Chère Fabuleuse,
Je ne suis pas dépressive. J’ai plutôt la niaque et le sourire en bandoulière et pourtant, il m’est arrivé à deux reprises de suivre un traitement pendant plusieurs mois. Je ne parle pas d’une cure de compléments alimentaires, de cocktail d’huiles essentielles de citron et de millepertuis, de cachets de valériane ni de spiruline-magnésium-gelée royale. Je te parle de chimie. Je te parle de plaquettes à opercule dont le nom finit par « pram » ou « zolam ». Je te parle de produits qui te filent des suées nocturnes de l’espace et qui ont le pouvoir de te plonger dans un état d’agressivité meurtrier quand tu l’oublies deux jours d’affilée. Pas de la gnognotte, donc.
J’ai longtemps résisté, parce que ce coup de blues de maman d’enfants trop rapprochés, trop loin de nos familles, dans une maison trop en travaux, ça semblait juste normal et ça allait passer.
Trop de trop = coup de mou bien naturel, il ne fallait pas en faire un plat.
J’avais la chance d’avoir un mari aimant, des enfants en bonne santé, une maison avec un grand jardin. Aucune raison donc de déprimer plus longtemps que nécessaire. Mais le temps passait et ça n’allait pas mieux. J’avais la gorge prise dans un étau en permanence, les yeux ouverts jusqu’à deux heures du matin, l’esprit vide et la hantise du moment où mes enfants allaient se réveiller de la sieste. Plus rien n’avait de saveur et je pouvais passer de longues minutes immobile à fixer un défaut du mur.
Un jour, enfin, je me suis décidée à demander de l’aide à mon médecin
et je suis rentrée à la maison avec, dans mon sac à main, une ordonnance pour un anxiolytique léger. Léger, mais sur ordonnance quand même. L’été arrivait, cette petite « baisse de moral » allait forcément s’arranger avec l’action du soleil, l’arrivée des vacances, les retrouvailles avec ma famille. Mais non, je me sentais tellement loin, tellement épuisée, tellement vide et lourde à la fois… Je gobais les gélules censées alléger l’étau qui m’empêchait de respirer, mais rien n’y faisait, j’avais beau tripler la posologie, ça n’allait pas mieux du tout. Nouveau rendez-vous chez mon médecin : j’en reviens avec une ordonnance un peu plus costaud. Et tu crois que je me suis précipitée chez le pharmacien pour trouver enfin le soulagement ? Que nenni ! Je n’allais quand même pas me fourrer dans un traitement de plusieurs mois, avec des trucs dont je lisais partout qu’ils créaient une réelle dépendance, des effets secondaires, des sensations de sevrage hyper désagréables ! Alors j’ai préféré continuer à couler. OK pour les anxiolytiques parce que vivre avec le sentiment physique d’étouffer, ce n’était plus possible,
mais le traitement antidépresseur, jamais !
C’est alors qu’une amie m’a dit : « tu sais, le nurofen, c’est du one-shot, ça soulage, mais ne soigne pas. Pour guérir, on a parfois besoin d’antibiotiques, pendant un certain temps. Bah les anxiolytiques, c’est du nurofen, et les antidépresseurs, ce sont des antibiotiques. Ne crois pas que tu fasses une bonne affaire en te shootant au nurofen. Soigne-toi, bon sang ! »
Cette amie a levé un frein énorme qui m’empêchait de faire ce que toute personne sensée fait quand elle est malade : se soigner.
Entamer un traitement antidépresseur a été la meilleure décision que j’aie jamais prise
(après le fait d’avoir épousé mon Fabuleux qui est sacrément fabuleux) : ça a créé tout au fond de moi une surface plane, dure et stable, sur laquelle j’ai pu prendre appui pour donner un énorme coup de pied et remonter à la surface. C’est sûr, les suées nocturnes m’ont donné un avant-goût de la ménopause, l’oubli d’un cachet me rendait aussi agressive qu’un candidat à la présidentielle au débat du second tour et au bout de douze mois, le sevrage a été douloureux. Mais à l’échelle du mal-être dont ils m’ont libérée, de la douleur physique causée par l’angoisse permanente, ce n’était rien, rien, rien. Ces médicaments m’ont permis de refaire surface et de nager la brasse en me demandant : OK, comment on fait, maintenant pour redresser tout ça et faire en sorte que ça n’arrive plus ?
Non, les médicaments n’ont pas transformé ma vie, ça, j’ai dû le faire moi-même.
Mais ils m’ont permis de trouver assez de ressource, de ressort, d’oxygène pour m’attaquer aux problèmes de fond.
Par méconnaissance, certaines amies m’ont parfois dit cette phrase, que je me répétais sans arrêt du temps où je m’interdisais « les médocs » :
– Quand même, tu ne vas pas si mal que ça ?
– Ben. Si.
Voilà, tout était dit. J’ai eu besoin d’une aide chimique à un moment donné de ma vie parce que :
- tout l’amour et le soutien de mon mari ne suffisaient pas
- toute ma saine éducation à serrer les dents ne m’aidait pas
- cette envie permanente de pleurer ne passait pas avec le temps, ni avec une cure de fer, ni avec une demi-journée de crèche par semaine
- l’envie de dormir 22 heures par jour bouffait tout
- la joie semblait avoir déserté complètement ma vie
- je n’avais plus la force de me pousser le c*l
- j’avais l’impression de rouler sur l’autoroute en 1re, pied au plancher, avec le frein à main serré
- je ne trouvais pas le fond et je coulais, coulais, coulais
Chère Fabuleuse, je voudrais moi aussi être cette amie pour toi.
Celle qui te dit : deux mois que tu n’as plus goût à rien ? C’est trop long et ça ne passera pas avec des huiles essentielles. N’aie pas peur de « prendre des médocs », c’est ce qu’on fait quand on est malade. Définition de « maladie » selon Le Robert : Altération, trouble de l’organisme. On y est, je crois. Bien sûr, il y a des effets indésirables, mais ils ne seront jamais plus indésirables que les manifestations de ta dépression, et ils seront passagers.
Prendre des médicaments ne fera pas de toi quelqu’un de malade. Cela fera de toi quelqu’un qui peut commencer à guérir. Prendre des médicaments ne fera pas de toi quelqu’un qui a lâchement fait disparaître ses problèmes. Cela fera de toi quelqu’un qui a retrouvé l’énergie de les affronter. Et j’espère que tu pourras dire comme moi, comme nombre d’entre nous qui osent raconter leur expérience sans trop de pudeur : je revis !