Je suis assise en face de toi, un café à la main. Tu as dressé une belle table. Tu as fait comme moi, tu as dressé la moitié de la table. L’autre moitié disparaît sous les papiers, de bricolages, quelques fleurs, des crayons de couleur.
C’est la vie, c’est ta vie.
Je parle de mes derniers projets, de mes grandes filles, du quotidien avec une préado porteuse de trisomie 21. Nous rigolons ensemble, mais entre tes sourires, il y a ta fatigue, tes doutes, tous les reproches que tu te fais. Et puis tu soupires, les larmes au bord des yeux, tu me confies :
— Moi, ça ne va pas. Je n’en peux plus. Je n’arrive pas à finir ce que je commence, les enfants se disputent constamment, la petite est comme un aspirateur d’énergie : elle m’aspire tout cru.
Je t’écoute. Ce ne sont pas des mots que tu déposes sur la table, c’est une partie de ton cœur que tu partages avec moi.
— Mon mari et moi, on n’est pas comme ça, à la base ! On a toujours été comiques, on aime tant rire. Mais les journées se suivent et se ressemblent trop. J’ai perdu mon humour, tout s’est alourdi. Ils pensent tous « elle gère », mais je ne gère plus rien. Chacun ajoute un truc à ma to do liste sans même se demander si je vais y arriver. Et moi, je pédale dans la semoule et je n’en peux plus. Et quand ils me disent « il faut prendre soin de toi », j’ai l’impression de rétrécir encore un peu plus sous le poids de tout ce qu’il faudrait faire.
Je t’écoute, je comprends si bien ce que tu me racontes. J’étais arrivée au même point.
C’est un peu comme si je faisais un petit voyage dans le temps, il y a 10 ans… Je fonçais sur la route de ma vie, à 120 km/h, pied sur l’accélérateur, droit vers un mur qui s’approchait dangereusement vite. L’âme bien trop fatiguée pour respirer profondément. La légèreté ? Absente… La roue de hamster dans laquelle je courais écrasait tout en moi à force de « les autres font mieux, je n’en peux plus, il faudrait, tu devrais, si seulement tu faisais un effort ».
Mais ça, tu le sais, tu étais là quand je n’en pouvais plus. Tu t’en souviens, tu me le dis :
— Je repense à toi et ça me donne de l’espoir.
Oh oui, garde cet espoir. S’il te plaît, garde cet espoir.
Mais là, tu es si fatiguée, débordée, tu as l’impression d’être vide, de t’être perdue. Je le vois bien.
Tu me dis :
— Dernièrement, j’étais en voiture avec la petite. On a vu un truc super drôle et spontanément, j’ai éclaté de rire. Ma fille m’a dit « oh, maman, ça fait tant de bien de rire avec toi ».
Et c’est ton cœur qui craque sous le poids de ce constat.
Je n’ai que ces quelques mots :
— Oui, tu es super fatiguée, crevée. Garde espoir. Fais un pas à la fois.
Garde espoir, mon amie, garde espoir.
Si tu savais comme je te souhaite un nouveau printemps :
La joie de sentir l’air se réchauffer, le soleil caresser la peau,
La beauté des fleurs qui poussent, contre toute attente, là on l’on pensait que l’hiver avait tout englouti.
La force de la sève qui court sous l’écorce des arbres et qui va faire éclore fleurs, feuilles et fruits.
La vivacité des couleurs dont se pare sous nos yeux, la nature qui nous entoure.
La douceur des pétales, vêtus de leurs plus belles robes de satin.
L’insouciance du chat qui se roule sur le carrelage baigné de lumière.
Le courage de l’oiseau qui, inlassablement fait son nid, prépare méthodiquement un endroit sécurisant et chaud pour ses petits.
La fraîcheur de la rosée qui chaque matin se pose avec tendresse sur le vert de nos jardins.
Je te souhaite un nouveau printemps,
La vie qui se rebelle, qui reprend son cours, qui relève la tête, qui défie l’hiver et qui nous rappelle que les saisons viennent et les saisons repartent et que, pendant tout ce temps, nous vivons.
Je te souhaite un nouveau printemps.
Un puissant souffle de légèreté dans ton quotidien étriqué, trop plein, trop lourd, trop de tout et pourtant sans avoir assez… assez de temps, d’énergie, de rires.
Je te souhaite un nouveau printemps.
La chaleur de bras qui te serrent, te cajolent, te consolent tendrement et aussi longtemps qu’il le faudra pour que tu te retrouves enfin, chez toi, au cœur de ton jardin qui sourit au printemps.
Je te souhaite tout cela et bien plus : je te souhaite de fleurir de nouveau. Là où tu es. Dans ce que tu aimes, sans t’imposer les attentes des autres, sans te soumettre à la dictature intérieure qui te voudrait bonzaï « petit, parfait et bien coiffé » alors que tu te sens plutôt comme une fleur sauvage « libre, folle et entêtée ».
Je te souhaite la patience, la confiance et la compassion.
Ton printemps reviendra. Repose-toi. Respire. Aime. Et vis !
Parce que tu es toute fabuleuse, moi, je le vois clairement. Alors, crois-moi ! Et sache, mon amie, que le printemps reviendra !