Allongée sur le lit, Emma profite de quelques moments avec moi pour me faire un câlin. Du haut de ses 12 ans, elle aime toujours autant se serrer contre sa maman. Elle me raconte des histoires avec beaucoup d’entrain et un peu de paillettes, quelques licornes, des exercices de gymnastique difficiles à faire, ses copines…
Et puis, ce cri :
« Mais maman, tu as des cheveux blancs ! »
Amusée, je rétorque : « Ah, mais oui, et j’en suis fière ! »
« On dirait que tu as de la déco de Noël sur la tête ! », me dit-elle en riant après avoir observé ma chevelure attentivement.
Une chose est sûre : mes enfants ont l’art de dire la vérité avec une note humoristique ! J’explique à Emma pourquoi j’aime bien ces cheveux blancs qui se multiplient jusqu’à former une petite couronne sur ma tête :
« Tu sais, c’est précieux d’avoir des cheveux blancs ! D’ailleurs, avoir une belle déco de Noël est un privilège qui n’est pas donné à tout le monde… Et maintenant, tais-toi sinon SORS de cette chambre immédiatement ! »
Pourquoi je te parle de ça, chère fabuleuse ? Parce que je sais que tu comprends. Toi et moi éprouvons bien souvent une sorte d’amour-haine envers le temps qui passe.
Ce temps qui est libre et ne nous obéit pas :
il laisse en nous des traces indélébiles, certaines que l’on accepte avec joie, d’autres qui nous déchirent un peu l’âme. Ce temps qui n’est ni notre ami, ni notre ennemi : il ne rentre pas dans ces catégories et existe en dehors de ce que je peux bien penser de lui. Je peux pleurer sur mes cheveux blancs ainsi que sur les rides qui se dessinent sur mon visage. Je peux crier de douleur intérieurement en pensant aux gens que j’ai perdus sur le chemin, taper du pied, faire la moue, tenter le chantage : le temps n’en a que faire !
Le temps, je ne peux pas le changer : à moi de changer d’attitude face à lui.
Avec passion, je regarde mes décorations de Noël dans le miroir. Ça m’apaise. Pourquoi ? Parce que ces cheveux blancs sont le signe que j’ai vécu et que je vis encore. Et que je connais tant de gens qui n’ont pas cette chance.
C’est tout.
Un peu brut de décoffrage, je sais… mais, je vis et je vieillis. Je respire profondément, et je dis merci au temps !
Tout comme les intempéries polissent les pierres, le temps qui passe semble adoucir certains de mes angles obtus, calmer certaines tempêtes internes, relativiser quelques petits soucis et élargir mon horizon. Peut-être qu’au fond, le temps est un peu ami avec la sagesse et qu’en chemin on peut en ramasser quelques miettes.
Un peu comme quand ton deuxième enfant fait son premier gros rhume et qu’au lieu de sombrer dans la panique comme avec ton premier bébé, tu restes un brin plus calme parce que tu sais déjà ce qui peut le soulager et ce que tu dois surveiller. Tu vois de quoi je parle ?
Le temps me vole certaines possibilités.
Je le sais, il passe et ferme avec lui certaines routes. Je n’aurai probablement plus d’enfant (là par contre, je dis ouf !), je n’exercerai peut-être plus de nouveau métier, je n’irai plus vivre dans un autre pays… Voilà un peu ce que me murmure le temps qui passe mais, parfois, je lui fais un pied de nez :
« Minute papillon, qui sait ? »
Et je savoure ces histoires de grands-mères qui reprennent la danse classique ou retournent à l’université… Alors oui, je vais devoir faire preuve de bien plus de volonté pour ouvrir certaines portes, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles sont fermées à double tour.
Le temps m’a pris des amis et le temps n’en apaise pas la douleur :
on s’habitue juste un peu, on apprend à vivre avec le vide laissé, on se nourrit des souvenirs. On voudrait s’engager dans un bras de fer avec ce temps qui laisse la maladie gagner… parce qu’il recommence, l’enfoiré.
On s’effraye du peu de prise que l’on a sur la vie et de ce temps qui nous nargue. Alors on respire profondément, on reste humble, on se donne à la vie, on tente la confiance, on nourrit la bienveillance. Parfois, on survit, à moitié écrasée par le poids de ce à quoi l’on fait face, parfois tout roule et on a l’impression de marcher plus haut que le sol. Parfois, on perd notre temps, parfois on l’investit à 100%.
On suit le cycle, les saisons, on est heureuse ou un peu moins, on est en bonne santé ou pas, on se lève le matin ou on s’arrête un instant, on rit, on pleure, on tente de sauver le monde, on échoue, on apprend, on aime, on déteste… et le temps donne le rythme, tel un métronome posé sur le bord du piano, qui ne s’arrête pas, même quand on vient de se planter royalement dans le morceau.
Nos cheveux blancs, mes cheveux blancs, mes décorations de Noël… sont finalement comme des trophées qui m’apaisent et me murmurent :
« T’es en vie ma grande, en vie ! ».