Le plus souvent, je rigole trop fort. Je commence à parler un peu trop rapidement. Je m’enthousiasme. Je m’emporte.
Je crie, aussi. Bref, je ne suis ni tranquille, ni discrète, ni posée.
La « maman calme » de Florence Foresti, ça n’est pas moi.
La fille qui ne dit jamais un mot plus haut que l’autre, ça n’est pas moi non plus.
La plupart du temps.
Car bien souvent, je me retiens. Je n’en pense pas moins, mais je ne dis rien. Je me tais. Je rumine. À force de tourner ma langue dans ma bouche, aucun son ne sort.
J’en deviens presque hypocrite.
Par peur de déplaire, par peur de choquer, par peur de ne pas avoir d’arguments assez affutés, par peur de ne pas être à la hauteur de mes opinions, je me tais. Par crainte de ne pas avoir assez d’à-propos, aussi. J’ai toujours admiré les personnes qui donnent l’impression d’avoir toujours réponse à tout. De savoir exactement quoi répondre.
Alors, je me tais. Extérieurement, il n’y a rien à voir.
Intérieurement, c’est autre chose.
Un bouillonnement incessant.
Le silence est parfois bien trompeur. Je sens monter en moi le goût de l’amertume jusqu’à me dégoûter moi-même.
« Mais pourquoi tu n’as pas dit ce que tu pensais ? »
« Mais vas-y, dis-lui, dis-lui que tu n’es pas d’accord ! »
« Mais pourquoi ne pas dire ton opinion ? »
Ma petite voix me réprimande, car elle sait que ces « silences » ne sont pas bons.
Qu’à force de taire, tout cela finira bien par exploser.
Et que l’explosion, le plus souvent, se produira devant ceux que j’aime le plus : mon mari et mes enfants.
À force de prendre sur moi, à force de ne pas dire, à force d’avoir peur de m’affirmer, à force de craindre de déplaire, à force de ne pas vouloir choquer, la colère monte.
Une colère sourde, faite autant du regret de ce que je n’ai pas dit que de mon incapacité à m’affirmer.
Une colère alimentée par mon sentiment d’impuissance, par tous les « j’aurais dû », les « si seulement ». Une colère faite de ma peur de déplaire, de ma peur de choquer, de ma peur de ne pas avoir d’arguments assez affutés, de ne pas être à la hauteur de mes opinions, de mon manque de répartie.
Cette colère contre laquelle je me bats depuis longtemps.
Depuis toujours, en fait. Déjà, toute petite, je piquais des colères mémorables, si mémorables que mes proches me les rappellent parfois encore. Adolescente, j’étais experte dans l’art de claquer les portes…
Cette colère, je ne la cloue pas totalement au pilori : elle peut être un moteur dans bien des situations, et notamment quand elle me pousse à combattre la bêtise de l’administration.
Mais cette colère, le plus souvent, me bouffe. Elle me prend une énergie que je ne peux consacrer à mes enfants et à mon conjoint. Elle finit par me couper des autres, car je suis bien plus occupée à me la reprocher qu’à entretenir la relation avec ceux qui m’entourent.
Cette colère, je me la suis trop longtemps reprochée. Elle qui contribue à faire de moi une femme pas assez discrète, pas assez douce, pas assez calme, pas assez mesurée. Bref, elle m’a fait perdre bien trop de temps et d’énergie.
Tout simplement parce que je n’ose pas.
Parce que je n’ose pas dire, me dire. Dire ce que je pense, au risque de choquer. Dire ce que je désire, au risque de déplaire.
Mais attends : si je ne dis rien, si je fais « comme si », au final, que va-t-il se passer ? La colère reprendra le dessus. Pour quel résultat ? Choquer, déplaire…mais surtout, faire du mal à ceux que j’aime.
Alors, même si je manque de répartie, même si je suis maladroite, même si mon avis ne fait pas l’unanimité et que je n’arrive pas forcément à l’argumenter, tout cela n’est pas très grave. Bien moins grave, en tous cas, que de laisser la colère rythmer ma vie.
Oser dire, comme une première étape pour tordre le cou à la colère.
Oser dire, pour être un peu plus fidèle à mon tempérament :
car je ne suis ni discrète, ni tranquille, ni calme, ni effacée. Point.