Bree Van De Kamp. Grâce à cette figure de la série Desperate housewives, nous avons un modèle de la mère parfaite — parfaite, mais insupportable… Elle est dans le contrôle permanent.
J’ai tenté moi aussi de correspondre à ma façon à ce modèle.
Ne pas pleurer devant les infirmières pendant la chute hormonale deux jours après l’accouchement.
Ne pas montrer au pédiatre que les cris de mon bébé au premier vaccin me fendaient le cœur.
Faire croire à tout le monde que j’étais complètement détendue à l’idée de traverser la France pour des petites vacances avec mon bébé de 3 mois.
Je pourrais continuer la liste pendant longtemps, mais tu vois l’idée :
« Tout va bien dans le meilleur des mondes. C’est mon premier bébé, mais je gère comme si c’était le 6e. »
Pour rien au monde je n’aurais voulu qu’on me colle l’étiquette : « mère dépassée », « mère stressée », « mère poule », « mère anxieuse », « mère maladroite », « mère qui a du mal à trouver sa place », « mère qui manque de recul », « mauvaise mère », « mère excédée », « mère au bout du rouleau »…
Et pourtant aujourd’hui, je voudrais faire l’éloge de tous ces rôles de mère imparfaite :
« La mère dépassée » qui ne sait plus comment réagir (ou qui sait très bien comment il faudrait réagir, mais qui est trop fatiguée pour le faire)
« La mère stressée » pour qui une sortie avec ses enfants est devenue toute une montagne
« La mère poule » qui a peur de confier ses petits et qui veille sur eux comme le lait sur le feu
« La mère anxieuse » qui ne peut pas s’empêcher d’imaginer le pire — voire pire
« La mère maladroite » parce que c’est la première fois qu’elle fait ces gestes qu’elle finira par connaître par cœur : changer une couche débordante, nettoyer le nez, installer le siège auto…
« La mère qui a du mal à trouver sa place » entre tous les conseils contradictoires de son entourage
« La mère qui manque de recul » et qui se prend en plein cœur les pleurs de son nourrisson
« La mauvaise mère » qui cède aux envies de ses enfants pour avoir la paix
« La mère excédée » qui est toute prête à s’énerver sur ses enfants (ou qui l’a déjà fait) et qui veut juste fuir sur une île déserte
« La mère au bout du rouleau » qui pleure tous les soirs alors que c’est supposé être l’une des plus belles périodes de sa vie
Je crois désormais qu’il vaut mieux accepter de jouer de temps en temps (et surtout au début) ces rôles de mère imparfaite, plutôt que d’essayer de tenir celui de mère parfaite.
1er argument pour essayer de te convaincre :
si on a tous en tête des images de mères correspondant à ces rôles, c’est qu’ils sont normaux ! Comme le dit le sociologue Erving Goffman dans La présentation de soi, les étiquettes sociales sont en réalité très utiles. Nous avons besoin de ranger les gens dans des cases pour éviter d’avoir à analyser en permanence leurs comportements. Donc, oui, effectivement, si tu corresponds à l’un de ces rôles de mère imparfaite, ton entourage va te ranger dans une case. C’est très désagréable, je te l’accorde : j’ai même tout fait pour l’éviter pendant un temps !
Mais, on peut voir les choses autrement : il y a une case sociale prévue pour les mères imparfaites. Même s’il y a parfois des tabous, tout le monde sait au fond que les mères vont un jour ou l’autre correspondre à l’un de ces rôles malgré elles. Il n’y a que les gens comme moi, qui espérais naïvement devenir parfaite le jour de mon accouchement, pour en être surpris. Des individus vraiment malveillants vont peut-être se réjouir de te mettre dans la case de la mère imparfaite. Mais cela ne te dérangera que si tu accordes de l’importance à leur regard. La plupart des gens sont plutôt attendris, compatissants, voire rassurés de voir que les autres aussi sont imparfaits qu’ils le sont eux-mêmes. En tous cas, ils ne seront pas surpris. Comme le dit souvent Hélène Bonhomme, on les aime, les gens imparfaits ! C’est Bree Van De Kamp qui nous insupporte.
2e argument : Ce ne sont que des rôles.
Ils ne définissent pas qui tu es. Dans le chapitre »Retour sur les stéréotypes de genre au temps de l’égalité » de son essai Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque), Thérèse Hargot analyse ces moments où les enfants mettent des déguisements reproduisant de façon caricaturale les stéréotypes de genre, alors que l’on a tout fait pour ne pas les éduquer ainsi : les filles se déguisent en princesses roses à paillettes et les garçons en superhéros ou en chevaliers. Thérèse Hargot nous invite à dédramatiser cette phase du développement de nos enfants : ce ne sont que des rôles qu’ils jouent, et ils ont besoin de les jouer quand ils sont enfants pour mieux s’en détacher ensuite. Cela m’a fait réfléchir. Et s’il en allait de même pour les rôles de mère imparfaite ? On peut les voir uniquement comme des rôles, que nous avons besoin de jouer de temps en temps quand les circonstances de la vie sont trop dures. Et peut-être qu’il faut accepter de les jouer, sans s’y identifier, pour pouvoir s’en défaire ensuite. La prochaine fois que tu seras imparfaite, essaye de te dire : « J’ai joué ce rôle-là pendant quelques minutes ou quelques heures, mais ce n’est pas moi ».
Car le but ultime, ce n’est pas de jouer un rôle. C’est d’être simplement soi.
On peut bien sûr avoir des idéaux et chercher à les atteindre. Mais on peut aussi décider d’accepter qu’il y aura toujours des moments où l’on sera imparfaite. Et on peut surtout décider de se foutre royalement d’être catégorisée comme imparfaite par les autres : s’il y a une étiquette de mère imparfaite prévue pour moi, c’est que je suis normale ! Imparfaite. Mais fabuleuse.
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Maria B.