Plus on s’agite, plus on s’enfonce.
Quand on s’enfonce dans l’épuisement maternel, c’est comme si on était aspirée par des sables mouvants. Lorsque le sable s’ouvre sous nos pieds et nous attire vers le bas, plus on se débat, plus on s’agite et plus rapidement les sables nous engloutissent, jusqu’à nous étouffer et nous ensevelir complètement. La seule porte de sortie, c’est d’arrêter de s’agiter en tous sens et de ne pas essayer de s’en sortir seul. Pour se soustraire aux forces souterraines qui nous tirent inexorablement vers le bas, il faut de toute urgence chercher un appui solide. Une branche ou une corde peuvent faire l’affaire, du moment qu’elles sont assez robustes et stables pour qu’on puisse s’y arrimer. Une main tendue fait aussi l’affaire, si celui qui la tend a les pieds fermement ancrés sur la terre.
C’est pareil lorsqu’il s’agit d’épuisement maternel :
quand on commence à s’enliser, submergée par la fatigue ou par la to-do list avant même de se lever, quand on a l’impression qu’on ne sait plus que hurler sur ses enfants, ou pleurer pour un rien… Plus on s’agite, plus on persiste à mener ce rythme ou cette vie qui nous épuise, plus on s’enfonce.
Il ne faut pas juste serrer les dents et attendre que ça passe : il faut se sortir de là, et de toute urgence ! On ne peut pas non plus se dégager toute seule de l’épuisement maternel, à coup de bonnes résolutions. Il faut une aide extérieure qui nous fournisse un appui solide à partir duquel reprendre pied pour sortir des sables mouvants de la dépréciation, du découragement ou de la lassitude. Rien de bon ne peut sortir de l’épuisement total.
La souffrance, écrit le philosophe Emmanuel Levinas, est « toujours inutile » : contrairement à la simple douleur, qui peut faire office d’alerte (« attention, tu vas finir calcinée si tu restes debout dans le feu, je déclenche donc la douleur de la brûlure pour que tu réagisses »), la souffrance ne sert à rien, elle ne mène à rien. La souffrance ne peut rien faire naître, au contraire elle nous détruit, elle entraîne la perte de soi. Elle est l’expérience de l’absurde et de l’insupportable, qu’il ne faut pas accepter mais faire cesser. La souffrance nous broie et n’est qu’un cul-de-sac duquel il faut sortir, et au plus vite.
L’épuisement est un appel à l’aide
Mais à quoi peut-on bien s’accrocher d’assez solide pour s’extirper de l’engloutissement ? Dans un premier temps, la souffrance nous isole, au sens étymologique. Elle nous transforme en île (isola), en nous coupant des autres et en nous enfermant sur nous-mêmes, jusqu’à ce que nous devenions comme l’Atlantide, engloutie sous les eaux. Nous ne pouvons raccrocher cette île à la terre ferme sans l’aide des autres. La souffrance, dit encore Levinas, est un « appel à l’aide ». Elle est un cri, un cri vers l’autre, où je demande son aide pour mettre fin à cette situation intenable. Encore faut-il que l’autre entende notre souffrance, qu’il ose tendre la main, et que nous osions la saisir.
Chercher de nouvelles (res) sources
Pour sortir de l’épuisement, il faut aussi trouver les ressources intérieures nécessaires pour être capable de s’aider soi-même. L’épuisement, au sens strict, c’est le fait d’avoir un puits à sec. À force d’avoir puisé, nous avons vidé le contenant, qui se retrouve totalement inutile. Un puits, ce n’est pas seulement un trou creusé dans le sol qui contient de l’eau. C’est un trou relié à une nappe phréatique : le puits est donc approvisionné en eau par une source que l’on ne voit pas de l’extérieur. Si la nappe d’eau souterraine est à sec, le puits n’a plus aucune raison d’être : il faut aller creuser un autre trou ailleurs. Si j’attends que la nappe phréatique qui alimente mon puits intérieur s’épuise, sous prétexte que je n’ai pas le choix, et qu’il faut bien continuer à s’occuper des enfants, du ménage, des conduites, des rendez-vous de médecin…
Au bout d’un moment, il n’y a juste plus d’eau, plus rien à donner.
Il faut entretenir le lien avec nos différentes nappes phréatiques, qui se relaient pour nous donner accès à des provisions d’eau même en cas de sécheresse. On ne trouve pas ces sources souterraines en un claquement de doigts : il nous faut nous connaître, connaître nos propres besoins, et oser chercher de l’aide. Chercher la source alternative qui nous permet de garder notre puits bien rempli, ça peut prendre du temps, mais ça en vaut la peine.
Les nappes phréatiques sont nombreuses : sport, relations amicales, écriture, créativité, sommeil… Peu importe les sources, du moment qu’on s’y ressource ! Et toi, chère Fabuleuse, oses-tu dire à ceux qui t’entoure quand tu n’en peux plus ? Oses-tu chercher de l’aide, pour sortir de l’impasse de l’épuisement, duquel rien de bon ne peut sortir ? T’accroches-tu à des piliers solides ou bien ton entourage est-il lui-même fragile et peu aidant ? As-tu diversifié tes ressources pour permettre à chacune de se reconstituer tandis que tu en sollicites une autre ? Connais-tu bien ce qui te remplit d’énergie ?