Je ne suis pas une maman douce - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

Je ne suis pas une maman douce

maman qui quitte la chambre de son enfant
Agathe Portail 30 octobre 2023
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Chère Fabuleuse, 

As-tu une amie qui parle d’une voix calme, posée, et pas trop forte, qui ouvre toujours avec joie ses bras quand son enfant veut s’y blottir, dont le moment préféré est le câlin du soir ? Une femme qui vit à fond toutes les petites joies de la maternité, qui reconnait que son aîné est un chouette garçon sans dire “mais” derrière, qui n’a pas besoin de lire soixante bouquins d’éducation pour pratiquer au quotidien une vraie bienveillance ? Cette femme-là, ce n’est pas moi. Ce n’est pas moi parce que j’ai confondu tellement longtemps douceur et mièvrerie que je me suis construite un super costume…

…de mère un poil cynique, aimante mais surtout pas collante, et qui ne court ni après les câlins, ni après les mots doux. 

Les bras de mon fils fermement agrippés à mon cou pour prolonger le bisou du soir m’oppressent. À l’âge de raison, on se dé-cramponne, on s’autonomise, on n’est plus dépendant affectif et on laisse de l’oxygène à sa mère, point. Ma hantise, c’est d’avoir un fils comme Tanguy. Est ce qu’on voit un taurillon s’approcher de sa maman vache pour quémander encore un petit calin ? Non ? Bon.

Ça m’a bien calmée de devoir composer avec les besoins réels de mes enfants,

une fois qu’ils avaient dépassé la limite fatidique des sept ans. Je n’étais pas tactile ? Eux, oui, et il se fichaient de connaître ma position sur la question. Entre l’un qui aime encore me serrer dans ses bras et écouter mon coeur, alors qu’il se rapproche lentement mais sûrement de ma taille, l’autre qui a besoin pour s’endormir de son câlin à 20h30 et de son bisou à 22h30, celle qui me dit, grands yeux écarquillés : “Heureusement que tu m’aimes comme ça, maman d’amour, je ne te quitterai jamais, jamais, et en plus comme ça je ne paierai pas d’impôts” (véridique) et enfin la petite qui se plante devant moi et m’annonce d’un air farouche : “Maintenant, tu vas me caresser tout le dos, pendant très longtemps, parce que j’adore.” (Oui, ma dernière fait un peu flipper). 

Les raisons de ne pas se trouver à l’aise dans la dimension expansive et tactile de la maternité, une fois que la période nourrisson est passée, sont multiples.

Il n’y a pas si longtemps, envoyer son enfant en pension à douze ans était plutôt courant. Il était assez largement admis que la période de maternage était terminée depuis belle lurette et qu’on pouvait donc sans état d’âme installer une distance franche et nette entre la mère et l’enfant. On peut expliquer ce besoin de distance physique par une multitude de choses. Attention, je ne suis pas thérapeute mais à force de réfléchir à la question, plusieurs  possibilités me sont venues à l’esprit : rapport au corps un peu compliqué, carences affectives, culture familiale, codes sociaux, personnalité particulièrement autonome ou solitaire, caractère introverti, neuro-atypicité (je pense aux mamans hypersensibles, aux HPI et à celles qui vivent avec un trouble du spectre autistique pas forcément identifié). Bien sûr n’importe lequel de ces facteurs ne donne pas nécessairement pour résultat une maman-pas-douce, ce sont simplement des pistes de réflexion. 

Cette question de la douceur n’est qu’un des prismes à travers lequel nous pouvons regarder notre expérience de la maternité.

Chaque enfant vient puiser en nous des ressources dont a priori nous ne disposons pas, et qu’il nous faut parfois inventer nous-mêmes à partir de presque rien. Pour moi, les douces caresses à tout âge, la valorisation systématique de chaque progrès chez l’une, la collaboration aux rituels de dodo (vraiment excessifs à mes yeux) de l’autre, n’avaient rien d’évident. Mais je m’y essaie, du mieux que je peux. Il m’arrive même d’y prendre sincèrement goût. 

Petit à petit, cette espèce de raideur se fissure.

Difficile de demeurer coincée dans cette difficulté à exprimer ma tendresse pour mes grands enfants : ce sont eux qui m’accompagnent et me désarment, parce que je n’ai pas la moindre envie de les priver de ce dont ils ont besoin. Ils m’assouplissent, grâce à la douceur de leur peau, la tendresse de leurs mots, la beauté de leurs offrandes minuscules et leurs grands yeux inquiets à l’idée que le robinet de tendresse puisse un jour se tarir. Pour autant, je reste la maman qui beugle plus qu’elle ne murmure (métaphore bovine adroitement filée), qui fait de l’humour grinçant à faire dresser les cheveux de mon Fabuleux sur son crâne, celle qui crie “de l’air, les nains !” quand la séance de câlins s’éternise, qui préfère être drôle plutôt qu’affectueuse, vivifiante plutôt que réconfortante.

Toi aussi, chère Fabuleuse qui te reconnais dans ces quelques mots, laisse-toi simplement mener par l’amour de tes enfants.

Laisse-les te déverrouiller le cœur, les gestes, les bras. Ils sont la pierre ponce qui gomme tes aspérités, le papier de verre à grain fin qui adoucit la surface de ton cœur, la peau de chamois qui polit le bois dont tu es faite. Vu le boulot incroyable qu’ils font, tu vas finir par devenir une grand-mère insupportablement cucul la praline. 



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Cet article a été écrit par :
Agathe Portail

Maman de 4 enfants (très) rapprochés et girondine d’adoption, Agathe Portail écrit des romans adultes édités chez Actes Sud, Calmann Levy et J'ai lu, mais aussi des romans historico-fantastiques édités par Emmanuel Jeunesse.

https://www.fnac.com/ia9173370/Agathe-Portail

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