Il m’arrive souvent de t’imaginer, mon grand garçon de presque 6 ans, tel que tu seras dans 10 ou 15 ans. Quand tu seras un homme, plus grand que moi, aussi costaud que papa. Tu auras une belle voix masculine, tu seras superbe avec tes yeux bleu-gris, tu auras peut-être réalisé ton rêve d’être pilote de la patrouille de France.
Et puis, je calcule l’âge que j’aurai alors.
« Quand il aura 15 ans… j’en aurai 36. Quand il aura 20 ans… J’en aurai 41. Wahou ! Je serai une maman super jeune ! »
Une maman « super jeune ».
J’en suis une, et j’en étais une à ta naissance. Je venais d’avoir 21 ans quand nous avons appris que tu allais débarquer dans notre vie. Nous étions mariés mais encore étudiants. J’ai coutume de dire, sur le ton de la provoc’, que nous n’étions « pas finis ».
Tu es né l’année de mon concours du CAPES, et je suis fière de raconter que mon gros ventre de 8 mois m’empêchait de me pencher sur ma copie pendant les écrits, et que je t’allaitais dans les couloirs, petit nourrisson de 6 semaines, lors des oraux. Mais que je l’ai eu, ce fichu concours.
J’ai fait un pied de nez à tous ceux qui n’y croyaient pas.
À ces étudiants concurrents et narquois, qui me regardaient promener mon ventre entre les rayonnages de la bibliothèque universitaire, satisfaits de constater que j’étais hors-jeu dès le départ. À ce gynécologue, qui lors de ma première échographie m’a regardé d’un air compatissant et réprobateur, et m’a conseillé de terminer mes études, moi, pauvre gamine n’ayant pas su résister à l’appel de la maternité.
Oui, je m’en rends compte aujourd’hui.
Te mettre en route à 21 et 24 ans, alors que nos études n’étaient pas terminées, c’était un petit coup de folie propre à notre jeunesse insouciante. Certes, quand je revois les photos de la ma fin de grossesse, je trouve presque incongru qu’une si jeune fille ait cette mine épanouie et ces rondeurs propres à la femme enceinte. Et quand je regarde les photos de ta naissance, je suis surprise par mon visage poupin et celui de ton papa.
Ta naissance a marqué la fin de mon adolescence et mon entrée dans le monde des adultes. Nous avons vécu, les 8 premiers mois de ta vie, dans un T1 bis minuscule et mal insonorisé.
Nous nous sommes contentés de peu. Nous avons poursuivi notre vie étudiante, avec un bébé en plus. Et quelle période merveilleuse ce fut.
Trouver ma place en tant que femme et mère n’a pas été facile.
J’étais souvent blessée de ne pas me sentir prise au sérieux. Je me sentais mal considérée, regardée de haut, presque ridicule d’être aussi jeune. J’étais terrorisée à l’idée d’être mal jugée, perçue comme une mère immature et inconséquente. J’ai souvent commis l’erreur de vouloir répondre d’abord aux attentes que je sentais peser sur moi, avant de répondre aux tiennes.
J’ai eu du mal à me faire confiance, à m’écouter.
Il y avait tellement d’injonctions autour de moi – comme il y en a autour de chaque nouvelle maman – et le fait d’être jeune m’a rendue perméable à toutes ces maximes que j’essayais d’appliquer, par peur que l’on me juge, alors qu’elles n’étaient bonnes ni pour toi, ni pour moi. Il m’a fallu la bienheureuse remarque de ma belle-sœur pour décider de m’affranchir du regard des autres :
« C’est TON bébé. Il n’y a que toi qui peut savoir de quoi il a besoin. »
Cette phrase a été une libération. Enfin, quelqu’un affirmait ma légitimité, ma compétence de mère, au lieu de me noyer de conseils.
Alors, bilan ?
- C’est vrai, être maman jeune n’est pas simple. La société renvoie bien souvent l’image d’une maman TROP jeune, inconséquente, irresponsable, nostalgique de ses poupées et qui souhaite y jouer « pour de vrai ».
- C’est vrai, être jeune, c’est ne pas encore savoir complètement qui l’on est, ce que l’on veut. C’est devoir se placer très vite dans une posture d’adulte.
C’est entrer un peu brutalement dans « la cours des grands ».
Mais c’est aussi et surtout, dans mon cas du moins :
- Une énergie débordante et une santé de fer.
- Une grossesse facile et peu fatigante.
- Un accouchement dont on se remet très vite.
- Une proximité merveilleuse avec son enfant, sa propre enfance n’étant pas bien loin.
- Un esprit qui n’a pas perdu son insouciance et sa fantaisie, un psychisme qui n’a pas encore été blessé par la vie et les épreuves.
À la naissance de tes frères, étant plus âgée et expérimentée, j’ai pu profiter d’une plus grande confiance en moi, d’une plus grande maturité, d’un plus grand apaisement.
Mais pour rien au monde je ne ferais les choses autrement.
Certes, je n’ai pas connu autant que mes amies célibataires les road-trip, les folles soirées, les weekends improvisés. Je maternais quand elles profitaient de leur vie étudiante. Mais quelle joie de pouvoir leur transmettre mon expérience et de les soutenir, maintenant qu’elles commencent à devenir mamans.
Être maman jeune fut pour moi une expérience qui avec ses merveilles et ses difficultés m’a profondément transformée.
C’est un fait, j’ai été maman très jeune.
Mais pour rien au monde je ne laisserai qui que ce soit dire que j’ai été maman trop jeune.