Quand le diagnostic tombe, qu’il soit soudain ou attendu depuis longtemps, les mots viennent cristalliser une réalité qu’on a plus ou moins pressentie, crainte, évitée ou encore ignorée. Mais en vrai, les mots qui sont prononcés ne changent en rien ce que la personne vit.
« Votre fille est allergique aux acariens ».
Je pleure devant mon ordinateur alors que j’écris cette nouvelle à mon amie.
« Emma est allergique aux poussières et je n’arrive pas à relativiser.
Tu imagines ? Moi qui ai volontairement choisi d’adopter un enfant porteur de trisomie 21, je pleure comme une madeleine en pensant à cette nouvelle. »
Les larmes coulent alors que j’écris.
Plus je me fais des reproches de réagir comme ça, plus ma gorge se coince, moins j’arrive à comprendre que cette allergie n’est pas apparue avec le diagnostic mais qu’elle existait déjà avant ; qu’Emma en souffrait déjà avant. Que rien ne change, qu’on peut juste s’adapter au mieux. On a enfin une explication pour son nez si souvent bouché, ses réveils fatigués après des nuits pas au top. Quand notre pédiatre nous l’a annoncé, j’ai levé la tête et lui ai demandé d’une petite voix :
« Est-ce que c’est de ma faute ? Est-ce que j’aurais dû nettoyer mieux dans la maison ? ».
Il connaît Emma depuis sa naissance. Il rit un peu et me demande :
« Rebecca, combien d’enfants as-tu ? 3. Combien sont allergiques aux acariens ? Juste une, n’est-ce pas ? Si c’était de ta faute, tu aurais 3 enfants qui souffrent de cette allergie, tu me suis ? ».
Oui, j’ai bien suivi ses explications. Ma tête a compris, mon cœur est encore en chemin alors les larmes coulent toutes seules. On installe des draps anti-acariens, on trie sa chambre avec Emma, on met du parquet à la place du tapis. Mes larmes du début ont vite séché et aujourd’hui je ris de bon cœur de ma réaction de départ.
Quand le diagnostic s’installe, on devient un peu l’expat de sa propre normalité, de sa vie d’avant.
Parfois ce n’est rien de vital — comme l’allergie d’Emma — mais parfois, le diagnostic vient vraiment chambouler tous nos plans d’avenir et notre quotidien. Les mots tombent comme un couperet, nous jettent dans un processus de deuil. On perd ce qu’on pensait acquis, ce qu’on avait tant espéré. Le diagnostic nous vole les plans qui n’auront plus lieu. Il chamboule le quotidien tranquille qui s’est fait la malle sur la pointe des pieds depuis parfois des mois déjà. Il nous arrache l’illusion ou l’espoir que ça ira, que ça passera.
On ne peut plus ignorer l’éléphant dans la pièce.
Quand le diagnostic tombe, qu’il soit soudain ou attendu depuis longtemps, les mots viennent cristalliser une réalité qu’on a plus ou moins pressentie, crainte, évitée ou encore ignorée. Certaines annonces de diagnostic peuvent être littéralement traumatisantes. Le docteur devient bien souvent le messager qu’on aimerait faire taire. On ne veut pas de cette étiquette, de ces mots qui enferment… cela arrive aux autres, mais pas à nous !
Mais en vrai, les mots qui sont prononcés ne changent en rien ce que la personne vit.
Emma n’a pas changé quand on a su qu’elle était allergique aux acariens. Ce n’est pas le mot qui a amené la maladie, le mot a juste été comme un mode d’emploi qu’on pouvait enfin prendre en main, étudier, essayer de déchiffrer et auquel on pouvait enfin s’adapter : une carte au trésor !
Le diagnostic, une carte au trésor ?
Peut-être penses-tu que j’ai une drôle de manière de voir les choses ! Peut-être que certains le prendront comme une mauvaise blague, une insulte.
« J’ai l’impression de tout perdre et tu me parles d’un trésor ? J’ai l’impression qu’on me rajoute un poids encore en plus sur mes épaules déjà blessées. Je me sens coupable, les larmes coulent toutes seules, je me sens coincée dans un presse-ail, ça me tiraille dans tous les sens, j’ai perdu l’orientation et tu me parles de trésors ? »
Oui, oui, je parle de trésors.
Je parle de chemins cachés, je ne nie pas les marécages qu’il y aura en chemin, ni les montagnes plus hautes que celles qu’on pensait pouvoir jamais gravir, je parle aussi des vallées trop profondes pour encore voir le ciel bleu et des moments de désert.
Mais je veux aussi raconter les découvertes, les oasis, les rires, les victoires, les mains tendues en chemin, les réussites inattendues et les trésors cachés, les larmes qui se transforment en perles et les fleurs qui décorent les zones arides et les contrées inconnues, remplies d’autres voyageurs en recherche et toute les rencontres uniques qui se feront sur la route.
Si tu as reçu dans ta vie un diagnostic carte au trésor, j’aimerais t’encourager à :
- Chercher d’autres « expats » qui connaissent la carte au trésor de l’intérieur, qui peuvent t’encourager quand tu en as besoin, te donner des trucs et astuces, te faire rire des avatars de la vie, t’insuffler un peu de leur sagesse. Tu n’as pas besoin de rester seule. Tu peux trouver ta « tribu ». Parfois, tu la trouveras tout proche et c’est au parc du coin que vous passerez du temps à échanger, parfois, ta tribu sera peut-être sur les réseaux sociaux. Rien ne t’oblige à rester seule. À force de chercher, tu tomberas tôt ou tard sur des compatriotes avec qui le courant passe bien et avec qui tu aimeras partager les aléas du quotidien et à ceux-là, tu peux t’accrocher de bon cœur. Et n’hésite pas à fuir les gens dont les commentaires ou le témoignage te culpabilisent et t’enfoncent : prends tes jambes à ton cou !
- Chercher la beauté du paysage. Certaines journées nous amènent de belles surprises, certaines choses nous apaisent, nous laissent ressentir de l’admiration. Prends note de ces moments, nourris-en toi. Cherche les fleurs qui poussent sur les plus grands tas de fumiers. Et parsème en ton quotidien.
- Croire dans le trésor caché. Cherche-le, trouve-le. Le diagnostic est peut-être une étiquette qu’on pose sur le front de ton enfant, de ton partenaire, d’un de tes parents mais tu peux chercher plus loin que ces mots, que cette étiquette. Crois dans le trésor caché au plus profond de cette personne, cherche-le, grimpe au-dessus des comportements agaçants, du temps perdu dans les montagnes administratives, fouille au milieu de tout cela pour voir avec tes yeux, les trésors que cet enfant porte en lui, ses capacités uniques, ses étincelles, tout l’or de ce qu’il est !
- Lâcher du lest. Certains poids ne font que te détruire. Essaye de t’imaginer en train de sortir ces cailloux de ton sac à dos. Les idées reçues comme « Je dois toujours gérer à 100% », « Je ne dois pas me plaindre », « Je serai toujours seule dans ce combat », « Personne ne peut comprendre », « Je ne veux pas demander d’aide », « Je devrais pouvoir toujours aimer mon enfant comme il est », « Il y a pire que ça », « Je n’ai pas le droit d’être faible »,…
- Accepter les zones arides et à trouver tes oasis. Oui, certains moments seront des traversées du désert. Pas assez d’eau, trop de soleil, plus envie d’avoir une carte au trésor en main, la fatigue qui vous pique les yeux et pas de force pour faire un pas de plus. D’autres moments seront comme arriver dans une oasis, trouver de l’ombre, se rafraîchir, s’allonger un instant pour se reposer. Les déserts sont souvent inévitables, en revanche, les oasis, tu peux passer mille fois à côté sans t’y arrêter. Ne te fais pas ce mauvais coup-là. Trouve tes oasis et planifie des visites régulières dans ces endroits de ressourcement.
- Expliquer la carte aux trésors à tes alliés. Tout d’abord, ceux qui sont proches. On peut leur parler de la carte au trésor, du diagnostic, leur refiler quelques trucs à lire sur le sujet. Alors que nous étions en pleine procédure d’adoption de notre petite Pia, nous avons fourni un peu de lecture à mes beaux-parents pour qu’ils puissent s’informer sur ce qu’est la trisomie 21. J’ai connu des parents qui organisaient avec le médecin de leur enfant une rencontre à l’école pour parler du diabète.
- Reconnaître tes limites, respecter tes points de craquage. On a tous nos gros boutons rouges, nos points stratégiques où nos batailles se perdent ou se gagnent. J’ai besoin de dormir, assez, depuis toujours. Fatiguée, je suis plus angoissée, je perds mon équilibre, je n’ai plus de distance avec ce qui se passe, je suis à fleur de peau. Alors quand je ne respecte pas cette limite, je fais de la casse, pour moi, pour mes enfants et je hais le reste de l’humanité. Quand je nie cette limite, je ne fais qu’agrandir ma dette de sommeil et cela devient un cercle vicieux. Quand je prends en compte cette limite dans mon calcul, je peux jongler avec et tout le monde s’en sort mieux (en tout cas vivant). Je gagne mes plus grosses batailles la tête sur l’oreiller.
Si tu n’as pas reçu de diagnostic carte au trésor…
…mais que tu connais quelqu’un dans ton entourage qui en a un ou même deux dans sa famille, réfléchis avec moi à l’élémentaire :
- Être tendre avec toi, ton compagnon, ta famille. Nos foyers ne sont pas des centres thérapeutiques. Nos enfants ont aussi besoin d’être bien à la maison, aimés, entourés. Nos systèmes ont besoin que chaque membre se sente à sa place, important, que son bien-être soit aussi pris en compte. Et cela se fait quand nous posons les armes dans notre maison. Quand nous « ramons ensemble », quand le bien-être de tous est mis dans la balance.
Tous les membres d’une famille ont le droit de faillir, de douter, de râler, de rire, de se battre, de se reposer, de respirer, même les mamans d’enfant porteur de handicap !
On jauge les bénéfices et le prix et parfois, on choisit une solution moyennement bonne mais dont la bienveillance nous aide tous. On fait des pauses dans les programmes thérapeutiques, on fait baisser la pression. Parce que, comme on dirait en allemand « l’herbe ne pousse pas plus vite en tirant dessus ».
- Ne juge pas trop vite (je dirais même : ne juge pas – tout court), même si tu penses comprendre, tu te trompes peut-être complètement dans ton analyse de la situation. Ne lâche pas un « Sois plus ferme, ça ira mieux » (c’est peut-être plus qu’un manque de structure) ou encore un « Laisse ton bébé pleurer, c’est juste un caprice » (parce que si c’est un reflux gastro-œsophagien, ce n’est pas un caprice de ne pas s’endormir). Intéresse-toi à ce qui se passe au quotidien, écoute… et ne cherche pas à résoudre les problèmes : en offrant ton écoute, la personne peut se poser un instant dans le creux de ton oreille et cela va déjà beaucoup l’aider.
- Adapte les types de contact que vous avez à la situation et ses nouveaux aspects. Si les repas en soirée sont devenus impossibles, essayez le brunch du dimanche matin. Fais le pas en plus, celui de dire : « Ok, je vois bien que nos vieilles habitudes ne fonctionnent plus…et si on essayait une nouvelle manière de se voir, un autre lieu, un autre moment ? » Et pour l’avoir entendu beaucoup au début de la vie avec Pia, je t’assure qu’entendre les gens dire « Tu me manques, on ne se voit plus », c’est gentil mais ça ne fait que mettre de l’huile sur le feu de la culpabilité de la personne. Je préférais entendre : « C’est un moment d’adaptation, on comprend, on ne se perd pas de vue, on est là, ok ? ».
- Ne laisse pas la peur de la maladie ou du handicap vous faire fuir. Tu verras, il y a de quoi être épaté, changé, grandi !
Je crois que je pourrais encore continuer sans fin à t’écrire, à te parler de trésor mais je ne peux faire ni le chemin, ni le deuil de la normalité d’avant pour toi, je ne peux pleurer tes larmes ou encore rire tes bonheurs.
Mais je peux te dire encore une fois : le diagnostic est comme une carte au trésor.
Oui, on devient l’expatrié de sa normalité d’avant, mais on n’a pas besoin de renoncer à tous nos rêves, on n’a pas besoin de renoncer à notre espoir, à notre joie de vivre… Et quelque part, on n’est jamais seul face à notre carte au trésor. Tu peux trouver des alliés en cours de route, tu peux devenir un allié pour quelqu’un d’autre… que tu connaisses sa situation ou pas. Et si tu ne sais pas par où commencer, va jeter un coup d’œil sur le site des Fabuleuses Aidantes, tu y trouveras déjà de quoi t’encourager semaine après semaine.