Qu’est-ce qui t’a fait grandir cet été, chère Fabuleuse ?
Quelle porte s’est ouverte pour toi, dans ta compréhension du monde, de ton fonctionnement, de celui des autres ? Quel déclic, quelle épreuve, peut-être, t’a ouvert les yeux, quel effort dont tu ne te pensais pas capable, t’a prouvé que tu avais plus de ressources que ce que tu imaginais ?
C’est un exercice amusant de faire un léger zoom arrière, afin de mesurer comment notre été nous a transformées. Chez certaines, il y a eu une redécouverte de la richesse profonde de l’instant présent. Chez d’autres, il y a eu la prise de conscience d’une force intérieure immense, ou d’une créativité fourmillante, ou d’un talent nouveau, ou de la fidélité d’une amitié d’enfance…
Pour ma part, cet été, j’ai enfin compris cette expression : « la coupe est pleine ».
Attention, je connaissais le sens de cette phrase, brandie comme une menace : « n’en jetez plus, la coupe est pleine, c’est la goutte d’eau qui va faire déborder le vase, je vais exploser dans 3, 2, 1… ! »
Mais lorsqu’elle est simplement énoncée, sans charge émotionnelle particulière, comme un fait, ça change tout. « Ah, tiens, je m’aperçois que ma coupe est pleine. »
Petit retour en arrière. Classe de 4e, j’ai la chance d’avoir une prof de mathématiques géniale, que nous surnommons « Rato ». Cette prof nous explique en début d’année que le cerveau est comme un verre. Une fois qu’il est rempli d’informations, ça ne sert à rien de continuer à verser de l’eau dedans, puisque « la coupe est pleine ». Il n’y a plus qu’à attendre que le cerveau fasse son travail de digestion pour que, de nouveau, il soit possible de verser de l’eau dans le verre sans qu’elle soit gaspillée.
Cet été, j’ai compris que ma coupe était pleine.
Pleine de trucs et de petits machins très encombrants, qui prenaient toute la place. J’avais beau verser dans ma coupe : du soleil, des siestes, des mots gentils, des moments de qualité, des légumes verts, de bons bouquins, du sport, des jeux de société en famille, etc., rien ne suffisait à me rendre sereine, repue, reposée, gaie… Pourquoi, nom d’un chien, puisque je n’arrêtais pas de verser un tas de trucs chouettes dans ma coupe ? Mais, ma bonne dame, c’était pour la simple et bonne raison que « ma coupe était pleine » !
Et malheureusement pour moi, elle était pleine de choses que j’ai eu le plus grand mal à identifier, parce que rien ne semblait suffisamment grave ou envahissant pour être incriminé sans hésiter. Non, dans ma coupe, il y avait : un agacement récurrent face aux petites piques humoristiques qu’on a l’habitude de se lancer entre amis ou en famille, mais pas de conflit. Du vin à presque tous les repas, mais pas d’excès préoccupant. Des heures passées à scroller sur Facebook et Instagram des chroniques de livres et des articles sur le monde de l’édition, mais pas de comparaison mortifère avec d’autres mères mieux organisées, mieux gaulées ou mieux tout court.
Toutes ces petites choses pas graves bloquaient complètement les ressources que j’essayais de mobiliser pendant cet été.
Que fallait-il faire ? Tout simplement vider la coupe. Et c’est en voyant à quel point c’était difficile, que j’ai compris que ces choses pas graves l’étaient en fait bien plus que ce que je croyais.
— Dire clairement que je ne supportais plus telle ou telle pique, sans vaciller face aux remous que ça créait (« ah, en fait elle est susceptible ! »)
— Arrêter l’alcool. Pas de premier verre (je sais bien qu’il devient alors beaucoup plus difficile de ne pas se laisser tenter par un deuxième), pas de bière en terrasse, pas de super pinard avec la côte de bœuf, pas de bulles pour fêter l’anniversaire de mariage.
— Supprimer internet et les applis de réseaux sociaux de mon téléphone. Mais pas juste les désinstaller (toi-même, tu sais). Aujourd’hui un bloqueur d’application me demande un code secret pour y accéder. Or ce code, ce n’est pas moi qui l’ai ! Astucieux, hein ?
Une fois la coupe vidée, elle a pu se remplir de bonnes choses.
Le sommeil est devenu reposant (vu que mon foie était au chômage technique), l’humour entre proches est devenu drôle, l’attention que je donne à mes enfants est devenue de meilleure qualité.
Voilà ce qui m’a fait grandir cet été : prendre conscience que ce qui fait barrage en moi, c’est parfois des choses qui semblent anodines, mais qui, mises bout à bout, rendent hermétique à toutes les ressources que j’essaie de mobiliser par ailleurs. Ça va pas mal de pair avec l’expression « être un tonneau percé », parce que dans les deux cas, quel que soit le débit du robinet d’amour, de repos, de temps pour soi, ce n’est jamais suffisant.
De quoi ta coupe est-elle remplie, chère Fabuleuse ?
Est-ce qu’elle est pleine de belles et bonnes choses, qui font que les crasses de la vie n’arrivent pas à s’infiltrer en toi ? Est-ce qu’elle est pleine d’un bric-à-brac pas méchant, mais qui, en réalité, t’encombre jusqu’à t’empêcher de te ressourcer, quoi que tu mettes en place ? Est-ce que tu peux identifier trois actions qui sauront vider ta coupe et faire de la place au bon, au beau, au doux ?
Bonne réflexion, chère Fabuleuse, et petit conseil d’ami : ne traque pas forcement le trauma, la souffrance, le deuil ou la maladie, l’addiction sévère ou les problèmes d’argent… Il y a de fortes chances que ce qui obstrue ta coupe soit beaucoup moins dramatique que tout ça. Mais que ça te pourrisse quand même bien assez la vie !