Je t'aime, je te dévore - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

Je t’aime, je te dévore

Marie Chetrit 3 novembre 2019
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Souvent, j’aimerais retrouver cette insouciance d’autrefois, ne me préoccuper de personne, et claquer la porte de mon appartement sans me demander si j’ai bien une tétine dans mon sac.

Je rêve de me balader à nouveau le soir sur le Pont des Arts,

oublieuse de l’heure, en écoutant des arias de Mozart face au Louvre illuminé ; de boire un verre à l’improviste, flâner des heures dans des musées au lieu de les traverser au pas de charge, mon sac rempli de compotes et de biscuits au-cas-où. Déambuler dans les rues le nez en l’air, sans prêter attention au petit bonhomme qui est rouge ou vert, ni au petit vélo qui file trop vite, trop loin, trop près de la route.

Comment imaginer, même si l’on s’y est préparée, même si on a ardemment souhaité la venue de ses enfants, à quel point la maternité nous engloutit ? Comment anticiper l’intensité du bonheur d’être mère, et l’intensité de la frustration que l’on y vit parfois durant quelques années, en renonçant à une part de soi ?

L’amour pour un enfant est tellement dévorant.

Parfois j’ai l’impression de me perdre et me dissoudre dans cet amour. Dans ces moments-là, il m’arrive de ne plus pouvoir les supporter et de ressentir beaucoup d’agressivité envers eux.

Alors oui, ce n’est pas très politiquement correct de dire :

Parfois, je déteste mon enfant.

Je le déteste de me bouffer à ce point, de bouffer mon énergie, mes nuits, mes pensées, mon temps, mon insouciance, ma jeunesse, mon porte-monnaie.

J’en ai marre, d’être la dernière sur la liste de mes priorités, de renoncer à cette robe magnifique qui me plaît tant, pour racheter encore et encore des baskets ou des soutiens-gorge qui changent de taille tous les 6 mois.

Parfois, je les planterais bien tous là, au moins en rêve.

Mais est-ce que ce n’est pas ça aussi, la relation d’un parent et d’un enfant, d’alterner entre amour et haine ? Comme un chat qui ronronne de bien-être quand on le caresse, et tout d’un coup, se retourne et vous griffe car il n’en peut plus de cette douceur.

L’autre jour, ma grande fille me disait :

« Maman, je t’aime tellement fort, que parfois je te déteste ».

Et j’avais trouvé cette phrase si parfaitement juste. C’est toute l’ambivalence de l’amour, cette oscillation entre la fusion mortifère et l’éloignement hostile. Parfois, on est pile au milieu, et on se sent bien. Parfois, on bouge le curseur vers la gauche, ou vers la droite : alors on étouffe, ou on pleure.

Et puis après tout, est-ce si incorrect d’oser le dire ?

Je revois mon petit garçon me hurler, lors d’un arbitrage de conflit fraternel :

« Maman je te déteste, tu es méchante ! »

et me laisser malgré tout le prendre dans mes bras pour le consoler de sa colère. Lui aussi, il ressent ce balancement dans notre relation. Alors oui, c’est un enfant. Il ne filtre pas ce qu’il a sur le cœur, mais me l’envoie, avec une touchante sincérité, droit dans ma gueule.

Moi, je suis une adulte, et je me dois, ayant mis au monde ces enfants sans leur consentement, de réfréner toutes les pulsions qui me traverseraient.

Du moins, c’est ce que me demande la société.

Hein, ma p’tite dame, vous les avez bien voulus vos gosses ? Alors maintenant, vous assumez. Vous connaissiez pas la pilule ? Z’étiez pas obligée de le garder ? Bon, hein, alors. Puis bon franchement, mettre au monde des enfants, dans ce monde-là… Faut quand même une sacrée dose d’égoïsme, non ? Vous leur laissez quelle planète à vos gamins, hein ?

Et voilà pourquoi je ne suis, nous ne sommes autorisées qu’à être des mères douces, calmes et souriantes, couvant d’un regard enamouré nos rejetons, maîtrisant la situation, faisant de leur mieux – non, ce n’est pas assez : donner l’extrême quintessence de la fine fleur de nos capacités – pour éduquer, respecter, faire grandir, fructifier, épanouir, nos enfants. Et tout cela, bien entendu, en étant remplies uniquement d’amour et de bienveillance, mais certainement pas de sentiments noirs et houleux – ô combien inconvenants – qu’il nous faut cacher encore mieux que nos seins.

Je préfère reconnaître et accueillir en moi cette pulsion d’agressivité envers mes enfants, que de la déguiser sous les oripeaux plus honorables du stress, du rythme quotidien, du souci du lendemain.

Mes chers enfants, je vous adore, mais parfois, il faut bien le dire, je ne peux plus vous voir en peinture. Alors je choisis, bien sûr, de ne pas vous exposer la noirceur de mon cœur de sorcière en ces moments-là, mais de partager ce sentiment peu glorieux avec la communauté des fabuleuses mamans qui connaissent elles aussi, ce tourbillon déboussolant fait d’amour profond et de détestation intense.



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Cet article a été écrit par :
Marie Chetrit

Scientifique de formation et de profession mais littéraire de cœur, Marie Chetrit partage sur son blog de petits textes sur les moments rigolos ou exaspérants de sa vie familiale. Elle et son fabuleux époux ont chacun un grand d’une première union et deux petits diablotins ensemble.
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