Enfin, les yeux de Sébastien s’ouvrent. Tandis que Céline et son mari tentent de sauver ce qui peut encore l’être, les éléments se déchaînent.
Les liens du sang, épisode 10 : Sous la foudre
Le visage de Sébastien s’éclaire d’une lumière violente au moment où le toit du chai s’effondre. Sans un mot, il descend de voiture et ouvre la portière de sa femme qui s’écroule dans ses bras. Le brasier a pris un nouveau tournant, les poutres se consument dans un crépitement d’enfer. Il n’y a plus rien à sauver, et Sébastien n’en n’est plus là. Il saisit la main de Céline et l’entraîne au pas de course vers la grille puis dans l’allée de platanes.
Dans leur dos, l’incendie continue son travail de destruction, les lueurs rougeoyantes leur parviennent encore alors qu’ils avancent à présent sur la route déserte.
– Tu m’as pas crue, tu m’as pas crue, sanglote Céline, le souffle coupé par la cadence que lui impose Sébastien.
– Comment j’aurais pu ? C’est ma sœur, Céline, ma sœur !
– Et son mari, où il est ? Elle l’a fait disparaître, j’en suis sûre, elle est folle… Mes bébés, mes bébés…
Dans le ciel marine, un éclair fuse et se plante dans le sol quelque part à l’horizon.
– Il ne manquait plus que ça… grommelle Sébastien.
– On va où ? Où tu m’emmènes ?
Les lèvres serrées ourlées de sueur, Sébastien ne répond pas immédiatement. Malgré le point de côté qui lui cisaille l’abdomen, Céline allonge le pas et répète sa question.
– Elle a dû les emmener à la cabane de vigneron. On a d’autres vignes, à douze kilomètres, c’est au-delà du cercle des recherches des flics. Je suis sûr qu’elle est là-bas. Elle ne peut être que là-bas.
Galvanisée par la certitude de son mari, Céline se met au pas,
insensible aux ampoules qui lui blessent les pieds, imperméable au son du tonnerre qui roule et se rapproche.
Lorsqu’ils arrivent au pied de la pente que domine la cabane, l’air est électrique et un vent humide se lève. En quelques secondes, l’orage est sur eux, hurlant et déchargeant sur leurs têtes des trombes d’eau tiède. Le ciel s’illumine en spasmes continus, et Sébastien montre du doigt la porte de la cabane.
– La chaîne a sauté ! Elle est là.
Les bourrasques emportent un mot sur deux et Céline est obligée de coller sa bouche à l’oreille de son mari.
– On fait quoi ?
– Tu contournes par la droite, moi je vais y aller franco. Dès qu’elle sort, tu prends n’importe quoi et tu l’assommes. On discutera après.
Sous la lueur convulsive des éclairs, Céline s’approche de la cabane de pierres et se poste à droite de la porte, de manière à ce que le battant la camoufle lorsque Marion ouvrira à son frère.
Par terre, elle ramasse un caillou qui lui remplit la main, et ses doigts s’y cramponnent comme si sa vie en dépendait.
Trempé et complètement vulnérable, Sébastien se poste devant l’ouverture de la porte et appelle.
– Marion ! Marion ouvre ! Nonette, c’est moi !
Leurs surnoms d’enfants doivent agir comme un sésame, c’est le pari que fait Sébastien, et il a raison. La porte de planches s’entrouvre, et Marion fait un pas à l’extérieur. Elle a le chignon tiré en arrière, la robe bleu marine que Céline a emportée dans ses bagages, le rouge à lèvre de Céline, le parfum de Céline, les enfants de Céline et…
une carabine 22 long rifle dans la main droite.
– N’approche pas. C’est trop tard, tout est décidé.
– Tout est décidé avec qui ?
– Les enfants. Ils me préfèrent. Alors tu vois, c’est trop tard.
Alors que Marion lève sa carabine vers son frère, Céline rabat la porte d’un coup de pied et lui écrase la pierre sur le crâne. Sans un regard pour le corps de sa belle-sœur qui s’écroule sur le sol comme un sac de sable, Céline pénètre dans la cabane obscure et trouve ses deux petits endormis l’un contre l’autre. Rien n’aurait pu les réveiller, ni les gémissements de Marion qui se relève péniblement, ni la foudre qui claque à quelques centaines de mètres, ni la pluie qui s’écrase sur les tuiles poreuses de la cabane.
Recroquevillée en chien de fusil sur le sol, Marion geint doucement.
Sébastien s’assied à son côté et relève les cheveux qui lui tombent sur le visage.
– Mais qu’est ce qui t’a pris ma Nonette ? Pourquoi ?
– Il est parti… Il m’a quittée. Il n’en pouvait plus de ce Clos de malheur qui gèle, qui grêle, qui nous suce le sang. Et moi je suis seule, tellement seule…
Le visage de Sébastien se décrispe petit à petit sous la pluie battante, et il se met à caresser le dos de sa sœur qui pose sa tête contre son flanc.
– Tu n’es pas seule ma poulette. Tu vas t’en sortir. Et pour le Clos, tu l’as bien massacré, va falloir te trouver un bon boulot pour payer les crédits, mais tu es libre.
Les yeux noyés, le visage barbouillé par un rouge à lèvre qui ne lui va pas du tout,
Marion lève le regard vers son frère et lui dit d’une toute petite voix :
– Je n’aurais pas tiré, tu sais ?
– Ça, on ne le saura jamais ma cocotte, et heureusement.
Allongée contre ses enfants qu’elle recouvre de son bras, Céline attend la fin de l’orage et le jour qui se lève, le ciel tout neuf lavé des angoisses passées, et quand Louise ouvre l’œil, elle dit :
– C’était super, le jeu de piste.