Vous voyez à peu près à quoi ressemble un triangle ? Bon. Dessinez-le sur un papier, nous l’appellerons M,P,E.
Ça vous évoque un vague souvenir de Brevet ? Soit. C’est d’époque. Mais puisque nous avons grandi, alors changeons les consignes :
M = Mère
P = Père
E = Enfant
Ce qui donne grosso-modo ceci :
Penser la relation père-mère-enfant selon un triangle mathématique, c’est penser la relation [Mère-Enfant] avec la prise en compte d’une autre personne. On passe donc d’une droite (M,E) à un triangle, ce qui implique la notion d’espace entre chacun.
Passons aux choses sérieuses : du rapport en triangle, à celui de l’espace et de la fonction.
Non, je ne vous parle pas fonction mathématique. Ça fait déjà bien longtemps que j’ai arrêté de m’y pencher. Je voudrai vous parler « fonction paternelle ». À l’inverse du rôle qui peut évoluer ou être interchangeable selon l’organisation du couple, la fonction est de l’ordre de l’intemporel. Elle est spécifique à chacun, le père ou la mère.
Faisons un peu d’histoire. Jusqu’au début du siècle, on attribuait au père :
- La fonction d’autorité. Le père représentait la loi, si vous préférez. La loi qui protège, sur laquelle on peut s’appuyer. La loi qui contient et qui pose la limite : physique, psychologique, émotionnelle. La loi qui canalise, qui initie à la règle, qui éduque à la frustration.
- La fonction économique. Cela signifie qu’il allait travailler pour nourrir et protéger sa famille.
- Enfin, une fonction de séparation, de différenciation de l’enfant d’avec la mère. Comprenez que la fonction du père est de séparer l’enfant de la mère pour qu’il puisse se développer selon son identité, sans fusion. En posant un interdit sur le corps de la mère, il ouvre l’enfant à d’autres mondes que celui de ses bras et de la chaleur du foyer. Le père introduit une limite et éduque, au sens étymologique : educare veut dire « mener vers l’extérieur, conduire au-dehors ».
Dans cette logique, il aide la mère à redevenir femme, afin de maintenir l’équilibre délicat du maternel et du féminin. La mère n’est pas que dévouée à son enfant, elle est aussi amante auprès de son bien-aimé. L’enfant, pour grandir à besoin de le savoir.
Être père, c’est d’abord une histoire de couple.
Aujourd’hui, ces fonctions paternelles sont chahutées :
1. L’autorité « traditionnelle » est remise en question par de nombreux ouvrages sur l’éducation, mais peut-être plus encore, décrédibilisée depuis le mouvement de mai 68, où autorité rimait avec toute puissance. Cet ensemble conduit à un brouillage des pistes, et c’est bien souvent qu’en entretien les pères se plaignent, ne sachant plus comment comprendre l’articulation de la bienveillance et de l’autorité. : « Comment dire « non », fermement ? Puis-je dire « non » ? Donner un ordre ? J’ai toujours l’impression dans ces moments là et d’être le papa méchant, de devoir me justifier. » s’exclame ce jeune papa consterné.
2. Le père ne représente plus toujours la seule source de revenus. Cette fonction est portée à deux, même si bien souvent, c’est encore le père qui gagne le plus gros salaire. La situation la plus difficile concerne les papas au chômage qui se voient concrètement privés de cette fonction, ce qui les blesse profondément dans leur virilité.
3. Il y a autant de problématiques que de couples, mais il arrive que la fonction de séparation soit plus ou moins évidente à assumer, quand la mère est très fusionnelle avec l’enfant par exemple, et que le père ne parvient pas – ou ne veut pas- prendre sa place, ou encore quand le couple est séparé.
Quid de la fonction du père alors ?
C’est justement une difficulté contemporaine, là où de nombreux hommes sont à la recherche d’un modèle de père « présent-protecteur-solide-aimant » proche à la fois de sa femme et de ses enfants. Comme le chante Stromae :
« Tout le monde sait comment on fait les bébés,
Mais personne sait comment on fait des papas »
J’ai envie de penser que le père à pour mission d’être un tuteur, et d’inciter son enfant à pousser vers le haut. Un tuteur présent, soutien, guide, qui éloigne de la terre, sans pour autant déraciner. Un tuteur qui n’oppresse pas, mais qui laisse suffisamment de marge pour que l’enfant se construise. Un tuteur qui pense que c’est possible d’exister en dehors du foyer et d’y revenir librement. Un tuteur qui croit que le monde vaut le coup de s’y engager. Si on ne sait pas bien comment on fait des papas, peut-être pouvons nous penser que c’est dans cette relation à trois, faîte de tâtonnement, d’avancés, de reculons, de prises de risque et de prudence que nous pourrons trouver quelques réponses…