Dans un court-métrage génial, The Neighbors’ Window (2019), Marshall Curry met à l’écran ce que beaucoup de mères vivent avec la maternité.
Alli, une jeune mère de trois enfants dont deux jumeaux fraîchement nés, est épuisée et lassée de son quotidien. Elle se met alors à rêver de la vie qu’elle n’a plus en contemplant de manière compulsive la vie des voisins d’en face, qu’elle peut observer depuis son salon.
En face, ils ont une vie sexuelle torride, une vie sociale épanouie, une maison rangée.
Ça respire le bonheur.
Chez elle, tout lui semble de plus en plus sordide et raté. Mais un jour, elle croise pour de vrai cette voisine, et Alli, elle qui envie depuis si longtemps la vie d’en face, réalise tout à coup qu’elle est elle-même enviée par ceux d’en face, qu’elle symbolise pour eux la famille qu’ils n’ont pas réussi à avoir, et le bonheur qu’ils n’ont pas pu vivre.
La maternité est pour beaucoup de femmes une tempête existentielle.
Notre vie est chamboulée, nous sommes épuisées, dormons mal, notre salon ressemble à une salle de puériculture et notre vie sociale se réduit comme une peau de chagrin.
Alors nous fantasmons sur les autres, les Parfaites :
les super mamans qui font tout mieux que nous comme les femmes célibataires qui nous narguent de leur liberté. Et entre les deux, nous pouvons nous sentir écrasées, surtout qu’on en a pour 20 ans…
Il faut ainsi arrêter de voir et d’idéaliser la vie de ceux d’en face, pour voir sa propre vie d’en face.
Tenter d’être, au moins quelques instants par jour, observatrice de ma propre vie, pour essayer de voir ce qu’elle a d’extra-ordinaire. Si l’on considère notre vie en elle-même, et en comparaison de celle des autres, cela isole et nous écrase. Se regarder en revanche « soi-même comme un autre », pour reprendre la formule du philosophe Paul Ricoeur, permet de dévoiler le sens de notre existence.
Ainsi un encouragement, une parole d’autrui peut m’aider à prendre conscience que je suis fabuleuse et à prendre la mesure de ce que ma vie a d’extra-ordinaire.
L’autre m’invite alors à porter sur ma vie un regard extérieur.
Mais je peux m’entraîner à voir moi-même ma vie d’en face, à faire des arrêts sur image sur ma propre vie pour voir ce qu’elle a d’enviable. Il ne s’agit pas de faire semblant d’avoir une vie qui vend du rêve, mais de plutôt prendre conscience de ce qui réellement peut me faire rêver dans ma propre vie – sans se masquer ce qui nous fait souffrir.
Les enfants continuent de pleurer, et lui nuit ne sont plus longues, mais en regardant ma propre vie d’en face, j’en ressaisis le sens.