Les émotions de nos enfants ne sont pas toujours aisées à entendre.
Il y a les jours où nous avons besoin de calme, et où nous n’avons pas l’énergie suffisante pour accueillir les émotions de notre enfant. Il y a les émotions que nous ne comprenons pas, et que nous appelons « caprice », auxquelles nous prêtons peu attention. Et puis il y a celles que nous avons envie de piétiner instantanément, car elles nous sont insupportables. C’est de cette dernière catégorie que je vous parle aujourd’hui.
Diane bondit sur sa fille chaque fois qu’elle fait une colère, pour la faire taire.
Étant elle-même débordée par un conflit sourd entre son mari et elle, entièrement mobilisée par les questionnements douloureux que génère sa vie de couple, elle se sent incapable d’accueillir les émotions de ses enfants, surtout la colère : « Ils ne sont pas censés en rajouter ». Elle réalise pendant l’accompagnement qu’elle réprime la grande colère qu’elle éprouve contre son mari. Non seulement ce choix draine toute son énergie, mais en plus sa colère non exprimée à son mari se diffuse dans la famille, jusqu’à ce qu’elle trouve cet enfant qui, lui, l’exprime.
Les émotions circulent dans la famille.
Les relations entre parents et enfants gagnent en qualité et en harmonie dès lors que le parent s’efforce de faire le tri entre les émotions de son enfant, et les siennes propres.
L’enfant de Céline s’ouvre à elle de ce garçon qui l’embête à l’école, et pour qui il vient lui demander conseil. Son sang ne fait qu’un tour et elle répond : « Tu n’as qu’à l’ignorer. Je ne vois pas pourquoi ses mots t’atteignent, tu dois te blinder pour ne pas souffrir de ça ». Mais cette conversation reste pour Céline comme une pastille qui ne passe pas, coincée en travers de sa gorge. Ce que Céline découvre en se replongeant dans cette scène, c’est qu’au moment où son fils lui parle de son problème, elle se sent saisie d’angoisse : «Je ne supporte pas l’idée qu’il puisse souffrir à l’école ». C’est son angoisse à elle, nourrie par ses expériences d’enfant, qu’elle veut absolument faire taire : « Moi-même, enfant, je ne savais pas me défendre dans la cour de récréation, j’y allais la boule au ventre ».
Céline, angoissée, projette son émotion sur la situation.
Elle pense protéger son enfant de souffrances en « l’endurcissant ». Pour cela elle a étouffé d’un seul geste la réaction et l’émotion vécue par l’enfant. Ce que ce dernier en perçoit, c’est probablement la non-recevabilité de son émotion par sa mère, ce qui fait le lit d’un sentiment d’incapacité et d’une grande solitude.
L’immaturité naturelle des enfants fait qu’ils sont affectés par le bouillonnement émotionnel comme un passant insouciant assailli par un essaim de guêpes : de façon soudaine et incompréhensible.
Ce dont ils ont besoin, c’est que l’on reconnaisse que ces ouragans intérieurs qu’ils vivent s’appellent des émotions,
qu’elles ont des noms, qu’elles sont à accueillir, puis à exprimer en mots et en gestes, sauf si ces gestes mettent en danger lui ou d’autres. L’enfant a besoin que l’adulte se mette en creux pour accueillir cela, qu’il devienne un lieu d’accueil.
Ce qui est intéressant, c’est ce moment où Céline réalise que dans cette scène, c’est son émotion superposée à celle de son enfant qu’elle rejette. C’est en s’occupant de son émotion à elle qu’elle va réussir à…
…faire un pas de côté et accueillir ce qui se joue pour son enfant.
Laure en fait la découverte, avec son fils, qu’elle a tendance à rabrouer quand il montre sa joie bruyamment : « Je lui demande de se calmer instantanément, je ne supporte pas ses effusions ». Plus tard, Laure réalise qu’elle a tendance à contrôler ses émotions à elle, et surtout la joie. Enfant, c’est le sérieux et la gravité qu’elle a appris en famille, comme si la joie n’était pas autorisée. Ce qu’exprime son fils quand il saute et crie de joie produit un effet miroir sur ce qu’elle a dû apprendre à étouffer en elle. Elle réalise qu’elle lui en veut de s’autoriser ce qu’elle a eu à s’interdire : « En fait je crois que je le jalouse ».
Laure, avec cette prise de conscience, va pouvoir s’occuper elle-même de cette partie blessée en elle, depuis longtemps. Ce qui s’est passé entre elle et son fils lui aura ouvert une voie inédite : la découverte paradoxale qu’au lieu de rejeter ses émotions pour ne pas en être affectée, c’est leur ouvrir grand les bras qui lui permettra d’entendre leur message, puis de les laisser partir.