Étant professeur de lettres, je n’ai, de toute mon existence, jamais raté une rentrée scolaire. D’abord élève, puis enseignante, j’ai à mon actif plus de trente rentrées. On pourrait s’attendre à ce que je sois prête.
Pourtant, en tant que mère, c’est ma première rentrée, et croyez-moi, c’est la plus difficile.
Elle est incomparable à ma propre rentrée (déjà difficile) en petite section lorsque ma mère m’a abandonnée (du moins l’ai-je vécu ainsi) dans la classe après quatre années durant lesquelles je ne l’avais pas quittée.
Elle est incomparable à ma rentrée en tant que professeur stagiaire dans un lycée de la banlieue grenobloise, avec des élèves plus grands que moi, qui ne m’avaient pas tous identifiée comme une prof dans la cour, avec mon regard fébrile qui disait sans doute : « je veux faire de mon mieux, mais je ne sais absolument pas en quoi ça consiste. »
Elle est même incomparable à ma rentrée dans un petit collège haut-savoyard classé en REP. Cette année-là, je devais braver la neige pour rejoindre mon deuxième bahut en cours de journée, car mon poste était écartelé entre deux établissements, les élèves dont j’étais professeur principal ne semblaient pas enclins à me faciliter la vie et certains collègues se demandaient si j’avais assez de caractère pour gérer cette classe « indomptable ».
Cette rentrée en tant que mère, cette rentrée qui n’est donc pas vraiment la mienne, est particulièrement difficile, justement parce que je ne peux pas la contrôler.
Je ne serai pas là si ma fille se fait embêter dans la cour de récréation, je serai absente si elle chute du toboggan, je ne pourrai pas guider sa main mal assurée pour tracer des courbes, je ne l’encouragerai pas dans les moments difficiles. Elle devra seule faire ses choix, décider qui deviendront ses amis, qui elle devra éviter, par quel moyen se défendre au mieux, comment gérer les apprentissages, à qui confier ses difficultés…
J’ai une grande confiance et une reconnaissance infinie dans le corps enseignant et dans le personnel de la mairie qui prendra en charge ma fille pendant ses journées d’école, mais ces gens ne sont pas moi et surtout, ma fille devra voler de ses propres ailes en communauté. Cela me rend heureuse pour elle, mais aussi nostalgique et anxieuse.
C’est indéniablement ma rentrée la plus difficile, car elle touche à la personne que j’aime le plus au monde et que je ne pourrai pas la maîtriser.
C’est aussi ce qui en fait ma plus belle rentrée, car elle est une nouvelle étape dans la construction de ce petit être qui grandit et qui apprend à vivre pour lui et par lui-même. Alors je suis reconnaissante à la vie de me permettre de connaître cette nouvelle rentrée des classes, je remercie la maîtresse de veiller sur ma fille, j’admire l’ATSEM qui soignera ses « bobos » et je souhaite une bonne rentrée des classes à toutes les mamans !