naissance et mort.

Pleurer de douleur et pleurer de joie. Tout cela à la fois. Comme lorsque, remplie de gratitude, on regarde notre enfant dormir et que dans la même seconde, on s’imagine qu’il lui arrive quelque chose de terrible.

Pour contrer l’angoisse d’être mère, pas de péridurale.

Juste des petites anesthésies locales — quelques séries Netflix, un peu de shopping, beaucoup de chocolat. L’effet s’estompe rapidement. D’une certaine manière, tant mieux. Car oui, on peut anesthésier la peur… mais c’est aussi anesthésier la joie.

Chère fabuleuse : dans les moments de douleur, dans les moments de peur, dans les moments de mort, quand il est trop tard pour la péridurale, quand tu crois que tu n’y arriveras jamais, quand tu es persuadée que ça ne va pas passer : raconte-toi une histoire de chasse aux dragons, une histoire dont tu es l’héroïne et qui se termine par la découverte inattendue d’un fabuleux trésor.

Quand tu es trop occupée à appréhender tes contractions du quotidien, n’oublie pas qu’elles sont en train d’ouvrir une porte dans ta vie, de couver pour toi un avenir, d’extraire de tes douleurs un cadeau caché.

Est-ce que c’est maso ?

Non, c’est simplement accueillir cette vérité qui dérange : là où se tiennent tapis les dragons sont dissimulés les trésors. Là où est tapie ton imperfection est dissimulée tout ce qui fait ta beauté. Là où pour l’instant tu ne vois que la mort, la vie se prépare à éclore.

Donner la vie, un jour à la fois, dans toutes les saisons de la maternité, est un mystère au goût doux-amer. Chère fabuleuse, c’est bien pour cela que tu es vraiment fabuleuse et que si tu le crois, ça change vraiment tout.

C’est aussi pour cela que chaque jour, j’envoie aux mamans qui me suivent des piqûres de rappel : pour les encourager à ne jamais oublier que la maternité est un ballet terrifiant, oui… mais sublime aussi. Dans ces mails matinaux, je partage les petits trésors qui m’aident à tenir debout malgré les dragons.

Le mot de la fin est à Christiane Singer :

Tu ne sais jamais, lorsque tu tiens à un fil, à quoi il se trouve relié sur l’autre versant. Un succès considérable peut n’être qu’une coquille vide et une cheville tordue peut te faire retrouver le chemin perdu. Tu ne sais jamais ce qui relie les choses entre elles. (…) Tu ne sais jamais à quoi le fil que tu tiens est relié de l’autre côté. À l’autre bout.

« Go. »



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Cet article a été écrit par :
Hélène Bonhomme

Fondatrice du site Fabuleuses au foyer, maman de 4 enfants dont des jumeaux, Hélène Bonhomme multiplie les initiatives dédiées au bien-être des mamans : deux livres, deux spectacles, quatre formations, la communauté du Village, une chronique sur LePoint.fr et un mail qui chaque matin, encourage plusieurs dizaines de milliers de femmes. Diplômée de philosophie, elle est mariée à David et vit à Bordeaux.

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